Lama, mère, productrice : l’interview d'Hermès Garanger

Par Emilie Huynh

À 15 ans, Hermès Garanger part 3 ans en retraite bouddhiste. Lama, mère, autrice, elle raconte un destin guidé par la méditation.

Vous n’avez pas vécu une enfance comme les autres. Comment s’est-elle déroulée ?
J’ai eu une enfance assez atypique. Je suis née dans un monastère tibétain en Écosse. En rentrant en France, mes parents ont acheté un château en Bourgogne pour fonder à leur tour un centre bouddhiste tibétain dans un village de cinquante habitants. J’ai grandi entourée de maîtres et de lamas tibétains. La journée, je me rendais à l’école du village et le soir je retournais chez moi, au sein de la communauté monastique. On peut dire que j’ai grandi entre l’Orient et l’Occident.

À quinze ans, vous prenez la décision de partir en retraite. En quoi cela consiste-t-il ?
Dans le bouddhisme tibétain, il y a plusieurs traditions. Dans la tradition de l’école Kagyupa, nous vivons coupés du monde pendant trois ans, trois mois et trois jours, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Dès le premier jour, nous nous retrouvons dans une petite cellule de neuf mètres carrés et nous apprenons à méditer sur différents thèmes. Un lama vient régulièrement nous donner des enseignements. Nous méditons quatorze heures par jour, assise chacune chez soi, en silence. La première session commence vers quatre heures du matin, la dernière se termine vers vingt-trois heures. Nous nous croisons un peu dans le petit jardin lorsque nous allons au temple mais le centre est fermé par de grandes palissades. Tout est filtré pour que nous puissions rester les plus concentrées possibles.

 

« Nous méditons quatorze heures par jour, assise chacune chez soi, en silence. »

 

Cette aventure de trois ans, trois mois et trois jours a-t-elle été vécue comme un renoncement ou un retour à soi ?
Je dirais que cette expérience a été une découverte. Le renoncement est ressenti physiquement. On nous rase la tête pour montrer que nous renonçons au monde extérieur. De plus, nous sommes habillées avec la robe bordeaux traditionnelle des Tibétains. De mon côté, je n’ai pas eu l’impression de renoncer à quoi que ce soit. Il s’agissait plutôt d’aller à la découverte de moi-même. 

Quelques années après votre retraite et une expérience humanitaire en Inde, vous décidez de vous orienter vers le monde de la production. Pourquoi avoir fait ce choix ?
En sortant de retraite, j’avais envie de continuer à vivre ma spiritualité. Me réadapter au monde extérieur était extrêmement difficile. Je suis donc partie vivre en Inde dans des monastères où je donnais des cours d’anglais aux moines. C’est en vivant là-bas que j’ai rencontré une équipe française qui réalisait des documentaires. Je les aidais à traduire en français les entretiens avec les maîtres tibétains. Lorsque je suis rentrée en France, cette équipe m’a proposé un poste dans une société de production. J’ai accepté car j’avais la volonté de découvrir la vie active. Je ne me sentais pas légitime pour enseigner le bouddhisme en n’ayant rien vécu d’autre qu’une existence dans un monastère. Je pensais seulement passer quelques jours dans ce domaine-là.

Vous vous êtes toujours rattachée à votre formation spirituelle et notamment à la pratique de la méditation. Pouvez-vous expliquer en quoi elle consiste ?
En Occident, nous avons plutôt tendance à penser que la méditation est une technique pour se relaxer en bloquant ses pensées. Or cela est bien loin de la pratique née d’une tradition millénaire. Le mot tibétain pour « méditer » est gom, ce qui veut dire « entraîner son esprit ». Pour ma part, je lis tous les jours mon texte en tibétain avec les supports de méditation qui l’accompagnent : « les visualisations ». D’abord, on se sert du mental pour visualiser quelque chose, puis on se détache du mental pour basculer dans un état méditatif. Méditer aide à analyser ce qui nous arrive pour mieux nous orienter dans la vie.

 

« À l’heure actuelle, le business méditatif fait émerger tout et n’importe quoi. »

 

Quel est votre sentiment vis-à-vis de la pratique religieuse ou spirituelle dans le monde d’aujourd’hui ?
Dans mon livre, je dis : « De la même manière que vous ne confieriez pas votre cerveau à n’importe quel médecin, ne confiez pas votre esprit à n’importe qui ». À l’heure actuelle, le business méditatif fait émerger tout et n’importe quoi. Le problème de la méditation est que rien ne se voit chez un bon méditant d’un point de vue extérieur. Donc pour moi, le plus important est la notion de cohérence. La mode de la méditation passera mais les vraies méthodes de méditation resteront les méthodes authentiques et millénaires.


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