Au nord du Japon, entre les côtes sibériennes et les grandes îles nippones, Hokkaidō livre toute sa beauté au cœur de l’hiver.
Dans son livre Pays de neige, Kawabata, prix Nobel de littérature, situe son intrigue dans un paysage figé par le froid, un décor composé uniquement de blanc, où les sentiments se murmurent aussi doucement que le chant imperceptible de la neige. Cette histoire pourrait se dérouler à Hokkaidō tant on y retrouve ici les protagonistes principaux que sont le froid et le silence. Pourtant, ce n’est pas le cas, car Hokkaidō est une terre bien vivante et, derrière son épais manteau blanc, cette île recèle une nature incroyablement fascinante, une culture passionnante et une vie pour le moins festoyante.
Hokkaidō serait aux Japonais ce qu’est l'Alaska aux Américains.
Vue du ciel, Hokkaidō ressemble à un cerf-volant flottant au dessus de la mer du Japon, de l’océan Pacifique et de la mer d’Okhotsk. Voici l’île la plus septentrionale du pays où seulement 5 % de la population habitent. Une terre rude au climat inhospitalier qui occupe une place particulière dans l'imaginaire japonais. Hokkaidō serait aux Japonais ce qu’est l'Alaska aux Américains.
En effet, si nous sommes bien au Japon, ici les repères habituels s'effacent. Les temples shinto et les châteaux ont cédé la place aux montagnes, aux forêts et aux fermes. Ici, les noms des régions et des animaux sauvages portent encore le lointain souvenir du peuple aïnou...
Hokkaido, photo : Christina & Boris
Terre sauvage
Le froid brutal d'Hokkaidō est une véritable bénédiction pour le voyageur passionné par l'observation des animaux. En effet, si le froid déshabille la nature, il en révèle tout autant son architecture habituellement invisible.
Alors que tout paraît endormi, que tout semble se tapir dans le mutisme profond de l’hiver, soudain la vie jaillit, sauvage, là sous vos yeux. Avec beaucoup de patience, l'œil aguerri et un bon équipement pour lutter contre le froid mordant, il est ainsi possible de saisir des moments de pure magie comme la vision d’un couple d’Ezo Furuko, une sous-espèce régionale de la chouette de l’Oural. L'apparition furtive du Shima Enaga, une petite mésange à longue queue, introuvable en dehors de l’île, fait partie également de ces instants volés. Avec beaucoup de chance, lors d’une sortie en raquettes, un renard fera peut-être son apparition, à moins que ce ne soit des daims ou des cerfs. Ils sont légions dans les contrées de l'est de l'île.
Beaucoup plus facile à apprécier : le spectacle merveilleux de la danse des grues japonaises s'offre à tous les visiteurs du côté de Tsurui, au sud est de l'île. Symbole de fidélité, de longévité, la grue japonaise appelée tanchō fait figure de trésor national. Il y a encore quelques années, les billets de banque de 1 000 yens étaient à son effigie. Aujourd’hui encore, son motif orne nombre de kimonos.
Pour célébrer leur amour, ou pour conquérir leurs partenaires, les grues dansent face au monde qui s’agite.
La grue fut avant tout l'un des sujets préférés des grands artistes peintres d'estampes comme Itō Jakuchū. Enfin, pliée sous la forme d'origami, elle est devenue le symbole de paix dans les mains de Sadako Sasaki, une petite fille Hibakuska, c'est-à-dire survivante d’Hiroshima. En effet, la légende senbazuru raconte que si l’on plie mille grues en papier dans l'année, retenues ensemble par un lien, on peut voir son voeu de santé, de longévité, d'amour ou de bonheur exaucé.
Danse avec les grues
Oiseau majestueux par son envergure de plus de deux mètres, la grue japonaise se pare d'un plumage entièrement blanc si l’on excepte l'extrémité de ses ailes et de son cou qui sont noirs de jais. Mais c'est surtout sa couronne vermillon, comme un rappel au disque solaire du drapeau japonais, qui la distingue de toutes les autres. La vraie particularité de la grue tanchō : elle danse !
Pour célébrer leur amour, ou pour conquérir leurs partenaires, les grues dansent face au monde qui s’agite et autour d'elles le silence se fait. Les spectateurs retiennent leur souffle. C'est tellement beau.
S'il y a plusieurs dizaines de mots pour décrire la neige en japonais, il n y en a qu'un seul pour évoquer un phénomène aussi rare qu'impressionnant : le Ryūhyō. Il désigne la dérive des glaces sur la mer d’Okhotsk. Formées à l'embouchure du fleuve Amour qui marque la séparation entre la Chine et la Russie, les glaces envahissent la mer pour redescendre vers le Japon au gré des courants marins et des vents. Un spectacle saisissant que l'on peut admirer à Shiretoko, surnommé « l’extrémité de la terre » en aïnou. Cette péninsule est la partie la plus isolée d’Hokkaidō.
Si le froid devient trop insupportable, alors il est temps de découvrir le vrai cœur vibrant de l'île, celui de ses habitants.
Sports d’hiver et coeur de feu
Balade en raquettes autour des grands lacs, sortie en brise-glace du côté d'Abashiri, marche sur la mer glacée d'Okhotsk gelée à Utoro, moment détente dans l’un des nombreux rotenburo (bain en plein air dans les sources chaudes naturelles), pêche à l'éperlan sur un lac gelé, Hokkaidō offre de nombreuses possibilités de se distraire tout en admirant d’incroyables panoramas. Si le froid devient trop insupportable, alors il est temps de découvrir le vrai coeur vibrant de l'île, celui de ses habitants. Car oui, l'accueil à Hokkaidō est tout simplement à l'opposé de son climat : chaleureux !
Autour de délicieux fruits de mer comme des crabes, d'une assiette de zangi (du poulet pané) ou encore devant un bon plat de ramen fumantes, il faut partir à la découverte de la convivialité des Japonais qui ne refusent jamais de vous orienter parmi la multitude de plats variés qu'offre la gastronomie d’Hokkaidō. Des instants délicieux qui se savourent aussi à moins quinze degrés !
C'est en effet le cas à Kitami, ville célèbre dans tout le Japon pour son équipe féminine de curling, médaillée de bronze aux Jeux olympiques d'hiver mais pas que ! En effet, cette bourgade du centre est de l’île, organise le Yakiniku matsuri, un festival de barbecue dans un froid polaire. Une fête unique au monde qui réunit depuis vingt ans plus de 2 000 personnes prêtes à affronter l'air glacial en dégustant de la viande grillée et en buvant du shōchū, un alcool qui a le mérite de chauffer l'atmosphère et de réchauffer tout court !
Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 10, mars-avril 2019.