Lao Siam, trente-cinq ans de cuisine

Par Anthony Cheylan
Photo de Kares Le Roy

Fondée par la famille Souksavanh, cette institution de Belleville séduit des générations d’habitués (et d’inspecteurs Michelin) avec ses plats thaï et laotiens authentiques, ses prix accessibles et ses recettes inamovibles.

La légende raconte qu’il y a la queue devant le restaurant Lao Siam depuis son ouverture, en 1985. Les trois fils des fondateurs gèrent désormais cette adresse culte. Rencontre avec Alexandre, le cadet des frères Souksavanh.

Votre famille a créé ce restaurant. Quelle est son histoire ?
Mes parents sont nés et ont grandi au Laos, à la frontière avec la Thaïlande. À la fin des années 1960, ils ont fui la guerre. Ils se sont retrouvés en France, se sont mariés et ont enchaîné les petits boulots. Ils ont eu trois fils : Fred, Nicolas et moi-même. En 1985, ils ont rassemblé leurs économies et, avec des membres de ma famille, ont ouvert ce restaurant : le Lao Siam, à Belleville.

Avez-vous toujours proposé des plats laotiens et thaïlandais ?
Au début, la carte était plus axée sur des plats chinois et vietnamiens que thaï et laotiens, qui n’étaient pas très en vogue. Petit à petit, mes parents ont resserré la carte sur des plats de leur région d’origine, pour les valoriser — et pour que l’on arrête de faire l’amalgame entre toutes les cuisines. Mes frères et moi avons pris leur succession il y a une dizaine d’années. Les recettes n’ont pas bougé depuis l’ouverture.

 

« Mes parents ont resserré la carte sur des plats de leur région d’origine, pour les valoriser — et pour que l’on arrête de faire l’amalgame entre toutes les cuisines. »

 

En quoi les cuisines laotiennes et thaïlandaises se rejoignent ?
Elles ont des bases et beaucoup d’ingrédients en commun mais, selon les régions, les rendus peuvent être complètement différents. Ici, nous faisons une cuisine thaï issue de la région de l’Isan, dans le nord-est, près du Laos. Les saveurs y sont très portées sur l’acidité, le salé, la sauce poisson, plutôt que vers le sucre. C’est différent de la cuisine thaï que le grand public connaît, très sucrée, avec de la noix de coco etc.

 

Dans la cuisine du restaurant Lao Siam à Paris.

 

Vous avez grandi dans le restaurant familial. Quel souvenir en gardez-vous ?
C’était trop bien ! Le resto fait partie de nous. Mon meilleur souvenir est le jour où ma mère m’a fait goûter aux crevettes crues. Je devais avoir environ cinq ans, il y a eu une explosion dans ma tête. Après, j’ai tout le temps voulu en manger — jusqu’à l’écoeurement. 

 

« Ici, les saveurs y sont très portées sur l’acidité, le salé, la sauce poisson, plutôt que vers le sucre. »

 

En trente ans, qu’est-ce qui a évolué au Lao Siam ?
Au tout début, c’était ghetto ! [rires] Nous n’avions aucune décoration. Nous utilisions des nappes avec du papier gaufré par dessus... Personne ne venait à Belleville, il y avait trop de délinquance. Même nos parents nous disaient : « Ne sortez pas le soir ici ! » Dans le quartier, nous étions tous immigrés, nous nous comprenions sans nous comprendre : derrière les cultures différentes, nous connaissions tous la galère. D’ailleurs, nos parents ont voulu que leur restaurant soit accessible à toutes les bourses. Petit à petit, en plus des gens d’ici, nous avons eu d’autres clients : l’essor du tourisme en Asie a amené des gens de quartiers aisés qui voulaient retrouver les plats de leurs voyages. Ils traversaient Paris pour venir chez nous. Et aujourd’hui, des clients historiques amènent leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs amis... 


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