Chaque année, des dizaines de milliers d’étrangers demandent la nationalité française. Parmi eux, environ 10 % viennent d’Asie.
Les médias français sont restés en émoi face au geste héroïque de Mamadou Gassama escaladant à mains nues un immeuble parisien pour sauver in extremis un enfant accroché au rebord du balcon. L’abnégation du jeune homme – qu’on ne peut remettre en question – a déclenché un véritable ramdam médiatique mettant en lumière le « service exceptionnel rendu à la France » réalisé par le jeune Malien régularisé dans la foulée. Le président de la République ainsi que le ministre de l’Intérieur se sont également exprimés en faveur de sa naturalisation pour accéder à la nationalité française.
En effet, outre le droit du sol, celui du sang ou bien les liens du mariage, il est possible en France d’acquérir la nationalité pour les personnes majeures, résidant sur le territoire depuis plus de 5 ans (en général), ayant un titre de séjour en cours de validité, prouvant leur « assimilation à la communauté française », disposant de connaissances orales suffisantes, insérées professionnellement et figurant « de bonnes vies et moeurs ».
À titre exceptionnel, Mamadou Gassama, qui n’a pas passé 5 ans en France, a pu recevoir ce précieux sésame. Gérard Collomb s’y été engagé. Pour tous les autres : direction la préfecture.
Le bureau des naturalisations de la Préfecture de Police a ouvert ses portes depuis un peu plus d’une heure mais il est déjà bondé.
Sur l’Île de la Cité, à Paris, le bureau des naturalisations de la Préfecture de Police, rue des Ursins, a ouvert ses portes depuis un peu plus d’une heure mais il est déjà bondé. Une trentaine de personnes, assises en silence, regarde fixement l’écran qui affiche le numéro du prochain à passer. Il faut attendre son tour, ne serait-ce que pour retirer un formulaire – désormais téléchargeable également sur internet.
En 2015, 61 564 « nouveaux Français » sont passés par cette procédure, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Parmi eux, 7 481 étaient originaires d’Asie. Dix ans plus tôt, les Asiatiques étaient plus de 18 000 sur les 100 000 nouveaux Français par décret. À la fin des années 90, ils représentaient autour de 24 % des naturalisés. Pourquoi une telle baisse ? Les naturalisations répondent-elles aux grandes vagues de l’immigration ? Les politiques ont-elles un rôle sur ces chiffres ? Quel est désormais le parcours d’un candidat à la naturalisation ?
Du statut de réfugié politique à la naturalisation
Arrivée en France dans les années 70-80, une centaine de milliers de ressortissants de pays d’Asie du Sud-Est a obtenu le statut de réfugié défini par la Convention de Genève de 1951. « Fortement encouragés par les travailleurs sociaux exerçant dans les structures d’accueil réservées aux demandeurs d’asile [...] la plupart d’entre eux ont acquis la nationalité française au cours des dix premières années de leur vie en France », analysait en 2001 Anne Morillon, alors doctorante en sociologie, dans la revue Hommes et migrations.
« En 1980, 613 ressortissants de pays d’Asie du Sud-Est ont formellement acquis la nationalité française, [...] en 1990, 5621. » Dans les années 1990, 4 000 à 5 000 naturalisations par an étaient accordées à ces ressortissants, contre une moyenne de 800 sur ces dernières années.
Côté chinois, les chiffres n’ont que sensiblement augmenté entre 1998 et 2015, passant de 511 à 783. Simeng Wang, chercheuse au CNRS, sociologue spécialisée sur l’immigration chinoise à Paris, l’intégration et la participation politique a étudié ces tendances depuis le renversement de Tian’anmen au printemps 1989. Elle distingue deux vagues. « Le premier groupe est celui des réfugiés politiques, arrivé après 1989. » En effet, à la suite du mouvement social né en Chine, de nombreux chercheurs et étudiants chinois ont été contraints de quitter leur pays sous peine d’emprisonnement. Ils se sont alors installés à l’étranger, en France ainsi qu’aux États-Unis. « Beaucoup ont pris la nationalité française, explique la chercheuse. À la fois pour le sentiment de dette envers la France et pour le côté pratique afin de voyager sans avoir besoin de demander un visa partout. »
Une acquisition anecdotique
Simeng Wang distingue ensuite les personnes hautement qualifiées, arrivées de Chine à partir de l’an 2000, « plutôt jeunes, qui ne cherchent pas la naturalisation ». Elle étudie les spécificités de cette jeune génération, issue de la politique de l’enfant unique. « Ces personnes qui ont entre 20 et 40 ans, qui résident en France, ont encore au moins un parent en Chine, décrypte-t-elle. Comme ils sont enfants uniques, ils se disent qu’un jour leurs parents auront besoin de leur aide » et conservent ainsi la nationalité chinoise afin de retourner plus facilement dans leur pays d’origine.
« Parmi les naturalisés venus de Chine, je vois davantage de femmes que d’hommes. »
Simeng Wang y observe de surcroît un reflet de la société chinoise : « Parmi les naturalisés venus de Chine, je vois davantage de femmes que d’hommes. C’est encore une fois lié à la prise en charge des personnes âgées ». Dans la culture chinoise, l’homme doit en effet s’occuper de ses parents alors que la femme, mariée, se retrouve dans la famille de son conjoint. Les femmes ont alors plus tendance à demander la naturalisation.
Parmi les centaines de naturalisés d’origine chinoise, les femmes seraient ainsi plus nombreuses. C’est le cas de Tamara Lui, journaliste et présidente de l’association Chinois de France - Français de Chine. Elle a choisi la nationalité française à la suite de son mariage avec un homme né français. « La nationalité française permet de voyager. Il y a aussi une volonté d’assimilation. C’est quelque chose que je revendique, je veux m’intégrer et m’assimiler. Sans pour autant rejeter la culture chinoise », témoigne-t-elle.
« La naturalisation n’est pas un objectif en soi pour les commerçants avec qui j’ai travaillé, y compris ceux qui vivent à Aubervilliers et ont des enfants nés français. Rester légalement en France est suffisant »
Une volonté qui n’est pas particulièrement partagée avec les primo-arrivants qui s’adressent à son association. « Il y a peut être eu une ou deux demandes, mais ce n’est pas fréquent. » Le public de l’association souhaite d’abord accéder à un titre de séjour. Elle précise : « La naturalisation n’est pas un
objectif en soi pour les commerçants avec qui j’ai travaillé, y compris ceux qui vivent à Aubervilliers et ont des enfants nés français. Rester légalement en France est suffisant ».
Peu de temps avant les élections présidentielles, Tamara Lui est allée à la rencontre des commerçants chinois d’Aubervilliers qui ne voient pas l’intérêt d’obtenir la nationalité française ni de voter. Cet accès au droit, qui n’était pas une priorité lors de la demande de naturalisation de la journaliste, est devenu plus important par la suite. « Aujourd’hui, le droit de vote fait partie des droits fondamentaux et je veux en profiter », dit-elle.
« J’ai fait la demande parce que c’est plus simple pour voyager dans l’Union Européenne. »
La routine administrative
Christine Yang, 22 ans, a elle aussi pu voter lors des dernières élections présidentielles. Née en France de parents chinois, elle n’a eu la nationalité française que quelques semaines avant ses 18 ans. La double nationalité n’étant pas autorisée entre la France et la Chine, il faut choisir sa patrie. « J’ai fait la demande parce que c’est plus simple pour voyager dans l’Union Européenne, explique la jeune femme. Au lycée, on devait faire un voyage à Londres et j’étais la seule de ma classe à ne pas pouvoir y aller. Mes camarades se sont moqués de moi parce que je n’étais pas française. »
Avec ses parents, elle s’est rendue à la mairie puis au tribunal d’instance pour acquérir la nationalité française. Elle déclare : « Pour moi, ça a été assez simple car depuis petite j’aidais mes parents à remplir les papiers administratifs. Le plus compliqué était de récupérer les certificats de scolarité ». En quelques mois, elle obtient la nationalité du pays qui l’a vue naître, notamment grâce à sa maîtrise parfaite de la langue de Voltaire. « Au tribunal, j’ai dû répondre à quelques questions basiques. Le monsieur était assez gentil avec moi. J’ai eu plein de retours qui décrivaient des gens moins sympas. Je pense que ça dépend si l’on parle bien français ou pas. »
Comme Christine Yang, Thuy Duong Vu Le, née au Vietnam et arrivée en France à 16 ans, garde un bon souvenir de sa naturalisation. Elle dépose son dossier en juin 2013 et reçoit une convocation à l’entretien un an plus tard, s’inscrivant dans le délai limite de traitement des dossiers, de dix-huit mois, fixé par le ministère de l’Intérieur. « L’entretien s’est très bien passé. Ce sont des questions standards : quel type de personnes y a-t-il dans votre entourage ? Quelle est votre activité ? Des questions sur la France comme la date de la fête nationale... » raconte-t-elle aujourd’hui. Elle se souvient avoir appris par cœur La Marseillaise. « Ma copine a dû nommer le deuxième président de la Quatrième République. »
Thuy Duong Vu Le a réalisé sa demande pour ne plus avoir à renouveler sa carte de séjour. « J’ai eu pas mal de problèmes administratifs, avec des retards de papiers qui m’ont obligée à quitter mon emploi du jour au lendemain », explique la franco-vietnamienne qui a conservé en parallèle son passeport vietnamien. « Les papiers, j’ai tellement l’habitude, dit-elle, que la naturalisation ça n’était qu’une formalité. » Un enthousiasme qui n’est pas partagé par tous.
« J’avais l’impression qu’il n’y avait que des embûches pour que je ne sois pas reconnue comme française »
De nombreuses personnes nous ont en effet confié avoir « abandonné ». « C’est le parcours du combattant », « J’avais l’impression qu’il n’y avait que des embûches pour que je ne sois pas reconnue comme française »,
« J’ai dû retourner en Chine pour demander des papiers »...
« Nous n’avons aucune trace de votre dossier »
Sean Mean* devait avoir 20 ans lors de sa première demande de naturalisation. Il avait l’habitude de se lever à cinq heures du matin pour rejoindre la préfecture de Bobigny, dont il dépendait et qu’il fréquentait afin de renouveler tous les dix ans sa carte de résident. Il dépose alors sa demande, mais change de domicile entre-temps et doit s’adresser à la préfecture de Paris, qui perd son dossier... « Nous n’avons aucune trace », lui répond l’agent public face auquel il se retrouve désemparé. Il se souvient : « On ne préfère pas hausser le ton car cela n’arrangera pas les choses. Alors on courbe l’échine pour qu’il fasse l’effort de refaire une recherche, mais ça n’avance à rien. On est en position de faiblesse. On a face à nous quelqu’un qui n’a aucune trace, surtout que la demande se fait par voie postale ».
Pour envoyer son dossier, Sean Mean, qui est d’origine cambodgienne, né en Thaïlande et arrivé en France à deux mois, a dû récupérer tous ses certificats de scolarité. « C’est ubuesque, j’ai dû rappeler toutes mes écoles ! » Malgré ce premier échec, Sean Mean réalise à nouveau cette même démarche cinq ans plus tard. « Le dossier a de nouveau été perdu », rapporte le jeune homme qui concède développer une certaine phobie administrative. De sa famille, il est le seul à ne pas avoir pu accéder à la nationalité française. Sa mère et son frère l’ont eue en deux ans. Contrairement à lui, ils n’ont jamais changé de préfecture référente.
Il explique : « Ce qui me dérange, c’est la non homogénéisation des informations reçues, selon les différents agents publics ». D’ici 2020, date d’expiration de sa carte de résident comme réfugié politique, le trentenaire refera certainement une demande. Il souhaite être reconnu comme français, lui qui a fait toute sa scolarité dans l’Hexagone et se revendique de culture française, obtenir le droit de vote et pouvoir voyager plus librement.
L’influence des politiques d’immigration
La chercheuse du CNRS Simeng Wang reconnaît que les politiques d’immigration peuvent avoir un impact sur les procédures et l’accès à la naturalisation. « À partir de mes enquêtes de terrain auprès des migrants hautement qualifiés, pour les titres de séjour autour de 2010, les démarches étaient beaucoup plus difficiles. Sarkozy n’a pas cherché à faciliter le changement de statut d’étudiant vers celui du salarié. Il y a sans doute un lien avec le resserrement des politiques migratoires. »
Le 1er août 2018, le texte de loi Asile et immigration, porté par Gérard Collomb a été définitivement adopté à l’Assemblée nationale. Une version, un peu plus souple que celle rendue par le Sénat, a été retenue par les députés. Cependant, Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France, émet quelques réserves : « Ce projet de loi et les discussions autour de ce texte n'ont pas permis de répondre aux difficultés auxquelles sont confrontés les migrants et les demandeurs d'asile en France, au premier titre desquelles le respect scrupuleux de leurs droits ».
* Le nom a été modifié.
Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 7, septembre/octobre 2019.