Le racisme anti-asiatique influence la médecine

Par Rémi-Kenzo Pagès

Dans son livre La santé est politique, Miguel Shema analyse l’impact des clichés, notamment sur les Asiatiques, en médecine.

La médecine a des biais, notamment sur les Asiatiques. C’est le postulat de Miguel Shema, auteur de La santé est politique (éditions Belfond) et créateur du compte instagram Santé & Politique.

 

Miguel Shema. Photo :  Chloé Vollmer


Le racisme anti-asiatique influence-t-il les médecins ?
Oui, j’ai observé cela une première fois dans un hôpital parisien. Alors qu'un patient est venu pour une crise cardiaque, ma cheffe a dit à un interne : « les Chinois, c’est alerte rouge ». Une autre fois, j‘ai présenté le cas d’un patient asiatique à ma cheffe qui m’a demandé son origine, puis m'a dit en soupirant « je n'aime pas les Asiatiques, ils ont toujours des choses graves ». J’ai trop d’exemples. Récemment, lors d'un événement autour du livre, une infirmière est venue me voir en me disant : « les femmes asiatiques sont mutiques ». C'est le versant médical de la communauté modèle, qui décrit des personnes stoïques.

Ces médecins pensent-ils que les personnes asiatiques consultent uniquement pour des maladies graves ?
C'est compliqué de répondre et c’est déstabilisant, car il n’y a pas pour autant une meilleure prise en charge des AsiatiquesLes médecins, qui projettent un mythe de la minorité modèle qui ne consulte que pour des cas graves, ne semblent pas pour autant leur porter une attention spécifique.

Dans votre livre, à chaque fois que vous citez vos collègues, ils ne disent pas les « Asiatiques » mais les « Chinois ».
Oui, car ils ne font pas la distinction et quand ils disent « les Asiatiques », ils ne parlent généralement que des personnes originaires de l’Est de l’Asie.

Vous dites aussi que les médecins ne font pas toujours l’effort de communiquer.
Selon la Haute autorité de santé, la seule manière éthique pour communiquer avec des patients qui ne parlent pas français est d’appeler un interprète professionnel. Je constate qu’on ne le fait pas, notamment quand ils parlent des langues comme le mandarin. Si on n'échange pas avec les patients, on ne leur permet pas de poser des questions. Je me souviens d’un patient chinois qui a fait un AVC. On est allé le voir avec un interne pour un examen neurologique et le patient se met directement à faire les gestes demandés lors d'un tel examen. L'interne dit alors : « on lui a tellement fait d'examens neurologiques qu'on n’a plus besoin de lui demander ». On faisait cet examen au patient tous les matins, donc il s'est habitué. C’est le produit d'une maltraitance. On n’a jamais appelé d’interprète. Des médecins se targuent de faire des diagnostics sans parler aux patients, certains disent faire de la « médecine vétérinaire » pour souligner qu'ils soignent sans pouvoir communiquer. C’est déshumanisant et ils ne s’en rendent pas compte.

Modifie-t-on les traitements sur des critères racistes ?
Il y a des débats en médecine au niveau international. Par exemple, concernant une enzyme qui métabolise un anti-coagulant, certains génotypes que l'on retrouve majoritairement au Japon métabolisent plus lentement ce médicament, et accroissent son effet. Des entreprises ont tenté de développer des dépistages spécifiques de ces génotypes aux communautés asiatiques. Cette racialisation n'est pas faite pour des raisons d'adaptation selon des spécificités médicales, mais pour commercialiser un médicament. Or, on retrouve ce même phénotype en Finlande et personne ne demande à faire la même chose pour les Finlandais.
Un article montre que certains médicaments sont évalués par les agences de réglementation sur des bases raciales discutables.  L’étude décrit les débats sur la délimitation des communautés en questionnant le choix d’une catégorie « Asiatique » et ce qu’elle englobe. Pour l'Occident, la catégorie Asiatique est pertinente. Mais dans ces débats, les Japonais disent que le terme « Asiatique » ne veut rien dire. Ils ne veulent pas être mis dans cette catégorie. Le Japon a une histoire raciale précise [qui se distingue par la colonisation d’une partie de l’Asie]. L'Occident veut imposer sa manière de voir les Asiatiques. Cela montre que ce sont des catégories sociales et non scientifiques.


La santé est politique de Miguel Shema (éditions Belfond)

 


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