Les Asiatiques ne tiendraient pas l’alcool, auraient des problèmes de tension et feraient de l’apnée du sommeil… mais ces représentations ne reflètent pas toujours la réalité. Clichés ou faits médicaux ? Koï vous dit tout.
Qui ne connaît pas le cliché de l’Asiatique myope, qui ne tient pas l’alcool ? S’il est vrai que certaines populations sont plus exposées à des maladies que d’autres… elles le sont aussi aux idées reçues. Certes, 80 à 90% des jeunes en fin de scolarité dans les pays d’Asie de l’Est sont myopes mais cela s’explique en partie par des facteurs environnementaux et des changements de modes de vie, comme le temps d’exposition aux écrans, le manque d’exposition à la lumière ou les habitudes alimentaires. Une réalité qui gagne aussi l’Europe et le reste du monde, personnes d’ascendances asiatiques ou non. Chemin inverse pour l’hypertension qui gagne l’Asie du sud après avoir particulièrement touché l’Europe, notamment à cause des systèmes alimentaires. Idem concernant l’apnée du sommeil.
Attention donc à ne pas « biologiser des différences raciales à partir de la prévalence de certaines maladies. Il faut observer les conditions environnementales et matérielles » prévient Miguel Shema, blogueur et fondateur sur instagram du compte Santé & Politique « qui vise à montrer le rapport qu’entretient la médecine avec les corps minoritaires ». Miguel Shema demande de la prudence, en s’appuyant sur plusieurs études. Il rappelle que le facteur environnemental prime parfois sur l’explication génétique, d’autant que la dénomination « Asiatique » englobe des populations différentes avec une grande diversité génétique.
« Il y a des susceptibilités génétiques »
Si l’on n’en connaît pas toujours la cause, il y a tout de même un constat : la recherche médicale montre que les Asiatiques sont plus touchés que les autres par certaines maladies.
Elles sont parfois sans gravité, comme les tâches mongoliques, qui prennent l’apparence de tâches bleues, ou au contraire à prendre avec sérieux. C’est le cas de la maladie de Takayasu pour laquelle « il n’y a pas d’explication claire sur la prédominance dans les populations asiatiques » explique le Professeur Marc Lambert.
Les Asiatiques sont plus touchés que les autres par certaines maladies.
Ce spécialiste du Centre de compétence des maladies artérielles rares, exerce au CHU de Lille où il enseigne l’artérite de Takayasu, peu connue en France car très rare, à ses étudiants en médecine. « La maladie de Takayasu est évoquée mais, du fait de sa rareté [en Occident], n’est pas prioritaire dans leur formation alors que c’est la première cause d’hypertension artérielle acquise en Asie », précise-t-il. « Il y a certainement des susceptibilités génétiques plus fréquentes dans les populations asiatiques, mais il y a aussi des facteurs environnementaux, comme l’exposition à la tuberculose, qui peut expliquer cette prévalence qui ne concerne pas les personnes d’origine asiatique nées en France ». Loin d’être alarmiste, le médecin rappelle que si l’on ne guérit pas définitivement de cette maladie artérielle, on apprend à vivre avec : « les traitements actuels sont efficaces et stabilisent la maladie chez la majorité des patients. »
Plus connu, l’Asian flush, qui désigne une intolérance à l’alcool et l’apparition de rougeurs, mérite une attention particulière. La littérature scientifique documente largement ce problème chez les personnes d’origine est-asiatique. En 1985, la revue de l’INSERM affirme que « des différences de tolérance à l'alcool, tant individuelles qu'ethniques, sont bien connues. Rougeur faciale, élévation thermique, accélération du rythme du pouls et de la respiration sont particulièrement fréquentes chez les Orientaux et notamment dans la population japonaise ». Mais il ne s’agit pas là d’une simple allergie à l’alcool.
L’Asian flush ne provoque pas seulement des rougeurs, elle peut également accroître le risque de développer un cancer.
« C’est une pathologie liée à un variant génétique » qui empêche le bon fonctionnement d’une enzyme lors de la consommation d’alcool, précise le docteur Habib Chabane, président du club d’immuno-allergologie biologique. Ce trouble ne provoque pas seulement des rougeurs, une baisse de tension, des nausées ou des problèmes de transit, elle peut également accroître le risque de développer un cancer.
« Même en ne consommant qu’un peu d’alcool » complète le spécialiste qui conseille aux personnes atteintes de ce syndrôme, diagnostiquées par un allergologue, de ne plus boire du tout. « Les rougeurs, on se dit que ça n’a jamais tué personne, mais le cancer oui. Ces symptômes sont des signes d’alerte donnés à l’organisme pour dire stop, il ne faut plus boire. Au Japon, le cancer de l'œsophage est très courant et c’est probablement en partie lié à l’Asian flush. »
Les études scientifiques montrent que les communautés asiatiques sont plus touchées par les formes graves de dengue.
D’autres maladies qui concernent les personnes asiatiques ou leurs descendants pourraient prendre de l’ampleur ces prochaines années. C’est le cas de la dengue, infection virale transmise aux humains par piqûre de moustiques infectés, qui se dissémine plus vite avec le dérèglement climatique. Déjà présente en Outre-mer, la maladie s’installe en métropole, avec un premier cas autochtone détecté en juillet 2024. Les études scientifiques montrent que les communautés asiatiques sont plus touchées par les formes graves.
« On parle tout de même de facteurs de risques restreints, de probabilités sur des probabilités » tempère Etienne Simon-Lorière, co-auteur d’une publication scientifique sur ce sujet en 2018. « Moins de 1% des personnes qui ont une dengue primaire ont une forme sévère et à l’intérieur de ce petit pourcentage, on observe des variations pour certaines populations. Les personnes d'origine africaine sont plus résistantes que les personnes d'origine européenne qui sont plus résistantes que les personnes d'origine asiatique. Mais même à l’intérieur de ces populations il y a des variations car il y a une très grande variété génétique » précise le chercheur, responsable de l’unité génomique évolutive des virus à ARN à l’Institut Pasteur.
« On ne détecte que ce que l’on connaît »
« Il faudrait faire un grand sondage sur les populations asiatiques de France », propose Bingkai Liu, responsable du pôle de médecine traditionnelle chinoise à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière. « En France, on ne veut pas distinguer les populations en fonction de leurs origines et on ne développe pas d’études comme aux Etats-Unis, donc on n’a pas de chiffres ni de statistiques des maladies prévalentes sur les Asiatiques » poursuit le médecin qui manque de ressources.
« Les seules recherches menées sont sur une base géographique, notamment en Outre-mer », spécifie-t-il. « Mais c’est très compliqué à faire dans des populations récentes, marquées par des migrations et des métissages », prévient Etienne Simon-Lorière.
L’enjeu reste de taille. Si certaines maladies sont peu connues des médecins, notamment parce qu’elles concernent des groupes minoritaires comme les diasporas asiatiques, elles risquent de ne pas être diagnostiquées ou mal traitées.
Commence alors l’errance médicale. Une maladie illustre parfaitement ce risque, la diverticulite du côlon qui provoque des douleurs abdominales. Les patients asiatiques ont la particularité de ressentir ces douleurs à droite, à l’opposé des Occidentaux qui les ressentent à gauche. De quoi brouiller les pistes. « On ne détecte que ce que l’on connaît », rappelle Marc Lambert.