Qui sont les Asiatiques des Outre-mer ?

Par Sophie Kloetzli

La métropole française n’est pas la seule à compter des populations originaires d’Asie de l’Est et du Sud-Est. Les territoires et départements des Outre-mer ont aussi été des terres d’accueil. Dans la douleur ou volontairement, comment sont arrivés les premiers Asiatiques ? Comment vivent-ils aujourd’hui ? Dossier spécial DOM-TOM. 

1 / Les Chinois et la Perle du Pacifique

La communauté chinoise de Polynésie française est arrivée sur l’archipel il y a 150 ans. Très représentée dans la population, elle perpétue ses traditions. Zoom sur l’intégration d’un groupe ethnique devenu incontournable sur le territoire.
[Texte : Blanche Ribault. Illustrations : Blandine Pannequin]

Les numéros d’immatriculation remplaçaient leur prénom.  » Cindy Lau, 23 ans, fille d’une mère cantonaise et d’un père hakka (ethnie originaire du sud de la Chine), évoque sans tabou les discriminations subies par ses ancêtres en Polynésie française avant leur naturalisation en 1973. Les premiers travailleurs chinois arrivent sur le territoire polynésien en 1864, engagés dans les plantations de coton et de café par le mandataire écossais William Stewart de la Tahitian Cotton and Coffee Plantation Company. «  Ils devaient payer une taxe d’habitation chaque année. Leurs entrées et sorties du territoire étaient entièrement contrôlées : ils devaient remplir des papiers de sortie du pays, sans quoi ils ne pouvaient plus revenir à Tahiti  », poursuit la jeune femme. Ces discriminations perdurent en 1892, lorsque l’entreprise fait faillite et que la plupart des travailleurs sont rapatriés ou se reconvertissent dans le commerce, la restauration et le maraîchage.

Les 2 500 Chinois qui arrivent en Polynésie française en 1907 ne se doutent pas qu’ils feront eux aussi les frais de cette ségrégation, et que l’arrivée au pouvoir de Mao en Chine en 1949 écartera pour eux toute possibilité de retour au pays. Aujourd’hui, pour cette jeune habitante de Tahiti, la page est tournée et plus rien ne différencie la manière dont sont traités les Tahitiens de celle dont sont traités les Chinois en Polynésie française : «  Je ne ressens aucun racisme de la part des Tahitiens. Nous sommes parfaitement intégrés. La preuve est qu’aujourd’hui, ici, de plus en plus de Français et de Tahitiens veulent apprendre la langue chinoise, et cela dès la 5 e  au collège  ». Cindy Lau parle couramment cinq langues au quotidien : le français et le mandarin, tous deux appris à l’école, le cantonais qu’elle parle avec sa mère, le hakka appris avec son père, et l’anglais. Aujourd’hui professeure de mandarin dans un lycée à Papeete, capitale de l’archipel, elle encourage les jeunes à s’intéresser à la langue et à la culture de ses parents : «  À Tahiti, la plupart des Chinois parlent le hakka. J’essaye donc, au travers de mes cours, de faire perdurer cette langue en montrant ses similitudes avec le mandarin  ».

Cuisine et célébrations

Plus populaire encore auprès de la population locale : la cuisine chinoise, qui se consomme dans plus d’une cinquantaine de restaurants spécialisés éparpillés dans l’archipel, foodtrucks inclus. Les propriétaires du restaurant Le Jasmin à Papeete, spécialisé dans les plats chinois depuis son ouverture en 2011, s’étonnent encore de son succès auprès de toutes les populations polynésiennes pour qui manger chinois fait presque partie du quotidien. «  Contrairement à ce que l’on pourrait croire et malgré l’importante taille de la communauté chinoise en Polynésie, notre clientèle n’est pas essentiellement constituée de personnes de cette origine !  »

Le restaurant joue par ailleurs le rôle de traiteur lors d’évènements organisés par l’importante association chinoise de Polynésie française, le Si Ni Tong. Créé en 1911, le Si Ni Tong comprend dix associations membres au total. Parmi les rassemblements animés par ces groupes : la célébration du Nouvel An lunaire, accueillie par le temple chinois Kanti construit à Papeete en 1987 et tenu par le président du Si Ni Tong, Richard Chenoux. Ce sont également les associations qui organisent deux fois par an la période de kasan, aussi appelée «  culte des ancêtres  », lors de laquelle la communauté se rassemble au cimetière chinois d’Arue pour rendre hommage aux proches disparus. Des occasions pour les Chinois de se réunir, et l’opportunité pour les Polynésiens curieux de découvrir les rites d’une communauté qu’ils côtoient au quotidien.

Bien plus qu’un Chinatown

Tout en conservant ses traditions, la communauté a su s’intégrer entièrement à la société polynésienne en tenant la grande majorité des commerces de l’archipel, plus particulièrement à Tahiti... au point qu’un Tahitien, sortant faire ses courses, utilise parfois l’expression : «  Je vais en Chine  » ! Sans être regroupées au sein d’un même Chinatown, ce qui était plutôt le cas jusque dans les années 1940 à Papeete, de nombreuses épiceries chinoises occupent aujourd’hui les rues polynésiennes. Médicaments, vaisselle, vêtements et produits alimentaires se vendent comme des petits pains chez Youn Youn, la plus connue de l’archipel. C’est elle qui fournit aux grandes surfaces locales des friandises chinoises très appréciées de la population locale. L’épicerie s’est installée à Papeete aux côtés de grossistes, comme Wan Import, et autres magasins d’alimentation générale, tels que Yinket.

Chinois, Tahitien ou Français ?

Qui dit mélange et intégration des communautés, dit forcément métissages. La plupart des Chinois cumulent aujourd’hui deux, voire plusieurs origines différentes : franco-chinoises, sino-tahitiennes... Pour Cindy Lau, une chose est sûre : «  Les Chinois «  purs  » se font de plus en plus rares  ». Apparaît alors un nouveau défi pour la communauté : celui de la recherche identitaire des plus jeunes. «  Ils ne savent plus parler la langue et ne connaissent pas vraiment l’histoire de leurs ancêtres  », regrette la jeune femme. Elle-même a fait face à ce questionnement identitaire : «  Je ne savais pas si j’étais chinoise, française ou tahitienne  ». Celle qui se dit désormais «  chinoise en pensée, française en parole et tahitienne en action  » a pris son courage à deux mains et s’est envolée vers Paris en 2014 pour suivre une licence en langue, littérature et civilisation chinoise à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Étape nécessaire pour renouer le lien avec ses origines et accepter son identité sous toutes ses nuances : «  Aujourd’hui, je sais qui je suis. Et je sais que ce mélange culturel est une richesse dont je peux être fière  ».

2 / De la Chine à l'Île Bourbon, (ré)union de deux cultures

Depuis plusieurs générations, la communauté chinoise contribue à faire de La Réunion une terre de métissage. Comment s’est-elle implantée ? Quelle est son histoire ? Zoom sur une immigration qui prend racine au XIX e  siècle.
[Texte : Marie Nahmias. Illustrations : Blandine Pannequin]

Pour beaucoup, La Réunion s’appelle ainsi car elle est le lieu de brassage d’une multitude de populations. Sur 2 512 km 2 , se mélangent cultures et peuples venus d’Afrique de l’Est, d’Europe, d’Inde, de Madagascar, des Comores et de Chine. «  Nous estimons que les Réunionnais d’origine chinoise représentent 4 à 5 % de la population du département  », souligne Jerry Ayan, qui a dirigé pendant huit ans la Fédération des associations chinoises de La Réunion (FAC). Minoritaire, la communauté a pourtant participé à dessiner le visage de l’île.

À travers tout le territoire s’organisent régulièrement des manifestations cultuelles et traditionnelles propres à ses coutumes. «  Le Nouvel An lunaire et la fête de Guan Di sont célébrés tous les ans. Ce sont des rendez-vous fédérateurs. Les gens qui viennent ne sont pas forcément d’origine chinoise  », s’enthousiasme Jerry Ayan.  «  Le temps de ces évènements, on observe une réelle solidarité, confirme Roland Chane Kon, président du temple Chane à Saint-Denis. Pour clôturer chaque grande fête, il y a un repas de partage. De plus en plus de Réunionnais issus de tous horizons y participent.  »

Un autre domaine a fortement été marqué par les habitudes chinoises : la cuisine. Si une grande partie de la consommation quotidienne de riz est souvent imputée aux repas indiens, de nombreuses spécialités de Chine font désormais partie des plats locaux. «  Tout le monde ici connaît les mines sautées (nouilles accommodées), les bouchons (vapeurs chinoises), les sarcives (viande de porc grillée et sucrée), les shopsuey (légumes sautés)  », assure Edith Wong-Hee-Kam, auteure d’une thèse sur la diaspora chinoise aux Mascareignes.

Descendants d’une immigration libre

Ce métissage sino-réunionnais commence dès 1844. «  À l’époque, il y a un essor considérable de la canne à sucre et cette économie nécessitait beaucoup de bras, détaille la chercheuse. En prévision de l’abolition de l’esclavage [en 1848, NDLR] , l’île fait appel à de la main-d’œuvre chinoise.  » Sur place, pourtant, les conditions de travail sont proches de celles que rencontrèrent les esclaves africains ou malgaches. Loin d’apprécier le traitement servile qui leur est réservé, les Chinois sous contrat se rebellent et finissent presque tous par quitter l’île. Aujourd’hui, l’essentiel des descendants de l’Empire du milieu sont issus d’une immigration volontaire. «  Un de mes soucis est d’expliquer aux gens de la communauté qu’ils viennent de ce second type d’immigration. Il y a une confusion dans leur tête et c’est problématique, car il s’agit d’une contre-vérité historique. Ce ne sont pas les mêmes profils socio-professionnels, ni les mêmes profils linguistiques.  »

Jusqu’au milieu du XX e  siècle, des milliers de personnes originaires du sud de la Chine gagnent ainsi La Réunion. La plupart ont l’intention de retourner dans leur pays natal après avoir amassé assez d’argent. «  Mon grand-père est venu ici en tant qu’homme libre pour ouvrir une petite épicerie, raconte Roland Chane Kon. Lorsqu’il a eu suffisamment d’argent, il est reparti en Chine et a laissé mon père reprendre l’activité. Comme c’était souvent le cas pour les femmes, ma mère est arrivée bien après.  » En raison de l’instauration du régime communiste chinois, en 1949, et de la guerre sino-japonaise, beaucoup d’immigrés seront toutefois contraints de rester à La Réunion. «  Ce n’était pas possible pour eux de revenir, ils s’exposaient à de trop gros risques.  »

Une quête identitaire

À l’instar du grand-père de Roland Chane Kon, nombreux étaient les Chinois à tenir de petites boutiques d’alimentation générale en arrivant dans l’océan Indien. Et ce, jusque dans les endroits les plus reculés de l’île. «  Aujourd’hui, quasiment aucun de leurs descendants n’est resté dans le commerce, précise Edith Wong-Hee-Kam. Dès la deuxième génération, les parents ont poussé leurs enfants à faire des études.  »

Devenus enseignants, fonctionnaires, médecins ou entrepreneurs, ces hommes et ces femmes ont grandi éloignés de leurs origines. La plupart n’ont pas appris la langue de leurs parents. Une telle fracture s’explique par la fermeture des écoles franco-chinoises et la départementalisation de La Réunion en 1946, qui impose une assimilation au modèle français et occidental. Il faut attendre les années 1980 pour que ces Français d’origine chinoise se réapproprient pleinement leur culture. Le territoire assiste alors à la création de nombreuses associations. «  Des cours de mandarin, de calligraphie, de danse voient le jour. Il y a clairement, à ce moment-là, un mouvement de la communauté pour renouer avec ses racines  », rapporte Jerry Ayan.

Ce fort engagement aboutit en 2010 à l’ouverture d’un Institut Confucius [équivalent de l'Alliance française], hébergé à l’Université de La Réunion, et à la création d’un consulat général de Chine, le seul installé dans un département d’Outre-mer. «  Tout en étant bien intégrés, ces exemples témoignent de notre attachement à nos origines, se réjouit Jerry Ayan. Au fil du temps, nous avons réussi à trouver un bon équilibre.  » L’ancien président de la FAC a pour habitude d’illustrer cette évolution par un jeu de mots. «  Lorsqu’ils sont arrivés, nos ancêtres étaient des Chinois d’Outre-mer, des COM. Les gens de ma génération, eux se considèrent comme des Réunionnais d’origine chinoise, des ROC  », lance-t-il pour signifier l’ancrage et la solidité de cette double culture.

3 / Des petits commerces à la gastronomie, les Asiatiques ont conquis la Nouvelle-Calédonie

Ils sont d’origines indonésienne, vietnamienne, chinoise et même japonaise. Présents sur le territoire depuis plus d’un siècle, les Asiatiques de Nouvelle-Calédonie ont tracé leur chemin entre mélanges culturels et respect des coutumes d’origine.
[Texte : Blanche Ribault. Illustrations : Blandine Pannequin]

Loin des yeux, mais très près du cœur : c’est le message ensoleillé que nous transmet Loan Favan. Née et élevée à Nouméa par un père vietnamien et une mère franco-indienne, l’étudiante en arts s’inspire aujourd’hui de ses origines pour bon nombre de ses travaux à la Design Academy d’Eindhoven aux Pays-Bas. Collection de textiles dorés inspirés du lucky cat et séries de bijoux rappelant les rituels kanaks viennent colorer les pages de son portfolio. La jeune femme de vingt-trois ans a quitté son île natale dès l’obtention de son baccalauréat, mais est loin d’oublier d’où elle vient. Vietnam, Inde et Nouvelle-Calédonie sont tous trois les points de départ de réflexions et de valeurs qu’elle entend bien défendre. «  Ce sont des histoires qui font sens pour moi et auxquelles je suis attachée. Les questions identitaires que je me pose me poussent à créer de nouvelles pièces autour de mon pays, de mes origines et de mes croyances.  »

Melting-pot d’habitudes

Ces croyances et cette culture d’origine ne se retrouvent pas seulement dans ses travaux mais aussi dans son quotidien, qu’elle qualifie de «  melting-pot : un peu de vietnamien, d’indien, de français et de calédonien !  » Repas vietnamiens et fêtes de famille régulières font en effet partie des habitudes d’un grand nombre d’habitants de cette communauté, dont la culture s’est largement diffusée à travers la nourriture. «  Mes grands parents ont une supérette alimentaire. Tous les petits commerces asiatiques de proximité de l’île sont tenus par des Vietnamiens, explique l’étudiante. Tout le monde en Nouvelle-Calédonie s’y rend régulièrement, voire chaque jour, pour s’acheter des nems, des rouleaux de printemps et d’autres plats typiques  ».

La cuisine indonésienne, elle aussi, connaît un certain succès en Nouvelle-Calédonie. Stéphanie Sarijoen, métisse d’origine indonésienne et mélanésienne, cuisine pour ses amis et sa famille à Nouméa : «  On me demande souvent de concocter un bami [vermicelle de riz avec des légumes, plat le plus consommé en Indonésie, NDLR]  ou un gâteau claquettes [gâteau de farine de tapioca au lait de coco]  ».

Chu Thi Linh, vingt-quatre ans, née à Haï Duong au Vietnam, a elle aussi conservé les us et coutumes de son pays d’origine depuis son arrivée en Nouvelle-Calédonie à l’âge de quatre ans avec sa grande sœur et sa mère : «  J’ai toujours adoré manger par terre comme je le fais encore dans ma famille paternelle. Mes amis ici ne comprenaient pas au début, et maintenant, ils adorent !  » Les origines vietnamiennes de la jeune femme se devinent dans ses petites habitudes mais aussi, selon elle, dans l’éducation qu’elle a reçue : «  Dès le plus jeune âge, nous apprenons à plier le linge, faire à manger, faire le ménage et aider nos parents au travail afin de soutenir financièrement les membres de la famille restés au Vietnam  ».

Dialogue des cultures

Tout en perpétuant les coutumes et les pratiques religieuses les plus traditionnelles que sont le culte des ancêtres ou le Nouvel An lunaire, Chu Thi Linh se réjouit du rapprochement de sa génération avec les autres communautés de Nouvelle-Calédonie grâce à une langue commune : le français. «  Nos parents se mélangeaient beaucoup moins que notre génération car ils ne parlaient que le vietnamien. Nous, nous le pratiquons à la maison mais avons aussi tous appris la langue de Victor Hugo à l’école.  »

Cependant, l’apprentissage du français n’efface pas la langue d’origine, bien au contraire : Thierry Timan, président de l’Association indonésienne de Nouvelle-Calédonie, métis né d’un père indonésien et d’une mère calédonienne, tente de transmettre cette richesse linguistique en l’utilisant avec ses deux enfants. Il les a inscrits à des cours de langue dispensés au foyer dédié de Nouvelle-Calédonie, et les emmène en Indonésie régulièrement. Le rapprochement et la solidarité entre les communautés sont tels que ni Chu Thi Linh ni Stéphanie Sarijoen n’ont été témoins de racisme envers les communautés vietnamienne ou indonésienne sur l’île. Selon Loan Favan, c’est plutôt lors de son année en métropole qu’elle a ressenti une certaine discrimination.

« En Nouvelle Calédonie, nous sommes déjà dans une situation de crise identitaire en tant que Français du Pacifique » Loan Favan

« On me demandait de justifier, avec un tas de paperasse, que j’étais bien française malgré le fait que je sois née sur un territoire français. La personne à qui je louais un appartement est allée jusqu’à me demander de payer six mois de loyer à l’avance...  » Thierry Timan insiste cependant sur la différence de traitement qu’il peut y avoir entre un ressortissant indonésien et un natif calédonien, due au processus de décolonisation : «  À compétence égale, ce sera forcément un natif de Nouvelle-Calédonie qui sera retenu pour un emploi. De même, un ressortissant indonésien ne peut pas travailler au sein de l’administration française  ».

Triple crise identitaire

Le président de l’Association indonésienne de NouvelleCalédonie précise néanmoins que cette différence de traitement ne s’applique pas à une grande partie des descendants des Javanais, ayant fait souche en Nouvelle-Calédonie après les derniers convois de 1953. Ils sont aujourd’hui de nationalité française et se considèrent comme néocalédoniens d’origine javanaise/indonésienne. Sentiment partagé par d’autres habitants d’origine vietnamienne, dont Loan Favan : «  En Nouvelle-Calédonie, je pense qu’on se sent tout d’abord calédonien, mais nos origines font aussi partie de la construction de notre nationalité calédonienne, c’en est même la particularité. C’est une question spécifique car nous sommes déjà dans une situation de crise identitaire en tant que Français du Pacifique. Nous sommes fiers d’être français mais nous nous revendiquons et nous nous sentons vraiment calédoniens, et je pense que nos origines viennent poser notre marque de fabrique sur tout ça ».

Actuellement au cœur des débats sur le territoire, cette réflexion sur l’identité a incité l’étudiante à consacrer une collection entière à la question de l’indépendance néocalédonienne. Elle fait suite au référendum d’autodétermination organisé en novembre 2018. Pour ou contre une indépendance ? Les habitants d’origine asiatique sont divisés. Mais ils se rassemblent autour d’un constat : leur identité, paradoxalement, trouve sa force dans la multiplicité.

4 / Chinois et Hmong  : la vie des communautés asiatiques de Guyane

Mosaïque multi-ethnique, la Guyane accueille parmi ses nombreuses communautés des Chinois et des Hmong du Laos. Les Asiatiques sont toutefois assez rares dans les départements d’outre-mer sud-américains – la faute, en grande partie, aux quelques 15 000 kilomètres qui les séparent de l’Asie du Sud-Est.
[Texte : Sophie Kloetzli. Illustrations : Blandine Pannequin]

Amérindiens, Créoles, Bushinengués, Français de métropole, Surinamais, Haïtiens, Brésiliens... mais aussi Chinois et Hmong : la population guyanaise est un vaste patchwork d’identités ethniques et culturelles. Ces deux communautés asiatiques sont parvenues à se faire une place dans la société locale, et avec elles leurs histoires, leurs traditions, leurs langues et leurs activités économiques de prédilection : commerce pour les Chinois, agriculture pour les Hmong. En partie alliés aux Français et aux Américains pendant les guerres d’Indochine et du Vietnam, les Hmong fuient les violences dont ils sont victimes dès 1975, année de la victoire communiste au Laos. Parmi eux, 20 000 rejoignent les camps thaïlandais où s’entassent des milliers de réfugiés de toutes les ethnies, avant d’émigrer en masse vers les États-Unis et la France, notamment en Guyane.

Laurie Va Ly Po, présidente de l’association hmong Teej Tug basée à Cayenne, raconte : «  Mes grands-parents faisaient partie des premiers arrivés en 1977. On les a amenés sur le site de Cacao, Entre 1977 et 1988, plusieurs centaines de Hmong s’installent dans les villages en marge de la société guyanaise. à 80 kilomètres de Cayenne, dans la forêt, où ils ont ensuite créé le village et construit eux-mêmes leur maison. Ils étaient agriculteurs, et avaient amené des outils du Laos. Ils ont reçu une petite rente de la part de l’État et on leur a attribué des champs. Ils ont ensuite formé une coopérative, et se sont mis à vendre sur le marché de Cacao, puis de Cayenne...  »  Entre 1977 et 1988, plusieurs centaines de Hmong s’installent ainsi dans quelques villages en marge de la société guyanaise.

Deux communautés chinoises

Plus grande communauté asiatique de Guyane, les Chinois sont arrivés dans le département sud-américain au cours de plusieurs vagues d’immigration successives. La première remonte à 1820, lorsque l’ancienne colonie française fait venir vingt-sept travailleurs originaires de Shenzhen, dans la province du Guangdong, pour y développer la culture du thé. L’opération se solde par un échec : les agriculteurs se reconvertissent dans le petit commerce et se créolisent en apprenant la langue et en épousant des Guyanaises. Dès 1860, et jusqu’au début du XXe siècle, une nouvelle vague, plus importante, fait son apparition dans le contexte des guerres de l’opium. «  Dans ma famille, le premier arrivé était mon grandpère, dans les années 1900  » , raconte ainsi Joseph Ho, aujourd’hui à la tête de l’association des Chinois de Guyane, baptisée Fa Kiao («  Chinois d’Outre-mer  »). «  Il venait de Canton. La Chine était alors dans le chaos, affaiblie par les guerres successives avec les puissances occidentales (les guerres de l’opium). Il y avait de la famine, de la misère. Beaucoup de Chinois sont partis chercher une vie ailleurs. À l’époque, on disait qu’il y avait de l’or en Guyane. En réalité, il n’était pas si facile de l’exploiter. Quand il est arrivé, il a rapidement créé son petit commerce à Cayenne  ».

La troisième vague, quant à elle, est née d’une histoire peu ordinaire. Un certain M. Kuo, de la ville de Qingtian (dans la province de Zhejiang, non loin de Shanghai) s’installe à Cayenne pour des raisons familiales, où il ouvre son magasin de photo. Il fait ensuite venir un ami, qui lui-même en fera venir d’autres, amenant toute une partie de la communauté de Qingtian dans le chef-lieu guyanais. À en croire M. Ho, la communauté chinoise regroupant les trois dernières générations représente aujourd’hui 10 000 individus. «  Les immigrés récents connaissent des diff icultés à s’intégrer : l’association est donc là pour les aider  »,  explique-t-il avant de préciser que ceux-ci œuvrent en majorité dans le petit commerce et la restauration – si bien  qu’en Guyane, quand on va faire ses courses, on a l’habitude de dire qu’on va «  chez le Chinois  ». À l’inverse, «  ceux qui sont là depuis longtemps sont généralement bien intégrés : il y a des médecins, des avocats, des pharmaciens...En revanche, ils sont nombreux à ne plus parler leur langue d’origine ».

Entre 1977 et 1988, plusieurs centaines de Hmong s’installent dans les villages en marge de la société guyanaise.

Installée à Cayenne depuis 1957, l’association tâche de préserver la culture et les traditions de ses ressortissants, en organisant des événements culturels (notamment à l’occasion du Nouvel An lunaire) et en proposant des cours de langue aux enfants issus de l’immigration chinoise. Et d’encourager la solidarité entre ses membres : car même si les Chinois ne sont plus autant victimes de racisme que dans les années 1980 et 1990, leur succès économique fait encore des jaloux, tempère-t-il en évoquant malgré tout une «  société multiculturelle et ouverte  » .

Les Hmong, réfugiés convertis au maraîchage

En partie alliés aux Français et aux Américains pendant les guerres d’Indochine et du Vietnam, les Hmong fuient les violences dont ils sont victimes dès 1975, année de la victoire communiste au Laos. Parmi eux, 20 000 rejoignent les camps thaïlandais où s’entassent des milliers de réfugiés de toutes les ethnies, avant d’émigrer en masse vers les États-Unis et la France, notamment en Guyane. Laurie Va Ly Po, présidente de l’association hmong Teej Tug basée à Cayenne, raconte : «  Mes grands-parents faisaient partie des premiers arrivés en 1977. On les a amenés sur le site de Cacao, à 80 kilomètres de Cayenne, dans la forêt, où ils ont ensuite créé le village et construit eux-mêmes leur maison. Ils étaient agriculteurs, et avaient amené des outils du Laos. Ils ont reçu une petite rente de la part de l’État et on leur a attribué des champs. Ils ont ensuite formé une coopérative, et se sont mis à vendre sur le marché de Cacao, puis de Cayenne...  »  Entre 1977 et 1988, plusieurs centaines de Hmong s’installent ainsi dans quelques villages en marge de la société guyanaise. 

Depuis, la communauté a grandi : ils seraient environ 2 000. Et les traditions ont évolué : les jeunes commencent à se diriger vers les métiers du tertiaire et à faire leurs études à Cayenne. «  J’ai constaté que les savoir-faire tendaient à disparaître et je trouvais dommage de les perdre. Les enfants parlent aujourd’hui plus le français que le hmong...  », souligne sa présidente tout en se réjouissant de l’ouverture de la communauté vers le reste de la société :  «  Nous parlons français, nous formons des couples mixtes avec des Guyanais, nous avons des amis d’autres ethnies  » . Même la culture hmong, encore méconnue de la population locale, suscite désormais la curiosité. Les festivités du Nouvel An hmong, mais aussi le marché de Cacao, où l’on peut déguster entre autres le nam van  (un dessert laotien aux perles de tapioca et au lait de coco), attirent un large public. 

Ce dossier a été publié dans Koï #10, disponible en ligne.


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