Quarante-neuf ans après la guerre du Vietnam, l'agent orange continue de faire des victimes. Malades et sans réponses, des Français d'origine vietnamienne font le lien avec le défoliant de l'armée américaine.
« Ce n'est pas possible d'avoir autant de symptômes qui sont dans la liste des maladies liées à l'agent orange. » Les mots de son père datent d'il y a quelques années, mais dans la mémoire de Loan Charles ils sont toujours aussi nets. Cette phrase qu'aurait prononcée l'homme qui a adopté cette Française, née au Vietnam et arrivée à Paris en août 1974 à l'âge de 8 mois, provoque un déclic.
Depuis, elle en est persuadée : les problèmes médicaux qu'elle accumule dès l'âge de 3 ans sont liés au défoliant employé par l'armée américaine pendant la guerre du Vietnam. D'autant plus qu'ils sont nombreux à travers le monde, parmi les descendants de Vietnamiens, à développer des maladies liées à l'herbicide.
Après contamination, des dioxines, des perturbateurs endocriniens cancérigènes et tératogènes, s'attaquent au système immunitaire, reproductif et nerveux. Les molécules persistent dans l’environnement, dans les graisses, contaminent les sols, les eaux, l’ensemble de l’écosystème et empoisonnent la chaîne alimentaire. Un héritage qui se transmet de génération en génération.
Loan Charles cherche des réponses face à ses maladies
qui pourraient être dues à l'agent orange.
Depuis le salon du cinéma Le Louxor, dont elle gère le bar, Loan Charles fouille frénétiquement des documents qu'elle collecte sur l'agent orange, à la recherche d'explications. La Parisienne se remémore son histoire intimement liée à son état de santé. Atteinte d'une polio dès l'enfance, elle enchaîne les maladies, dont certaines se retrouvent dans la liste des affections reconnues comme pouvant être la conséquence de l'exposition à l'agent orange.
Elle enchaîne les maladies, les problèmes gynécologiques, urinaires, gastriques, dentaires, des douleurs quotidiennes, des hémorragies, l'endométriose et l'adénomyose.
Commence alors un parcours de combattante contre les problèmes gynécologiques, urinaires, gastriques, dentaires, des douleurs quotidiennes, des hémorragies, l'endométriose et l'adénomyose. Elle subit plusieurs opérations, ne peut pas boire d'alcool, manger gras ni sucré. Elle boîte, ne peut pas courir, ne peut pas faire de vélo et « passe son temps à tomber » soupire la cinquantenaire.
« Je suis bancale, je ne peux pas avoir de chaussures classiques, j'ai une atrophie entre les jambes de 10 centimètres et ma jambe gauche ne me sert que de béquille. » À 30 ans, des excroissances commencent à pousser sur son pied gauche. D'abord un orteil pousse sur un orteil, puis un autre sur ce dernier. D'autres « petits membres » suivent du bassin au pied.
« Je veux comprendre »
Loan Charles n'est pas la seule à chercher des explications à son calvaire. À Marseille, un Français de 48 ans naturalisé en 1982 décide d'entamer des démarches pour connaître son taux de dioxine dans le sang. Même s'il doit tout financer lui-même, Quang Minh Vô Dinh est déterminé. Il veut savoir s'il a des traces anormales de dioxines en lui, qu'il craint avoir héritées de sa mère. Celle-ci décède subitement d'un œdème cérébral à 48 ans sans problèmes de santé connus.
C’est d’ailleurs l'âge qu'il atteint cette année et qui agit comme un détonateur. Cet ingénieur en informatique raconte un traumatisme qui se ravive à chaque anniversaire : « La dernière fois que j’ai parlé à ma mère, c'était le jour de mon anniversaire. Je l’appelle et le soir même elle est dans le coma. Deux jours après, elle décède ».
Il fait la corrélation entre le décès de sa mère et ses propres problèmes de santé : la tuberculose à 19 ans, « un mystère pour les médecins », des ganglions dans le cou, une pression artérielle anormale, des examens sanguins surprenants... Sa vie d'adulte est jonchée d'opérations, de traitements médicaux, d'examens complémentaires et de médicaments.
Lorsqu’il souhaite donner son sang à l’Établissement Français du Sang, il reçoit un courrier de l’institution. Son don est refusé après analyse, sans explications. Quang Minh Vô Dinh vit alors dans le doute et veut des réponses, pour lui, pour sa mère et pour ses enfants. Et si les examens confirment que l'agent orange est la cause de la mort de sa mère, il le promet : « Je vais me battre pour sa mémoire ».
Quang Minh Vô Dinh avec son fils. [Photo personnelle.]
« Une question de justice »
Une fois son histoire racontée, Loan Charles paraît soulagée. Malgré toutes les souffrances, elle reste une grande optimiste. Comme Quang Minh Vô Dinh et d'autres Français de la diaspora vietnamienne, elle attend de la France une reconnaissance. Si elle souhaite faire examiner son sang pour vérifier que la dioxine est responsable, elle n'en a pas les moyens financiers. Il faudrait que l'état français légifère et prenne en charge ces démarches. « C'est une question de justice, il y a quand même toute une communauté qui souffre » rappelle Loan Charles qui a déjà envisagé de saisir un tribunal.
Une étude de 2003 estime entre 2,1 à 4,8 millions de Vietnamiens directement contaminés, sans compter les Cambodgiens, Laotiens et même les Américains, Australiens, Canadiens, Néo-Zélandais et Sud-Coréens qui ont participé à la guerre.
« C'est une question de justice, il y a quand même toute une communauté qui souffre »
Mais pour saisir un tribunal, le chemin est encore long et coûteux. Loan Charles franchira peut-être le pas si d’autres victimes potentielles se joignent à elle. L’orpheline souhaite contacter d’autres adoptés français du même orphelinat de Danang, situé dans une des régions les plus contaminées, et voir s’ils ont les mêmes problèmes. Si oui, ils pourraient demander des réparations.
« Je suis obligée de prendre une mutuelle plus chère que les autres » précise-t-elle. Ses espoirs se mélangent à l'incertitude pour son avenir. Lucide, elle sait qu'elle ne pourra pas travailler jusqu'à 64 ans : « Je pense que je vais finir ma vie dans un fauteuil roulant car je n'aurai pas la force de tenir debout ».