Entre 1947 et 1976, la Fédération des Œuvres de l'Enfance Française d’Indochine (FOEFI) déplace 4 500 enfants métis en France. 70 ans après la fin de la colonisation française en Indochine, d’anciens pupilles de la FOEFI témoignent.
Trảng Bàng, à 50 km de Saigon, 1953. L’armée française évacue le village situé dans une zone de combat, entre Saigon et Phnom Penh. « Je monte dans un camion militaire et je vois ma grand-mère qui pleure, raconte Geneviève A. Elle est restée. Je ne l’ai jamais revue. »
Entre 1947 et 1976, près de 4 500 enfants eurasiens, nés pour la plupart de pères militaires français ou originaires d’autres colonies françaises, sont pris en charge et envoyés en France, sans leur mère indochinoise, par la Fédération des Œuvres de l'Enfance Française d’Indochine (FOEFI), une association privée subventionnée par l’Etat.
Fondée par William Bazé en 1946, la FOEFI fédère un réseau d’établissements religieux et laïques qui prend en charge des enfants eurasiens en Indochine. Avec le déclenchement de la guerre, les responsables de la Fondation décident d’envoyer leurs pupilles en France. Pour eux, il s’agit d’assurer un avenir à ces enfants, en les sauvant d’un pays en guerre, dont la population les rejetait en raison de leur métissage.
Geneviève (à droite), avec sa grand-mère (au centre) et sa tante.
1953. Vietnam.
Geneviève A. en a fait partie. Un mois après sa naissance en 1948 d’une mère vietnamienne et d’un père militaire français, ce dernier est rappelé en France. Sa mère, restée seule au Vietnam avec Geneviève, se marie avec un autre militaire français. Elle accouche d’une seconde fille et confie Geneviève à sa grand-mère.
Geneviève A. embarque avec d’autres enfants de la FOEFI sur le bateau Cyrénia « sans savoir que c’était un aller simple pour la France ».
Mais le village de sa grand-mère est évacué. Sa mère la retrouve alors à Saigon dans une caserne militaire et la place à la FOEFI. La petite fille intègre un orphelinat du quartier de Cholon, dépendant de la fédération. En 1956, deux ans après la fin de la guerre, Geneviève A. embarque avec d’autres enfants de la FOEFI sur le bateau Cyrénia « sans savoir que c’était un aller simple pour la France ».
S’ensuivent quatre années passées au foyer de l’abbaye de Saint-Rambert-en-Bugey. Fin 1959, sa mère, arrivée en France dès 1955 avec son mari français, la récupère. « Ma mère est toujours restée évasive sur les raisons de mon placement à la FOEFI, confie-t-elle. Pourquoi ne m’a-t-elle pas emmenée en France avec elle en 1955 ? »
Alexandre T., né en 1947 à Hanoï, est lui aussi devenu un pupille de la FOEFI. Veuve depuis 1950, sa mère, n’ayant pas les moyens de s’occuper seule de ses huit enfants, confie les plus jeunes en 1954.
Les parents d'Alexandre. 1948. Vietnam.
À la fin de la guerre, la FOEFI évacue Alexandre T. et d’autres pupilles vers le sud Vietnam en avion. « On voyait les déflagrations de la Défense Contre l’Aviation vietminh sur notre vieux coucou, se souvient-il. C’était comme un jeu vidéo. Je n’avais pas conscience du danger. » Il est placé dans un orphelinat pour garçons à Cholon.
Par « un extraordinaire hasard », Alexandre T. retrouve sa mère et une de ses sœurs sur le bateau L’Aurélia qui les amène à Marseille en 1955. Puis ils sont à nouveau séparés « dans l’ignorance totale de leur destination ». Lui et son frère intègrent le foyer de Semblançay, en Indre-et-Loire. En 1956, grâce à l’abbé Bernard Martin, moniteur bénévole, ils retrouvent leur mère et leur grande sœur. Elles vivent au centre d’accueil de Noyant-d’Allier. Il leur rend parfois visite pendant les vacances.
Ses autres sœurs sont placées dans un pensionnat religieux près de Dreux. Mais sa mère et lui l’ignorent. Après des tensions au foyer de Semblançay, son frère est envoyé chez les Orphelins Apprentis d’Auteuil. Alexandre se retrouve seul au foyer de Vouvray.
Alexandre (à gauche) et son frère. 1956 ou 1957.
Foyer de Semblançay, Indre-et-Loire.
« La FOEFI a été une belle intention » explique Alexandre T., qui vécut dans des foyers dirigés par des laïcs « mais les gens qui nous encadraient n’étaient pas formés pour s’occuper d’enfants comme nous ». Il dénonce en particulier « le favoritisme envers ceux qui avaient l’air moins asiatique » et « l’argent de poche, donné par la FOEFI, nous était confisqué ».
« Les gens qui nous encadraient n’étaient pas formés pour s’occuper d’enfants comme nous ».
Geneviève A. se souvient de « nombreuses punitions, sévères, notamment si l’on parlait vietnamien » et d’une éducation « stricte ». Mais elle se sent reconnaissante : « J’ai appris le français rapidement, ainsi que la rigueur, qui m’a été utile dans ma vie professionnelle. Le foyer c’était ma famille ».
Tous deux participent en 2023 à un entretien collectif entre anciens de la FOEFI, organisé par les historiens Zoé Grumberg et Yves Denéchère. Ce dernier publie en mai 2024 Enfants eurasiens d’Indochine aux vents de la décolonisation (éd. Peter Lang).
« C’est fort qu’un historien s’intéresse à nous, explique Geneviève A. Cela prouve que c’est une partie de l’histoire qui est importante. » Elle précise : « chaque parcours des enfants de la FOEFI est différent, mais la souffrance liée à la séparation avec nos familles, à l’exil, est commune ».