Trois femmes chinoises, migrantes et travailleuses du sexe, racontent leur quotidien précaire, entre survie, silence et espoir de retour.
Xiao Lan* (bientôt soixante-ans) travaille habituellement dans la rue, à Paris
Qu’est-ce qui vous a poussée à émigrer en France ?
Au début, je suis venue pour être femme de ménage et faire du babysitting. Je me disais que la France était bien pour gagner de l’argent. C’est toujours mieux qu’en Chine : le cadre de vie, la sécurité sociale… Je viens du Hebei [province située à l’est de la Chine]. La situation au pays était difficile.
Je voulais gagner de l’argent pour payer les études de mon enfant et acheter un logement. Je suis arrivée avec un visa de touriste, mais il a expiré et je n’ai pas régularisé ma situation. À mon arrivée, il fallait d’abord rembourser une grosse somme d’argent, ce qui m’a pris deux ans. J’ai commencé à travailler à Belleville il n’y a pas très longtemps. Je ne suis plus toute jeune, j’ai presque soixante ans, cela devient de plus en plus difficile.
Quelle est votre situation ?
En 2019, je travaillais à Stalingrad, donc au mois de décembre, lors de la grève, il n’y avait plus de clients. Je ne pouvais plus payer mon loyer, mille euros c’était trop. J’ai dû rendre l’appartement. J’ai trouvé un dortoir pas très loin de Belleville, j’y habite temporairement grâce à des amis à qui j’ai emprunté de l’argent. En plus, je me suis blessée le dos en portant une charge lourde, je ne peux vraiment pas travailler pour le moment.
Que prévoyez-vous pour la suite ?
Je ne sais pas trop, j’y réfléchis. J’aimerais reprendre le travail, rembourser mes dettes. Le coeur en a envie, mais le corps n’y est pas. Je voudrais rentrer en Chine mais je ne peux pas. J’ai encore ma mère et mon enfant là-bas. Je vais d’abord me reposer encore un peu, et une fois rétablie, je regarderai les billets pour rentrer. De toute façon, je ne peux pas me les payer, même me nourrir me pose problème.
Zhang Li* (58 ans) poste des annonces sur Internet et travaille en région<
Quel est votre quotidien ?
La plupart de mes clients sont en province, donc c’est moi qui me déplace dans leur ville. Je n’ai pas de clients réguliers (et pas d’étrangers, que des Chinois). C’est difficile de payer le loyer, la nourriture, la facture de téléphone... J’habite dans un dortoir car louer toute seule un logement revient trop cher. Je reçois un peu de quoi manger de la part des associations lorsque je tombe sur elles par hasard, mais je n’ai pas de contact régulier et je ne parle pas le français. Aujourd’hui, il faut tenir le coup, coûte que coûte. Si je peux rester, je reste. Si je ne peux plus rester, je rentre en Chine. Mais si on ne travaille pas, on va juste mourir de faim.
Depuis combien de temps êtes-vous en France ?
Cela fait un peu plus de trois ans. Je viens de Shenyang [capitale de la province du Liaoning, dans la région du Dongbei]. Je suis venue pour payer les études de mon enfant, qui va entrer au collège. J’ai tout de suite exercé ce métier à mon arrivée, car cela rapporte de l’argent. Au début, j’avais un visa touristique, et maintenant je suis au black.
En 2016, une loi sur la pénalisation des clients a été votée. Cela a généré des comportements violents de certains clients. En avez-vous été témoin ?
Oui j’en ai entendu parler, mais je ne sais pas si c’est lié à la loi. En tout cas, il y a de plus en plus d’agressions. Les gens sont pauvres aussi en France et les cas de vols sont plus fréquents. Je ne peux pas faire grand-chose pour me protéger, si ce n’est de dire à mes amis où je vais lorsque je pars en province.
Yumei* (la cinquantaine) poste des annonces sur Internet, travaille à Paris et en région
Comment la crise sanitaire a-t-elle chamboulé vos activités ?
J’ai arrêté de travailler début mars 2020. Je suis allée à un contrôle de santé au Lotus Bus après le déconfinement et il y avait aussi de la distribution gratuite de nourriture. J’ai fait la queue pendant très longtemps mais on m’a dit de revenir le lendemain.
Comment travaillez-vous ?
Je mets des annonces sur Internet et ensuite on échange par téléphone pour prendre rendez-vous pour des massages et tout ça. Je pose des questions très précises avant d’y aller, car je préfère être sûre, quitte à gagner moins d’argent. Si c’est un Arabe ou un Noir, je refuse. Pareil pour les jeunes Français, il y en a qui ne sont pas bien. Personnellement, je privilégie les clients plus âgés, dans la cinquantaine. Parfois, je rencontre même des clients sympas qui me considèrent comme une amie et je ressens de la tendresse pour eux. Moi, tant que je peux travailler pour payer mon loyer et envoyer un peu d’argent en Chine, cela me convient.
Avez-vous été témoin d’agressions ?
Je fais toujours attention à qui j’ai affaire mais j’ai déjà eu des cas bizarres. Un jour, un Français de quarante-huit ans est arrivé et je l’ai tout de suite trouvé louche. Je lui ai dit que je ne travaillais finalement pas mais il a insisté. J’ai fini par le laisser faire ce qu’il voulait, sinon il n’allait pas partir, ou pire. Après cela, je n’ai pas osé travailler pendant plusieurs jours. Une autre fois, une amie était à la maison avec un client qui l’a menacée avec un couteau et ligotée.
Dans quel contexte êtes-vous arrivée en France ?
En Chine, j’étais au chômage et je n’avais pas forcément de bonnes relations avec ma famille. On m’avait dit qu’à l’étranger, en tant que femme de ménage, je pourrais gagner plus. Au début, j’étais femme de ménage en province, mais je me faisais maltraiter. À Paris, j’ai connu une amie qui fait ça [une travailleuse du sexe] et elle m’a suggéré de commencer. Je suis arrivée avec un visa business pour l’espace Schengen. Désormais, je suis réfugiée et je prépare ma demande pour une carte de résidente de dix ans. Je viens de passer un examen du DELF (Diplôme d’études en langue française). Si je l’ai, je pourrai rentrer en Chine pour la première fois. J’ai encore des contacts là-bas avec mon fils et mon mari, mais ils ne savent pas ce que je fais ici.
*Les prénoms ont été modifiés à leur demande.
Article publié dans le numéro 17 de Koï, spécial sexe.