La 93ᵉ cérémonie des Oscars aura fait la part belle aux cinéastes et acteurs asiatiques. Nomadland de la réalisatrice chinoise Chloé Zhao a obtenu le prix du meilleur film, de la meilleure réalisatrice et de la meilleure actrice (Frances McDormand). Youn Yuh-jung est quant à elle devenue la première actrice coréenne primée par les Academy Awards pour son rôle dans Minari du réalisateur coréano-américain Lee Isaac Chung. Un succès qui s’inscrit dans un mouvement vers plus de diversité. Nous avons demandé à Nathalie Dupont, maîtresse de conférences en civilisation américaine à l’Université du Littoral Côte d'Opale et spécialiste du cinéma américain contemporain des majors, ce que représentait ce palmarès du point de vue de Hollywood.
[Texte : Sophie Kloetzli]
Comment interprétez-vous le palmarès des Oscars, en particulier la victoire de Nomadland et de l’actrice de Minari ?
Cela correspond à l’ouverture de l’Académie des Oscars, à une plus grande prise en compte de certains acteurs et réalisateurs, et c’est très bien. Elle s’ouvre un peu plus aux minorités, puisque ça avait été le gros reproche qu’on lui avait fait à partir de 2015 et à juste titre [au moment de l’apparition du hashtag #OscarsSoWhite, l’Académie était à 75% masculine et 92% blanche, NDLR]. Ce palmarès est une bonne nouvelle mais si vous prenez Hattie McDaniel – première interprète afro-américaine à recevoir un Oscar pour son rôle dans Autant en emporte le vent en 1940 – ce n’est pas pour autant que la vision des Noirs à Hollywood a changé avant au moins les années 1970. À voir donc si cela s’inscrira à moyen terme, notamment du côté des grosses productions. Car les Oscars ne sont pas le reflet du fonctionnement industriel des studios américains.
She did it! Oscar winner Chloé Zhao stopped by the V.F. #Oscars portrait studio after her history-making wins for Best Directing and Best Picture.
— The Academy (@TheAcademy) April 26, 2021
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Ce palmarès ne préfigure donc pas immédiatement un changement à Hollywood, en termes de diversité et d’ouverture sur l’Asie ?
Nomadland est un film typique « Oscars », produit par une petite compagnie avec un budget qui n’est pas énorme. Ce n’est pas ça qui va révolutionner le mode de fonctionnement des studios hollywoodiens. Pour ce qui est du pan asiatique, on observe néanmoins une volonté de conquérir des parts de marché en Chine, avec l’inclusion de certains interprètes chinois comme Donnie Yen et Jiang Wen dans Rogue One : A Star Wars Story (2016). Dans les Avengers, vous avez des scènes tournées pour le public chinois qui ne figurent pas dans les versions originales, avec des placements de produits spécifiquement chinois. Il y a aussi des investissements chinois aux États-Unis, notamment à travers le groupe Wanda qui a acquis AMC Theatres, l’une des plus grandes chaînes de salles de cinéma aux États-Unis.
Qu’en est-il de Minari (produit par la société de production américaine Plan B Entertainment) ou encore de Parasite qui avait été primé aux Oscars en 2020 ? Le cinéma coréen semble gagner du terrain à Hollywood…
C’est un cinéma d’art et d’essai, les studios peuvent s’y intéresser pour alimenter notamment leur circuit de distribution à l’étranger. Mais aux États-Unis, ça sera plutôt dans les salles attirant une certaine catégorie de la population de la Côte Est et de la Côte Ouest, et éventuellement sur certaines plateformes pour redorer leur blason. Il est possible que le changement arrive plus vite de ce côté-là en termes de diversité et de représentation parce qu’elles prennent peut-être plus de risques, produisent spécifiquement certaines séries pour des pays… Alors que le fonctionnement des studios hollywoodiens, qui se préoccupent avant tout de ce que ça va leur rapporter, ne favorise pas du tout la prise de risques.