Julie Gautier : réalisatrice, danseuse, apnéiste

Par Marie Nahmias
Photo de Guillaume Néry

Championne d’apnée, la Réunionnaise Julie Gautier a mis de côté la compétition pour se consacrer à la réalisation de films sous-marins.

D’une main assurée, un sourire lumineux accroché aux lèvres, Julie Gautier enchaîne les séances de dédicaces, les interviews et les selfies improvisés. Pas vraiment le temps de respirer pour la marraine du Salon de la Plongée 2019. Elle est venue présenter avec son compagnon, Guillaume Néry, leur dernier court-métrage : One Breath Around the World. « Je vous ai trouvée formidable après la projection du film », sourit une femme venue la rencontrer. Son amie, l’apnéiste Anne Maury, partage le même constat : « C’est la première fois que je la vois aussi à l’aise et confiante en public », remarque-t-elle avec plaisir.

De nature discrète et réservée, Julie Gautier a mis du temps à prendre ses marques sous la lumière des projecteurs. Le temps, comprend-on, de trouver sa voie sous l’eau. « J’ai toujours su que j’avais un don pour évoluer dans cet élément, souffle la brune aux traits fins. Il a fallu que je découvre comment l’utiliser au mieux. »

 

Julie Gautier, réalisatrice en apnée. Photo : Guillaume Néry

 

Détentrice de deux records d’apnée en profondeur, à 65 et 68 mètres, la réalisatrice est également capable de rester six minutes en apnée statique. Mais ces performances, aussi impressionnantes soient-elles, ne lui permettent pas de s’épanouir. Trop axée sur le résultat, elle finit par perdre cette sensation de « plénitude » une fois immergée. « Ce n’était pas la relation que j’avais envie d’avoir avec l’eau. La compétition nous oblige à plonger un jour J, peu importe l’état dans lequel on se trouve, explique-t-elle. C’est une forme de privation de liberté, alors que pour moi l’apnée représente tout le contraire. »

 

Née à La Réunion, elle découvre le monde aquatique avec son père. « Sous l’eau, j’étais un électron libre, rien ne m’arrêtait. »

 

Des performances au service de la création artistique
En 2010, lors d’un séjour aux Bahamas, le déclic s’opère. Guillaume Néry lui propose de filmer sa chute libre dans le plus profond trou bleu du monde, le Dean’s Blue Hole. « Il m’a mis une caméra entre les mains, se souvient-elle en riant. Même si à l’époque je ne connaissais rien à l’image, j’ai tout de suite été hyper emballée. » De cette expérience naît Free Fall, un court-métrage de quatre minutes. Sur la toile, le succès est immédiat. Dès lors, la plongeuse s’approprie le métier de réalisatrice.

« Julie a un énorme besoin de créer, elle déborde d’idées, rapporte Anne Maury. Quand elle est en pleine réalisation, sa timidité s’en va. Elle est comme libérée. » Sa sensibilité et son approche artistique ne tardent pas à attirer l’attention du musicien Naughty Boy. Il contacte la cinéaste et lui demande de coréaliser une vidéo où deux personnages courent immergés. Ironie du sort, Julie Gautier avait déjà imaginé un scénario similaire de son côté. « Cette histoire est un fabuleux hasard, résume-t-elle. Quand je plonge, j’adore regarder la surface irisée de l’océan.

 

 

J’avais conçu un storyboard dans lequel un homme et une femme courent dans l’eau. L’un au fond et l’autre à l’envers en touchant la surface. » Au large de la Polynésie, l’apnéiste met alors en images cette course onirique. Une fois le clip monté, la chanteuse Beyoncé se greffe inopinément au projet et apporte sa voix à la chanson baptisée Runnin’. Vue par près de 340 millions d’internautes, la vidéo fait le tour du monde. Seul bémol : le silence de la superstar. « Nous n’avons toujours pas eu de retour de Beyoncé sur notre travail, confesse l’apnéiste. C’est un peu frustrant. »

Un père pêcheur sous-marin
Son rapport à l’eau, Julie Gautier l’entretient depuis l’enfance. Née à La Réunion, elle découvre le monde aquatique avec son père, un vétérinaire d’origine franco vietnamienne. Féru de pêche sous-marine, il lui transmet sa passion en l’emmenant régulièrement plonger dès l’âge de onze ans. « Sous l’eau, j’étais un électron libre, rien ne m’arrêtait, se remémore-t-elle amusée. On aurait dit une espèce de crevette qui nageait derrière les poissons. Je pouvais passer des heures à observer des êtres minuscules. »

Ce n’est qu’à sa majorité que Julie Gautier apprend l’apnée comme discipline. « Avant, j’utilisais mes capacités pour pêcher, pas comme une fin en soi. » Un an après s’être inscrite dans un club, la jeune femme s’envole pour Nice où se déroule la Coupe du monde d’apnée. « C’était ma première compétition et ma première grande déception. » En pleine remontée, elle part en « samba », un léger évanouissement dans le jargon des plongeurs. Parmi les apnéistes de sécurité se trouve Guillaume Néry, qui intervient pour l’assister.

 

En 2010, lors d’un séjour aux Bahamas, le déclic s’opère. Guillaume Néry lui propose de filmer sa chute libre dans le plus profond trou bleu du monde, le Dean’s Blue Hole.

 

Trouver un équilibre au sein du couple
Si ces championnats sont le théâtre de leur première rencontre, le couple de passionnés ne se formera que des années plus tard. « Je suis revenue à Nice en 2005 pour un stage dans le cadre de mes études d’aquaculture. Guillaume était un des seuls que je connaissais sur place. » La Réunionnaise intègre alors sa colocation et tisse avec le plongeur une relation fusionnelle.

« Quand on partage une passion commune aussi forte, c’est important de se créer son propre espace », souligne Julie Gautier. Longtemps, elle a craint de ne pas trouver sa place aux côtés du Niçois, sacré deux fois champion du monde d’apnée. Pour y parvenir, la communication a été la clé. « Ils sont en symbiose, témoigne Anne Maury. Non seulement ils échangent, mais ils se comprennent. J’ai rarement vu un couple travailler comme ils le font. En apnée, les prises doivent être rapides. Au moment des tournages, ils connaissent presque instinctivement les attentes de l’autre. »

 

AMA avec la danseuse et réalisatrice Julie Gautier

 

AMA : de la poésie aquatique
À sa casquette de réalisatrice sous-marine, Julie Gautier finit par ajouter celle de danseuse. « Ma mère était professeure de danse. Grâce à elle, j’ai pratiqué de quatre à quinze ans. Je me rappelle, quand je l’observais travailler des chorégraphies, je me disais que je n’étais pas assez inventive pour faire pareil. »

À trente ans, elle se remet à danser et mûrit le film AMA. Tourné dans la piscine la plus profonde du monde, Y40 en Italie, le clip marie à la perfection les passions de ses deux parents. Dans un envoûtant ballet aquatique, la plongeuse évolue pour la première fois devant l’objectif. Elle s’élance, s’envole, comme mue par une force invisible. Sur des notes de piano mélancoliques, ses mouvements paraissent ne jamais finir. Vêtue d’une simple nuisette noire, les yeux tantôt ouverts, tantôt fermés, Julie Gautier parvient à habiter ce décor froid et austère. À l’envelopper de beauté.

Sorti en 2018, à l’occasion de la journée de la femme, AMA est dédicacé à « sa toute petite fille » et fait écho à une souffrance personnelle. « J’ai voulu mettre dans ce film ma plus grande douleur en ce monde. Pour qu’elle ne soit pas trop crue je l’ai enrobée de grâce. Pour qu’elle ne soit pas trop lourde je l’ai plongée dans l’eau », écrit-elle au moment de sa sortie. La réalisatrice ne souhaite pas raconter avec des mots ce qu’elle a vécu, mais l’on devine une perte, un deuil. En choisissant de faire un film silencieux, elle laisse au spectateur la libre interprétation de cette danse, à la fin de laquelle elle finit par sortir la tête de l’eau.

Cette perle cinématographique est un tournant dans le parcours de la Réunionnaise. « Ça a été le vrai virage de son évolution personnelle, estime Anne Maury. Dans cette vidéo, elle dévoile une part d’elle-même qu’elle souhaite partager avec les autres. » Empreinte de cette expérience, la réalisatrice continue aujourd’hui de fourmiller d’idées. 

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 10, mars-avril 2019.


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