Le club des puissants franco-chinois

Par Julie Hamaïde
Photo de Christelle Pécout

En dix ans, Harold Parisot a fait du Chinese Business Club un lieu de pouvoir où se croisent patrons, politiques et fortunes franco-chinoises.

C’est l’histoire d’un jeune Français qui n’avait jamais mis les pieds en Chine, qui ne parlait pas un mot de mandarin mais qui a créé en 2012 un club d’affaire franco-chinois qui se voulait déjà haut de gamme. Harold Parisot, né à Neuilly-sur-Seine et diplômé de l’ESSEC en 2000 y est rentré « sans trop savoir ce [qu’il voulait] faire », dit-il de son propre aveu. Après avoir travaillé huit ans dans les télécoms, gérant un porte-feuille de grands comptes, puis auprès du courtier Patrim’One spécialisé dans la clientèle fortunée internationale, il se met à son compte en 2010. « J’ai fait un peu d’immobilier, de transaction pendant deux ans », évoque-t-il sans s’attarder. « Il se trouve qu’à ce moment-là, j’étais en contact avec pas mal d’investisseurs chinois, souvent à Paris, qui souhaitaient rencontrer des politiques français, des chefs d’entreprises, des marques françaises. »

Ni une ni deux, la marque Chinese Business Club est déposée, les noms de domaine réservés. Si quelques copains lui déconseillent de se lancer dans une telle aventure, lui se dépêche de la mettre en pratique avant de se faire piquer l’idée. En septembre 2012, il organise au Polo de Paris — un club sportif privé situé à l’est de la capitale — son tout premier déjeuner d’affaire. « Ça n’a pas été simple. » S’il réussit à réunir cinquante membres qui ne payent alors que leur couvert, les Chinois se comptent sur les doigts d’une seule main.

 

« On n’est pas là pour partager nos photos de la Grande Muraille. Ce que je veux, c’est que les gens fassent du business »

 

Un grand patron chinois préférant rester anonyme se souvient : « C’était un déjeuner près du bois de Boulogne. Harold nous a présenté les objectifs de création du club et nous avons fait connaissance avec les autres participants dans une ambiance conviviale ». « Au début, les gens sont venus par curiosité, très sincèrement. Il y en a même un ou deux venus par gentillesse. C’est le cas de Michèle Alliot- Marie ou de Laurent Dassault », reconnaît Harold Parisot en toute transparence. D’ailleurs, la transparence est de rigueur dans le club. Tous les membres sont identifiés sur le site et la cotisation annuelle commence à 9 500 euros — certains peuvent dépenser jusqu’à 75 000 euros pour des prestations sur-mesure.

Et l’objectif du club est on ne peut plus clair : « On n’est pas là pour partager nos photos de la Grande Muraille. Ce que je veux, c’est que les gens fassent du business » explique, cash, Harold Parisot. Il développe : « Faire venir plus d’étudiants chinois en France, plus d’investisseurs, plus de touristes. Pourquoi ? Pour que tout cet argent soit dépensé chez nous, en France, pas à Londres, Madrid ou Lisbonne ». Un potentiel financier « monstrueux ». « Les touristes chinois en France dépensent en moyenne 7 000 euros en dehors des billets d’avion [le Comité régional du tourisme de Paris estime ce budget à 1 128 euros hors transport]. À nous, Français, de les attirer chez nous plutôt que de les laisser filer ailleurs. »

Des signatures de contrats
Comme son nom l’indique, et suivant la ligne directrice du père fondateur, le Chinese Business Club existe pour faire des affaires et faire signer des contrats. Mais qu’en est-il vraiment ? Quelques rumeurs courent sur le groupe Dassault qui aurait vendu des Falcons — ces jets d’affaire haut de gamme qui valent des dizaines de millions d’euros à l’unité — à une grande fortune chinoise. Ou sur la maison Orlane qui aurait installé deux spas à Pékin et deux à Hangzhou grâce à l’intermédiaire du club. « Aujourd’hui, il y a plein de Français qui veulent faire du business avec les Chinois et qui trouvent chaussure à leur pied », indique Harold Parisot.

Dans les faits, les déjeuners — environ dix par an — dans des restaurants de luxe pouvant accueillir deux cents personnes, sont précédés de cocktails. « Une heure trente debout, avec énormément d’échanges de cartes de visite », explique Harold Parisot. Guillaume de Roquefeuil, PDG de la start-up EuroPass qui propose des services de gestion de médias sociaux chinois, de réservation et paiement mobile, est entré dans le club en 2016 et renouvelle son adhésion chaque année. « Les gens viennent tôt pour le cocktail. Harold dit bonjour à tout le monde et nous met en relation : Il y a untel, est-ce que je peux te le présenter ? » Il raconte que le fondateur du Chinese Business Club l’a ainsi mis en face de Guillaume Pépy, PDG de SNCF Mobilités. « Il m’a écouté trente secondes et m’a indiqué le bon interlocuteur. La semaine d’après, j’avais un rendez-vous. Sans ça, j’aurais été incapable de savoir à quel service m’adresser. » Ainsi, depuis 2019, la start-up parisienne a accompagné le lancement du compte WeChat de SNCF Gares & Connexions, en mandarin, dans dix-huit gares françaises. « Aujourd’hui, la SNCF et la RATP sont nos clients » annonce fièrement le PDG. Il compte également La Vallée Village, « client stratégique » connu à un déjeuner.

 

Cerise sur le gâteau : les invités d’honneur. Monica Bellucci, Sophie Marceau, Carla Bruni-Sarkozy, Albert de Monaco mais aussi Anne Hidalgo ou Emmanuel Macron.

 

Ces rendez-vous peuvent être des mines d’or à l’en croire. Guillaume de Roquefeuil parle de la « richesse » de ceux qui y viennent et de la « pertinence » des entreprises pour lesquelles ils travaillent. « On paye pour ça. » Un vivier de puissants, de grandes fortunes, de décideurs. La liste des participants au prochain dîner en est la preuve : Alexandre Arnaud (Rimowa), Vincent Billiard (Hôtel de Crillon), Laurent Dassault (groupe Dassault), Bertrand Frohly (Filorga), Yann Gillet (hôtel Martinez Cannes), Anne-Marie Idrac (Air France), Marc-Antoine Jamet (LVMH), Jacques Seguela (Havas)… Pour beaucoup, les déjeuners du Chinese Business Club sont aussi — surtout ? — l’occasion de se retrouver.

Pour le patron chinois présent depuis les débuts du club, les membres sont pour la plupart des sociétés qu’il connaissait déjà avant la création du club. Il ajoute : « C’est pour nous l’occasion de nous rencontrer au même endroit et lorsque de nouvelles entreprises chinoises arrivent en France, nous n’hésitons pas à leur recommander le club pour créer leur réseau. » 

Cerise sur le gâteau : les invités d’honneur. Monica Bellucci, Sophie Marceau, Carla Bruni-Sarkozy, Albert de Monaco mais aussi Anne Hidalgo, Emmanuel Macron lorsqu’il était ministre de l’Économie, ou Benjamin Griveaux lorsqu’il candidatait à la Mairie de Paris... Ils sont des raisons de plus pour les membres du club de réserver un créneau dans leur emploi du temps, comme ce patron chinois qui se souvient encore du déjeuner avec le PDG d’Air France ou de celui avec Emmanuel Macron. « Aucun n’a été rémunéré pour venir », assure le créateur du club. « Macron est celui qui m’a le plus impressionné par sa très forte personnalité. Lui, à ce moment-là, était plutôt vu comme un ministre de gauche de François Hollande. Avant qu’il arrive, tout le monde était dubitatif et lorsqu’il est reparti nous nous sommes dit qu’un jour il serait président de la République. »

 

 

Lobbying assumé 
Entre les grands patrons, les politiques et les représentants de l’ambassade de Chine, les échanges fusent. L’occasion aussi pour que chacun prêche pour sa paroisse. Du lobbying, demande-t-on à Harold Parisot ? « Moi ça ne me dérange pas. C’est un club à l’anglo-saxonne, les gens sont là pour faire du business. Les patrons qui fréquentent le club sont agréablement surpris de ce côté très cash. Avec les Chinois, dans un repas d’affaire, on parle du contrat, on se met d’accord sur les termes et ensuite on trinque. En France, c’est complètement hypocrite : entrée, plat, dessert, on parle de la pluie et du beau temps et après le dessert on commence à évoquer l’appel d’offre ou le contrat. Je suis Français mais je préfère la mentalité chinoise dans le business, plus efficace. Qu'y a-t-il de mal à faire du business ? Le terme de lobbying ne me dérange pas. »

Et pour que tout se passe comme sur des roulettes, il faut que tout soit bien carré, à commencer par la liste des invités. Pour cela, Harold Parisot n’a pas d'autre recette magique pour sélectionner les membres que son instinct. « Entre un cabinet d’avocats ou Chanel qui veut adhérer au club, mon choix est évident. Il vaut mieux refuser un chèque et garder un top niveau prémium, plutôt que de tout accepter, car à terme, je le paierai. » Il reste d’ailleurs lucide sur ces gros poissons : « Dior, Channel, Hermès… Ce serait de très belles références pour moi. Mais franchement, ont-ils vraiment besoin du Chinese Business Club pour développer leur business en Chine ? » Harold Parisot préfère parler de ses conquêtes. « Pour la petite anecdote, Henri Giscard d’Estaing, PDG du Club Med qui vient très souvent, a demandé à son grand patron, chairman Guo, qui est le PDG monde de Monsieur Guo, 11e fortune mondiale sera donc notre invité d’honneur. »

Une fortune de plus à accrocher à son tableau, qui compte également de nombreux sportifs. « Camille Lacourt, Florent Manaudou, Teddy Riner… » Mais que peuvent-ils bien trouver à ces dîners ? « Ce sont des ambassadeurs potentiels pour les marques chinoises qui veulent pénétrer le marché français. Et on ne parle pas de petits contrats. » Sport, luxe, téléphonie, transport, pharmaceutique, tourisme, agro-alimentaire, le club mélange les genres pour un seul objectif : ne pas laisser repartir les capitaux chinois. Entre crise de la Covid et défiance envers la Chine, son avenir est en suspens Fosun, un des plus gros fonds d’investissement chinois au monde, propriétaire de plein de marques françaises dont le Club Med, d’être l’invité d’honneur en décembre 2020.

Article publié dans le numéro 18 de Koï spécial influence.


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