Depuis plusieurs générations, la communauté chinoise fait partie de La Réunion. Comment s’est-elle implantée ? Quelle est son histoire ?
Pour beaucoup, La Réunion s’appelle ainsi car elle est le lieu de brassage d’une multitude de populations. Sur 2 512 km2, se mélangent cultures et peuples venus d’Afrique de l’Est, d’Europe, d’Inde, de Madagascar, des Comores et de Chine. « Nous estimons que les Réunionnais d’origine chinoise représentent 4 à 5 % de la population du département », souligne Jerry Ayan, qui a dirigé pendant huit ans la Fédération des associations chinoises de La Réunion (FAC). Minoritaire, la communauté a pourtant participé à dessiner le visage de l’île.
À travers tout le territoire s’organisent régulièrement des manifestations cultuelles et traditionnelles propres à ses coutumes. « Le Nouvel An lunaire et la fête de Guan Di sont célébrés tous les ans. Ce sont des rendez-vous fédérateurs. Les gens qui viennent ne sont pas forcément d’origine chinoise », s’enthousiasme Jerry Ayan. « Le temps de ces évènements, on observe une réelle solidarité, confirme Roland Chane Kon, président du temple Chane à Saint-Denis. Pour clôturer chaque grande fête, il y a un repas de partage. De plus en plus de Réunionnais issus de tous horizons y participent. »
Un autre domaine a fortement été marqué par les habitudes chinoises : la cuisine. Si une grande partie de la consommation quotidienne de riz est souvent imputée aux repas indiens, de nombreuses spécialités de Chine font désormais partie des plats locaux. « Tout le monde ici connaît les mines sautées (nouilles accommodées), les bouchons (vapeurs chinoises), les sarcives (viande de porc grillée et sucrée), les shopsuey (légumes sautés) », assure Edith Wong-Hee Kam, auteure d’une thèse sur la diaspora chinoise aux Mascareignes.
« Tout le monde ici connaît les mines sautées, les bouchons, les sarcives et les shopsuey »
Descendants d’une immigration libre
Ce métissage sino-réunionnais commence dès 1844. « À l’époque, il y a un essor considérable de la canne à sucre et cette économie nécessitait beaucoup de bras, détaille la chercheuse. En prévision de l’abolition de l’esclavage [en 1848, NDLR], l’île fait appel à de la main-d’oeuvre chinoise. » Sur place, pourtant, les
conditions de travail sont proches de celles que rencontrèrent les esclaves africains ou malgaches. Loin d’apprécier le traitement servile qui leur est réservé, les Chinois sous contrat se rebellent et finissent presque tous par quitter l’île.
Aujourd’hui, l’essentiel des descendants de l’Empire du milieu sont issus d’une immigration volontaire. « Un de mes soucis est d’expliquer aux gens de la communauté qu’ils viennent de ce second type d’immigration. Il y a une confusion dans leur tête et c’est problématique, car il s’agit d’une contre-vérité historique. Ce ne sont pas les mêmes profils socio-professionnels, ni les mêmes profils linguistiques. »
Jusqu’au milieu du XXe siècle, des milliers de personnes originaires du sud de la Chine gagnent ainsi La Réunion. La plupart ont l’intention de retourner dans leur pays natal après avoir amassé assez d’argent. « Mon grand-père est venu ici en tant qu’homme libre pour ouvrir une petite épicerie, raconte Roland Chane Kon. Lorsqu’il a eu suffisamment d’argent, il est reparti en Chine et a laissé mon père reprendre l’activité. Comme c’était souvent le cas pour les femmes, ma mère est arrivée bien après. »
En raison de l’instauration du régime communiste chinois, en 1949, et de la guerre sino-japonaise, beaucoup d’immigrés seront toutefois contraints de rester à La Réunion. « Ce n’était pas possible pour eux de revenir, ils s’exposaient à de trop gros risques. »
Une quête identitaire
À l’instar du grand-père de Roland Chane Kon, nombreux étaient les Chinois à tenir de petites boutiques d’alimentation générale en arrivant dans l’océan Indien. Et ce, jusque dans les endroits les plus reculés de l’île.
« Aujourd’hui, quasiment aucun de leurs descendants n’est resté dans le commerce, précise Edith Wong-Hee-Kam. Dès la deuxième génération, les parents ont poussé leurs enfants à faire des études. » Devenus enseignants, fonctionnaires, médecins ou entrepreneurs, ces hommes et ces femmes ont grandi éloignés de leurs origines. La plupart n’ont pas appris la langue de leurs parents. Une telle fracture s’explique par la fermeture des écoles franco-chinoises et la départementalisation de La Réunion en 1946, qui impose une assimilation au modèle français et occidental.
« Il y a clairement, à ce moment-là, un mouvement de la communauté pour renouer avec ses racines »
Il faut attendre les années 1980 pour que ces Français d’origine chinoise se réapproprient pleinement leur culture. Le territoire assiste alors à la création de nombreuses associations. « Des cours de mandarin, de calligraphie, de danse voient le jour. Il y a clairement, à ce moment-là, un mouvement de la communauté pour renouer avec ses racines », rapporte Jerry Ayan.
Ce fort engagement aboutit en 2010 à l’ouverture d’un Institut Confucius*, hébergé à l’Université de La Réunion, et à la création d’un consulat général de Chine, le seul installé dans un département d’Outre-mer.
« Tout en étant bien intégrés, ces exemples témoignent de notre attachement à nos origines, se réjouit Jerry Ayan. Au fil du temps, nous avons réussi à trouver un bon équilibre. » L’ancien président de la FAC a pour habitude d’illustrer cette évolution par un jeu de mots. « Lorsqu’ils sont arrivés, nos ancêtres étaient des Chinois d’Outre-mer, des COM. Les gens de ma génération, eux se considèrent comme des Réunionnais d’origine chinoise, des ROC », lance-t-il pour signifier l’ancrage et la solidité de cette double culture.
*Équivalent chinois de l’Alliance française.
Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 10, mars-avril 2019.