Brigade du tigre : cuisine fusionnelle

Par Sophie Kloetzli

Si le terme « fusion » s’est ringardisé, le mélange des cultures en cuisine, lui, « n’a jamais été autant à la mode », assurent Adrien Ferrand et Galien Emery. Inauguré l’automne dernier, leur bistrot parisien Brigade du tigre (ouvert à la vente à emporter et à la livraison) s’inscrit dans cette tendance. Férus de gastronomie et de street food asiatiques, les deux chefs y proposent des interprétations personnelles de ces cuisines dont ils se sont régalés lors de leurs nombreux voyages sur le continent. Tous les deux passés chez William Ledeuil aux fourneaux du Kitchen Galerie Bis — où l’Asie a la part belle dans les assiettes —, les compères du restaurant bistronomique Eels, amis de longue date, entendent célébrer à leur sauce la diversité des saveurs asiatiques. Rencontre.
[Texte : Sophie Kloetzli. Photo principale : Pierre Lucet Penato]

Vous êtes-vous posé la question de votre légitimité en ouvrant ce restaurant ?

Galien Emery :
Je pense que la cuisine appartient à tout le monde, sans forcément se l’approprier. Nous faisons simplement ce que nous aimons. La cuisine asiatique nous a toujours branchés. Dans l’autre sens, prenons l’exemple des Japonais qui viennent apprendre la cuisine française en France : au marché des Enfants Rouges, il y a un Japonais qui fait des lièvres à la royale et de la cuisine vraiment traditionnelle française. Je ne suis pas sûr qu’il faille faire partie d’une nationalité ou d’une ethnie pour faire une cuisine que l’on aime.

Adrien Ferrand : Nous avons quand même mis quelques garde-fous sur certaines choses. Je pense que l’appropriation des cultures aurait existé si nous avions écrit dans notre menu : « curry vert traditionnel », « canard laqué » ou « yakisoba ». Comme nous ne proposons aucune recette traditionnelle, nous avons le droit de faire ce que nous voulons. Je n’aime pas trop le terme mais nous faisons plutôt une cuisine « fusion », or cette cuisine n’appartient à personne. D'autant plus que la cuisine asiatique fait partie de nous depuis que nous avons commencé. Nous avons toujours travaillé avec des Japonais — nous avons appris à couper du poisson auprès d’un Japonais —, des Chinois, des Singapouriens...


Photo : Géraldine Martens

Galien Emery : Nous avons aujourd’hui une apprentie thaïe, un chef de partie népalais... Nous avons eu des expériences avec beaucoup de gens d’endroits différents. C’est ce qui nous permet de grandir et d’apprendre.

Vous aviez donc anticipé les critiques éventuelles d’appropriation culturelle ?

Adrien Ferrand : C’est une question très délicate. Avec Galien, nous ne sommes pas très politiques, nous sommes plutôt « peace » et bienveillants. Nous n’y avions jamais réfléchi. Un jour, l’une de nos amies a attiré notre attention sur ce sujet. Pour nous, ça venait du cœur et nous nous sentions légitimes parce que nous savons faire cette cuisine, parce que nous faisons tout maison, avec les bons produits. Nous avons un peu remis en question le projet. Galien voulait avoir des chats porte-bonheur, des spots rouges comme dans les restaurants chinois... Nous avons finalement un peu allégé la déco, avec un peu moins d’identité asiatique.

D’où vient cette passion pour les cuisines asiatiques ?

Adrien Ferrand : Mes parents ne cuisinaient pas du tout. Ils étaient séparés et quand j’étais avec mon père, nous allions tout le temps manger dans des teppanyaki [cuisine japonaise réalisée devant les clients par un chef cuisinier sur une plaque chauffante, NDLR], des bons restaurants de sushis, ou alors nous commandions chinois. Je me souviens que nous étions chez Benkay, l’un des plus gros teppanyaki de Paris. J’avais redoublé ma troisième, je ne savais plus trop quoi faire, je rêvais de faire de l’aviation... En voyant ce Japonais cuisiner devant moi, je me suis dit : « C'est ça que je veux faire. »

Cet article est à lire en version intégrale dans Koï #21, disponible en ligne ou en kiosque.


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