Xi Jinping : l'avis des Chinois de France

Par Julie Hamaïde et Blanche Ribault
Photo de Blandine Pannequin

Xi Jinping est à la tête de la République populaire de Chine depuis 2012. Qu’en pensent les Chinois de France et Français d’origine chinoise ?

Sa présence sur la scène internationale, sa mainmise sur le parti ou encore la modification de la Constitution (retirant la limitation de mandat du président) ont fait couler beaucoup d’encre et fait réagir de nombreux experts du continent asiatique. Entre méfiance et fierté nationale, Chinois de France et Français d’origine chinoise nous répondent, à cœur ouvert.

« Cherche à faire une interview en famille en direct durant la visite de Xi Jingping demain matin à Paris pour parler de la vie en France, problèmes et avantages... Des volontaires ? » Cette annonce, passée sur un groupe privé Facebook durant la visite présidentielle de Xi Jinping à Paris en 2019 a fait réagir. Les membres craignaient un exercice « piégeux » et un traitement faussé. Il serait ainsi difficile en France de s’exprimer sur cette question.

 

 

Une évolution saluée
Paul, Jérôme et Jonathan* sont trois trentenaires issus de cette « deuxième génération ». Ils sont nés en France, de parents chinois et ont reçu une éducation biculturelle, se sentant autant Français que Chinois. Le premier travaille dans la technologie, le deuxième dans l’import-export et le troisième dans la mode. Ils entretiennent des liens commerciaux avec la Chine qui leur permettent de constater l’évolution du pays. « Tous ceux avec qui je travaille en Chine me disent que chaque année le niveau de vie augmente globalement. Avant, ils bossaient sept jours sur sept, puis six, puis cinq jours et demi et avec des horaires réduits. Ils bossent moins et vivent mieux. C’est dur de se plaindre dans ces conditions », défend Jérôme.

 

« L’autocensure se fait de manière plus culturelle. C’est un pacte que chaque individu a fait avec la société »

 

Un avis partagé par plusieurs familles interrogées. Jonathan raconte d’ailleurs une anecdote personnelle et significative : « Moi j’ai connu le pays en 1998. Je me souviens de mon voyage avec des coupures d’électricité un jour sur deux. C’était ça le quotidien. Aujourd’hui, en Chine, il y a une appétence pour la nouvelle technologie qui est dix fois plus grande qu’à Paris. Le groupe a avancé dix fois plus vite qu’ici ».

L’autocensure culturelle
Cette notion de « groupe » et de « collectif » est très chère à la Chine. Dans la société traditionnelle chinoise, l’individu est défini par sa famille, son village ou son clan. Bien que le taoïsme ne nie pas l’idée d’individu, la doctrine légiste insistera sur le devoir pour l’individu de sacrifier sa pensée et son travail à l’État. Le confucianisme remplacera ensuite cette doctrine, compris par le pouvoir impérial chinois comme une philosophie contribuant à l’effacement de l’individu dans une structure hiérarchique : l’individu doit obéissance à sa famille et à l’empereur (ou, plus tard, au Parti). Le régime maoïste et l’idéologie nationaliste chinoise a également eu un impact sur cette conception de groupe, le peuple étant pensé en termes de « masses » anonymes dont il faut modeler la pensée.

« Ça fait beaucoup de différences car ce que tu penses n’a pas toujours d’intérêt pour le groupe. L’autocensure se fait de manière plus culturelle. C’est un pacte que chaque individu a fait avec la société. Moi par exemple, j’accepterais de ne pas voter tant qu’économiquement ça fonctionne », nous confie Jonathan.

 

 

Ainsi, pour toute une partie de la communauté chinoise en France, l’essentiel est avant tout le développement de la Chine, qui poursuit son expansion dans le monde. Daniel Tran, ex-président de l’Association des jeunes Chinois de France confirme : « Je le vois comme une opportunité, particulièrement pour les Français d’origine chinoise qui parlent le mandarin. Je ne le vois pas comme l’extension de l’hégémonie chinoise ».

Fin 2018, Arte diffusait le documentaire Le monde selon Xi Jinping, évoquant la politique du gouvernement chinois et ses ambitions européennes. Paul, qui se verrait bien vivre là-bas un jour, estime que la Chine joue ses cartes « et elle a un bon jeu ». Selon lui, n’importe quel pays aurait le même réflexe, « tout comme les USA ont pu le faire, tout comme l’Inde pourra le faire dans dix ans ». Jonathan lâche : « En vrai, nous sommes tellement admiratifs. Il est lourd comme président ! Ce n’est pas ironique... En tant que Chinois, je regarde le groupe. Moi je gère une petite entreprise de vingt personnes et c’est la galère. Lui il reprend le pays d’un milliard trois cent mille personnes et en fait une puissance incroyable. Nous pouvons critiquer gratuitement, mais nous sommes tellement fiers de ce qui a été fait que ça dépasse tout. Je préfère voir les choses positivement ».

 

La Chine joue ses cartes « et elle a un bon jeu ».

 


La question des peuples opprimés
Les points positifs évoqués par Jonathan font référence évidemment à la croissance économique, l’amélioration du niveau de vie, le développement technologique, les ambitions écologiques, la révolution de l’e-commerce et des e-paiements... D’un autre côté, certaines libertés fondamentales (droits de l’Homme, liberté publiques) ne sont pas respectées.

Poète et auteur dissident, Liao Yiwu a été enfermé et torturé pendant quatre ans pour avoir commémoré dans ses écrits les manifestations de la place Tian’anmen à Pékin au printemps 1989. « J’ai connu la prison « classique ». Quand je suis sorti de cette prison, je suis resté dans une société chinoise qui est elle aussi une immense prison. Nous n'en voyons juste pas les murs », se remémore-t-il. À l’évocation de ces hommes et de ces femmes contraints de quitter la Chine ou de ceux qui sont enfermés aujourd’hui dans des camps de « rééducation » dans la région du Xinjiang au nord-ouest de la Chine, les discours des Français d’origine chinoise se font plus suspicieux.

Jonathan reconnaît : « Si ces méthodes existent, elles sont horribles évidemment. Personne ne peut soutenir ce genre de choses. Si ce que nous entendons sur les centres d’internement des musulmans est vrai, cela est monstrueux », avant d’ajouter : « Je suis suspicieux de manière générale et je n’ai pas cherché à en savoir plus ». Une méfiance largement partagée par une partie de la communauté qui défend le précepte de Saint- Thomas : « Je ne crois que ce que je vois ».

L’auteur chinois Liao Yiwu, basé désormais en Europe, a d’ailleurs constaté que les manifestations contre le passage de Xi Jinping en France étaient organisées par les Tibétains et les Ouïghours, « pas les Chinois ». 

Poussé dans sa suspicion, Jonathan finit par concéder que, s’il avait la possibilité de choisir, il serait contre. « Est-ce que ça pourrait marcher mieux ? Oui », se répond-il à lui-même, sans creuser davantage cette réflexion. Daniel Tran quant à lui explique la limitation des contre-pouvoirs par la nécessité de sortir la Chine de la pauvreté. « Le parti unique est donc apparu comme la meilleure solution pour avancer. En tant que Français, nous jugeons avec nos valeurs françaises. Il faut faire attention à ne pas vouloir transformer la Chine en une France. »

Pourquoi critiquer ?
Ces réactions nous mènent à demander si l’autocensure, pratiquée en Chine de manière plus culturelle que politique, serait arrivée jusqu’en Europe. Selon l’auteur Liao Yiwu, la communauté chinoise de France ou même d’Allemagne est pragmatique. « Ils espèrent pouvoir rentrer en Chine, voir leurs parents, leur village natale, faire du commerce... Ils se disent qu’il vaut donc mieux rester silencieux. »

Jérôme, justement très pragmatique, confirme : « La Chine veut avoir le contrôle sur tout. Elle écoute partout. Nous sommes nés en France mais nous sommes encore très attachés à la Chine. Nous avons de la famille là-bas, nous travaillons là-bas ». « En fait nous n’avons aucun intérêt à critiquer, mais oui il y a une autocensure. Je ne dirais pas gratuitement qu’un dirigeant chinois est un con, alors qu’en France je n’aurais pas ce problème. Dans nos fantasmes d’Occidentaux nous nous disons que nous pouvons nous faire retirer nos visas », intervient Jonathan avant d’être coupé par Paul : « Vu que notre voix ne porte pas, je pense que nous ne sommes pas à risque ». Il conclut : « De toute façon, critiquer pour critiquer, ça ne sert à rien si on ne s’engage pas ».

Ma Desheng, cofondateur des Étoiles, premier groupe d’artistes contemporains chinois créé en 1979, installé à Paris depuis plus de trente ans, s’est lui engagé il y a longtemps. En s’éloignant du style communiste, ses premières toiles, affichées illégalement à Pékin, ont suscité l’attention des autorités. « Nous peignions en bleu et en noir, à la place du rouge, la couleur des communistes », se souvient-il.

Depuis son atelier parisien où il nous reçoit, il suit toujours l’actualité politique chinoise et avoue ne plus avoir envie d’y remettre les pieds, sous peine d’être muselé, selon lui. « Xi est pire que Mao et recule sur les liberté que la Chine commençait à donner il y a dix ans. » Lors de ses dîners avec les Étoiles (Ai Weiwei, Wang Keping, Huang Rui...) le sujet revient sur la table et aucun ne comprend le comportement de l’actuel leader chinois.

 

« Nous n’avons aucun intérêt à critiquer, mais oui il y a une autocensure »

 

Le tapage médiatique
Cette incompréhension est partagée par les médias français, « biaisés » selon une partie de nos interlocuteurs d’origine chinoise. « Je n’en veux pas aux journalistes en France d’avoir ce genre de critique, réagit Paul. Parfois je me dis que c’est juste pour titrer quelque chose de dingue et j’ai du mal avec ça. » Difficile de le contredire. Lors de la visite présidentielle de Xi Jinping en France, les accroches des médias étaient largement orientées : « Faut-il avoir peur de la Chine ? » (BFM TV), « Chine : la France doit-elle se fâcher ? » (LCI), « La Chine sème la zizanie en Europe » (Courrier international)...

« C’est une manière de créer une méfiance envers un autre pays. Je pense que c’est volontaire, que c’est politique », analyse Paul alors que Jérôme parle d’un « chinabashing ». Ce concept, né aux États-Unis et présent depuis plus de quinze ans, alimenté par des campagnes de publicité et de lobbying, a été dénoncé dès 2003 dans le magazine Forbes par l’ancien président mexicain Ernesto Zedillo. Il indiquait alors qu’aux yeux de certains, la Chine était devenu le nouveau bouc émissaire (après le Japon), de tous les maux de l’Amérique.

Aujourd’hui, qu’ils défendent ou critiquent la politique de Xi Jinping, les Chinois de France et Français d’origine chinoise rêvent tous de plus de démocratie. Daniel Tran s’interroge : « Est-ce que Xi Jinping exerce cette politique pour que la population aille mieux sur le plan culturel et économique ou bien pour transformer la Chine en hégémonie ? J’ose espérer que c’est la première réponse. Peut-être devrions-nous laisser une chance à la Chine tout en ayant les outils pour réagir au cas où elle va trop loin ».

Liao Yiwu est quant à lui plus tranché : « Mon rêve est que la Chine explose et se transforme en une douzaine de pays indépendants. C’est cela, un avenir meilleur ».

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des interviewés.

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 11, mai-juin 2019.


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