Xi Jinping : ce qu'en pensent vraiment les Chinois

Par Sophie Kloetzli

Xi Jinping a gravi petit à petit tous les échelons du Parti communiste chinois pour arriver à la tête de la République populaire de Chine, en novembre 2012. Sa présence sur la scène internationale, sa mainmise sur le parti ou encore la modification de la Constitution (retirant la limitation de mandat du président) ont fait couler beaucoup d’encre et fait réagir de nombreux experts du continent asiatique. Qu’en pensent les Chinois de France et Français d’origine chinoise ? Entre méfiance et fierté nationale, ils nous répondent, à cœur ouvert. 
[Texte : Julie Hamaïde et Blanche Ribault. Illustrations : Blandine Pannequin].

« Cherche à faire une interview en famille en direct durant la visite de Xi Jingping demain matin à Paris pour parler de la vie en France, problèmes et avantages... Des volontaires ?  » Cette annonce, passée sur un groupe privé Facebook durant la visite présidentielle de Xi Jinping à Paris a fait réagir. Les membres craignaient un exercice «  piégeux  » et un traitement faussé. Il serait ainsi difficile en France de s’exprimer sur cette question.

Daniel Tran, président de l’Association des jeunes Chinois de France reconnaît que tous les Chinois de France ou Français d’origine chinoise ne se sentent pas concernés : «  Je ne parle pas particulièrement de politique chinoise avec les étudiants de l’association. J’en parle plutôt avec des Chinois de Chine ou bien avec des personnes intéressées par la politique de base  ». Selon lui, cela tient davantage à un manque de connaissance linguistique ou de transmission familiale que d’une autocensure. «  Il y a une barrière linguistique qui se crée et qui empêche parfois de s’intéresser à ce qui se passe en Chine et donc à sa politique, explique le jeune homme pour qui la deuxième génération est un cas particulier. Ces personnes n’apprennent pas grand chose sur la Chine dans l’éducation française, et si on ne connaît pas l’histoire de sa famille, des guerres qu’elles ont connues... On s’intéresse moins à ce qu’il se passe en Chine désormais.  

Une évolution saluée

Paul, Jérôme et Jonathan* sont trois trentenaires issus de cette deuxième génération. Ils sont nés en France, de parents chinois et ont reçu une éducation biculturelle, se sentant autant Français que Chinois. Le premier travaille dans  la technologie, le deuxième dans l’import-export et le troisième dans la mode. Ils entretiennent des liens commerciaux avec la Chine qui leur permettent de constater l’évolution du pays. «  Tous ceux avec qui je travaille en Chine me disent que chaque année le niveau de vie augmente globalement. Avant, ils bossaient sept jours sur sept, puis six, puis cinq jours et demi et avec des horaires réduits. Ils bossent moins et vivent mieux. C’est dur de se plaindre dans ces conditions  », défend Jérôme. 

« L’autocensure se fait de manière plus culturelle. C’est un pacte que chaque individu a fait avec la société. »

Un avis partagé par plusieurs familles interrogées. Jonathan raconte d’ailleurs une anecdote personnelle et significative : «  Moi j’ai connu le pays en 1998. Je me souviens de mon voyage avec des coupures d’électricité un jour sur deux. C’était ça le quotidien. Aujourd’hui, en Chine, il y a une appétence pour la nouvelle technologie qui est dix fois plus grande qu’à Paris. Le groupe a avancé dix fois plus vite qu’ici  ».

L’autocensure culturelle

Cette notion de «  groupe  » et de «  collectif  » est très chère à la Chine. Dans la société traditionnelle chinoise, l’individu est défini par sa famille, son village ou son clan. Bien que le taoïsme ne nie pas l’idée d’individu, la doctrine légiste insistera sur le devoir pour l’individu de sacrifier sa pensée et son travail à l’État. Le confucianisme remplacera ensuite cette doctrine, compris par le pouvoir impérial chinois comme une philosophie contribuant à l’effacement de l’individu dans une structure hiérarchique : l’individu doit obéissance à sa famille et à l’empereur (ou, plus tard, au Parti). Le régime maoïste et l’idéologie nationaliste chinoise a également eu un impact sur cette conception de groupe, le peuple étant pensé en termes de «  masses  » anonymes dont il faut modeler la pensée.

«  Ça fait beaucoup de différences car ce que tu penses n’a pas toujours d’intérêt pour le groupe. L’autocensure se fait de manière plus culturelle. C’est un pacte que chaque individu a fait avec la société. Moi par exemple, j’accepterais de ne pas voter tant qu’économiquement ça fonctionne  », nous confie Jonathan. Ainsi, pour toute une partie de la communauté chinoise en France, l’essentiel est avant tout le développement de la Chine, qui poursuit son expansion dans le monde. Le président de l’AJCF confirme : «  Je le vois comme une opportunité, particulièrement pour les Français d’origine chinoise qui parlent le mandarin. Je ne le vois pas comme l’extension de l’hégémonie chinoise  ».

La Chine joue ses cartes « et elle a un bon jeu ».

Fin 2018, Arte diffusait le documentaire Le monde selon Xi Jinping, évoquant la politique du gouvernement chinois et ses ambitions européennes. Paul, qui se verrait bien vivre là-bas un jour, estime que la Chine joue ses cartes «  et elle a un bon jeu  ». Selon lui, n’importe quel pays aurait le même réflexe, «  tout comme les USA ont pu le faire, tout comme l’Inde pourra le faire dans dix ans  ». Jonathan lâche : «  En vrai, nous sommes tellement admiratifs. Il est lourd comme président ! Ce n’est pas ironique... En tant que Chinois, je regarde le groupe. Moi je gère une petite entreprise de vingt personnes et c’est la galère. Lui il reprend le pays d’un milliard trois cent mille personnes et en fait une puissance incroyable. Nous pouvons critiquer gratuitement, mais nous sommes tellement fiers de ce qui a été fait que ça dépasse tout. Je préfère voir les choses positivement  ». 

La question des peuples opprimés

Les points positifs évoqués par Jonathan font référence évidemment à la croissance économique, l’amélioration du niveau de vie, le développement technologique, les ambitions écologiques, la révolution de l’e-commerce et des e-paiements... D’un autre côté, certaines libertés fondamentales (droits de l’Homme, liberté publiques) ne sont pas respectées. Poète et auteur dissident, Liao Yiwu a été enfermé et torturé pendant quatre ans pour avoir commémoré dans ses écrits les manifestations de la place Tian’anmen à Pékin au printemps 1989. «  J’ai connu la prison «  classique  ». Quand je suis sorti de cette prison, je suis resté dans une société chinoise qui est elle aussi une immense prison. Nous n'en voyons juste pas les murs  », se remémore-t-il.

À l’évocation de ces hommes et de ces femmes contraints de quitter la Chine ou de ceux qui sont enfermés aujourd’hui dans des camps de «  rééducation  » dans la région du Xinjiang au nord-ouest de la Chine, les discours des Français d’origine chinoise se font plus suspicieux. Jonathan reconnaît : «  Si ces méthodes existent, elles sont horribles évidemment. Personne ne peut soutenir ce genre de choses. Si ce que nous entendons sur les centres d’internement des musulmans est vrai, cela est monstrueux  », avant d’ajouter : «  Je suis suspicieux de manière générale et je n’ai pas cherché à en savoir plus  ». Une méfiance largement partagée par une partie de la communauté qui défend le précepte de Saint Thomas : «  Je ne crois que ce que je vois  ».

L’auteur chinois Liao Yiwu, basé désormais en Europe, a d’ailleurs constaté que les manifestations contre le passage de Xi Jinping en France étaient organisées par les Tibétains et les Ouïghours, «  pas les Chinois  ». Considéré comme une région autonome de Chine, le Tibet connaît en effet une occupation et une répression chinoise de plus en plus fortes dues à la construction des nouvelles routes de la soie. Un grand nombre de Tibétains s’est exilé, certains au nord-ouest de Paris. Il en va de même pour la minorité ouïghoure, dont plus d’un million de membres serait interné dans des «  camps de rééducation  » dans la région autonome du Xinjiang. 

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des interviewés. 

Cet article a été publié dans Koï #11, disponible en ligne


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