À l'occasion de la Bourg Tattoo Convention 2024 les 12 et 13 octobre, plongée au cœur des salons de tatoueurs passionnés du Japon qui pratiquent cet art ancestral inspiré des estampes nippones.
Avec ses dessins de têtes de mort au mur et son ambiance métal, la boutique de Tin-Tin, à deux pas du Moulin Rouge, ressemble davantage à un repaire de bikers qu’à un salon de tatouage japonais. Le maître des lieux nous accueille de sa voix gouailleuse et sa carrure imposante.
Difficile d’évoquer le tatouage japonais sans mentionner le créateur du Mondial du Tatouage et du Syndicat national des artistes tatoueurs (SNAT). Connu pour ses portraits hyperréalistes, celui qui a piqué de nombreuses célébrités, de Jean-Paul Gaultier à Joey Starr, grave aujourd’hui principalement des motifs nippons. « Japonisants, plutôt, car il y a pleins de codes et de légendes derrière, et je ne les connais pas tous forcément ! J’adapte les graphismes à ma manière », rectifie Tin-Tin de son regard malin, sous le crissement des machines à tatouer qui emplissent la salle. Sur son bras, un dragon s’enroule dans d’autres motifs entremêlés.
Tin-Tin dans son salon, à deux pas du Moulin Rouge.
« Le plus beau des tatouages »
Alors, comment expliquer cette fascination pour le style nippon ? « C’est l’un des plus beaux types de tatouages, qui s’adapte le mieux au corps », justifie-t-il, tout simplement. Parmi ses inspirations, il cite les grands maîtres de l’estampe (Hokusai, Kuniyoshi) aux côtés de tatoueurs renommés, comme le Suisse Filip Leu, qui « a réinventé le tatouage japonais », et les Japonais Horiyoshi et Ichibay. Sans jamais perdre de vue le principal : imposer sa patte. « Je suis content quand quelqu’un dit : Ça, c’est un dragon de Tin-Tin ! » « Mais je ne suis pas particulièrement fan de culture japonaise ! » s’exclame-t-il dans un rire tonitruant.
« Ceux qui font du tatouage japonais ont de la bouteille ! Même s’il y a quelques petits jeunes qui sont bons aussi », reconnaît Tin-Tin un peu bourru, en mentionnant Easy Sacha. Logique, puisque ce dernier a passé quelques années chez Tin-Tin avant d’ouvrir sa propre enseigne, le Mystery Tattoo Club, il y a de cela une quinzaine d’années.
Le traditionnel est à la mode
Il ne nous en fallait pas davantage pour mettre le cap sur le Canal Saint-Martin, où le salon en question s’est forgé, depuis son ouverture, une belle réputation. Changement d’ambiance radical : ici, le tatouage se pratique dans le calme, dans un décor moderne, plus épuré.
Des papiers carbones recouverts de carpes, démons, serpents et chrysanthèmes décorent les murs. Easy Sacha s’affaire sur un dos déjà recouvert de motifs fins tracés à l’encre noire. Venu au tatouage à la fin des années 1990, à l’époque du tribal, ce passionné de dessin et de musique métal a appris sur le tas et touché à tous les styles avant de prendre la vague de l’irezumi (terme qui désigne les tatouages traditionnels nippons couvrant de larges parties du corps).
« Il y a toujours eu un attrait pour le tatouage japonais, mais encore plus ces dernières années », observe-t-il. Aujourd’hui, on assiste même, après une période où a fleuri le tatouage néo-japonais (ou japonisant), à un retour du style traditionnel.
Daru Manu appose sa signature sur un tatouage de bouddha.
Autre avantage du tatouage traditionnel sur le style contemporain, selon ce dernier : la mise en valeur du tatouage en lui-même plutôt que du dessin. « Ce qui est recherché, c’est le contraste sur la peau, le fait de suivre les mouvements du corps, ses lignes stratégiques, décrit Yom. En revanche, nous avons moins de liberté dans le dessin : nous sommes plus dans le recyclage graphique avec de petites touches personnelles. Le défi est de faire quasiment la même chose tous les jours mais de manière différente. »
Rigueur et discipline
On comprend mieux pourquoi certains se laissent tenter par l’élégance et la profondeur de l’irezumi. De plus en plus connues du grand public, ces parures d’encre abondent désormais sur Instagram, enlevant au passage « le côté secret et caché du tatouage mis en avant par les Japonais », relève Yom. Se faire tatouer une manche, un dos ou même un body suit (tatouage couvrant la quasi-totalité du corps, à l’exception de la tête) requiert néanmoins de la discipline, une certaine assiduité, et un investissement financier — le tarif des tatoueurs tournant généralement autour de cent cinquante euros par heure.
Allongé sur la table de travail de Daru Manu, Gaël en sait quelque chose. Ce passionné de cinéma asiatique est venu apporter la touche finale à son kamenoko (littéralement « dos de tortue », désignant un tatouage couvrant le dos, le fessier et le haut des cuisses) — le point final de deux ans de travail, totalisant une bonne cinquantaine d’heures. Son grand bouddha de feu, couleur bleu pétrole, il en est fier. « C’est le même motif que le personnage de Ken Takakura dans The Yakuza de Robert Michum (1974). C’est aussi l’un des tatouages les plus populaires chez les Yakuzas, même si je ne l’ai pas fait pour cette raison. »
Un tatouage qui, malgré sa dimension esthétique, exige une certaine rigueur. « La symbolique est une discipline : ce n’est pas anodin, il y a une idée de rectitude derrière ce tatouage, une ligne de principes à laquelle tu adhères. Je suis athée, donc c’est avant tout la symbolique qui m’importe, sa dimension universelle ». Il faut dire que le lieu prête à la solennité. Situé au sous-sol d’un fleuriste du 3e arrondissement de Paris, le salon de Daru Manu semble coupé du monde extérieur.
« C’est comme au Japon : les gens viennent se faire tatouer en privé, pas dans des boutiques », justifie son propriétaire, que l’exigence de l’irezumi et ses deux cents ans d’histoire n’effraient pas. « Parfois, les tatoueurs font du hors-sujet. Il y a des motifs qui ne vont pas ensemble. Par exemple, la carpe Koï, j’aime la faire avec des feuilles d’érables, car c’est en automne qu’elles sont les plus actives. » Il envisage même de délaisser une fois son dermographe au profit de la technique traditionnelle du tebori, qui consiste à graver la peau à la main à l’aide d’un faisceau d’aiguilles. Toujours plus loin dans le respect des traditions.