Thaïlande : dans la forêt tropicale de Khao Sok

Par HOLDEN RAYNAUD
Photo de ANTOINE BORZEIX

Au sud de la Thaïlande se trouve l’une des plus vieilles forêts tropicales du monde et son lac vert émeraude. Bienvenue à Khao Sok.

Quand se rendre à sa destination est déjà une aventure, c’est généralement bon signe ! Arriver à Khao Sok depuis Bangkok s’apparente en effet à un petit périple. Il faut d’abord prendre l’avion depuis Bangkok jusqu’à Surat Thani (1 heure 10), puis un bus ou minivan jusqu’au lac (1 heure 30) et terminer en bateau (entre 30 minutes et 1 heure). Il existe ensuite deux options pour débuter la visite : côté forêt, en se rendant à Klong Sok, village à la tonalité backpacker et aux nombreuses guesthouses, situé en bordure du parc national ; ou bien côté lac, via l’immense barrage Ratchaprapha, créé en 1982, qui alimente aujourd’hui la province en électricité et d’où partent les bateaux circulant sur le lac. Cette deuxième possibilité permet de loger dans le parc, et non en bordure, pour une réelle immersion, authentique et sauvage. À dix kilomètres du barrage se trouve Ban Ta Khun, petite ville d’environ 14 000 âmes dont le marché central constitue l’attraction principale. Les paysans des villages alentour y vendent tous les matins légumes, viandes, plats cuisinés et artisanat local. Ban Ta Khun est aussi la principale source d’approvisionnement pour les habitations du lac. Les conditions y restent en effet spartiates : peu ou pas de réseau téléphonique, pas d’Internet, pas de véhicules, ni routes, ni magasins et l’électricité disponible de 18 heures à 6 heures. Ban Ta Khun est donc la dernière étape pour faire ses provisions.

Petit à petit, les signes de présence humaine disparaissent. Le réseau téléphonique s’affaiblit, puis se perd. Un léger brouillard flotte à la surface, dernier témoin d’une pluie récente.


Un tourisme local

Le lac de Chiew Larn, qui s’est formé lors de la création du barrage, est une zone protégée. L’inondation de la zone a entraîné le déplacement de plusieurs villages, dont la plupart des habitants ont été relogés. Quelques irréductibles vivent cependant toujours dans de rudimentaires maisons flottantes en bord de lac. Aujourd’hui, plus aucune construction n’est autorisée sur terre et toutes les habitations sont flottantes, ce qui ajoute au pittoresque de l’expérience. Du resort de luxe à l’hébergement standard, une dizaine d’établissements propose des services à une clientèle presque exclusivement thaïlandaise. « Les Thaïs adorent l’eau douce et la tranquillité d’un lieu encore peu exploré par les étrangers », confie Nanthawan, habitante de Ban Ta Khun et guide à Khao Sok. Conséquence partielle de ce tourisme local : peu de sites web sont traduits et le téléphone est souvent l’unique moyen d’obtenir une réservation. Quel que soit l’hébergement choisi, les formules sont toutes « all inclusive » et comprennent la prise en charge depuis Ban Ta Khun, l’aller-retour en bateau, l’hébergement et les repas. Les excursions se font ensuite à la carte, selon les envies… et la météo !

 

Khao Sok, en Thaïlande.

Khao Sok se trouve en effet dans la zone la plus humide du pays. Le parc est arrosé à la fois par les moussons de la mer d’Andaman et celles du golfe de Thaïlande, soit les trois quarts de l’année. La fin de la saison des pluies, en octobre, et la saison sèche, de décembre à avril, sont les périodes les plus propices à la visite.

Une vie à fleur d’eau
L’arrivée à l’embarcadère se fait en minivan ou en tuk-tuk, que l’on peut prendre à Ban Ta Khun. Des long-tail boats s’y relaient du matin au soir. Ils transportent visiteurs, locaux, employés des hôtels flottants, rangers gardant le parc et ravitaillent tout ce monde, dont ils sont le seul lien avec le continent. Ces embarcations en bois typiques de la Thaïlande ont de multiples usages : taxi, bateau de pêche, restaurant flottant, transport de provisions… Propulsées par un moteur à essence, elles peuvent transporter une trentaine de personnes. Surnommées les « gondoles du sud » par les Thaïlandais, elles se retrouvent sur presque toutes les îles : Phuket, Samui, Phangan, Lipe, etc. Le contraste entre ces barques traditionnelles et l’immense barrage proche est saisissant.
Au bord de l’eau, d’immenses falaises de roche calcaire bordent la forêt primaire, parmi les plus vieilles du monde. Sa densité est telle qu’elle semble recouverte d’un voile vert, comme une peau végétale protégeant son intérieur. Le lac étale quant à lui sa couleur vert émeraude à perte de vue, et rajoute à l’impression d’irréel. Petit à petit, les signes de présence humaine disparaissent. Le réseau téléphonique s’affaiblit, puis se perd. Un léger brouillard flotte à la surface, dernier témoin d’une pluie récente. Le trajet en bateau dure une trentaine de minutes, durant lequel le bruit du moteur résonne contre les impressionnants à-pics.

 


Chiew Larn, dans la région de Khao Sok en Thaïlande.


Chiew Larn est la plus vaste étendue d’eau douce de Thaïlande. Une biodiversité unique s’est développée avec le temps et l’histoire particulière du lieu. On y croise gibbons, tapirs, cerfs aboyeurs, gaurs, papillons, léopards, tigres, éléphants, pythons, cobras… Dormir sur une maison flottante, isolée de la jungle, apparaît alors être un choix judicieux pour sa tranquillité.

Que faire à Khao Sok ?
Khao Sok est l’antithèse d’une Thaïlande au tourisme de masse*, des stations balnéaires festives et des grands complexes hôteliers. C’est un paradis pour les amoureux de la nature et du calme. Les maisons-radeaux qui constituent la seule option d’hébergement restent rudimentaires : pas de climatisation, toilettes extérieures et électricité limitée. Elles ont été construites hors du parc, utilisant du bois et des matériaux locaux, puis ont été patiemment convoyées jusqu’à leur destination finale en bateau, à la fin des années 90. Malgré la pression touristique croissante, les politiques locaux et la direction des parcs nationaux semblent jusqu’à présent tenir bon, puisque toute nouvelle construction est aujourd’hui gelée afin de respecter l’environnement.
Les déplacements s’effectuent en kayak, et chaque chambre en possède un. Ils peuvent même être utilisés pour se rendre aux toilettes (!), mais constituent surtout un excellent moyen pour explorer le lac et s’y baigner sous l’oeil d’un paysage mystique et d’un ciel souvent menaçant, qui rappelle que la zone possède plusieurs records de pluviométrie annuelle.

La notion de temps se perd facilement dans ce décor préhistorique, et seule la tombée du jour signale la nécessité de rentrer. La nuit, si l’Homme se couche, la vie sauvage se réveille. Une symphonie démarre. L’amalgame de sons et de rythmes donne un aperçu de l’importante vitalité de la forêt et de sa vie animale.
À Khao Sok, on se réveille avec la nature et le lever du soleil, peu avant 6 heures. Des excursions sont organisées pour les courageux, comme un tour du lac en long-tail. La brume est encore présente, la forêt a retrouvé son calme, et ce silence donne l’impression d’explorer un territoire inconnu. Le bateau rase les falaises et la plus haute montagne du parc culmine à 960 mètres. Des gardes forestiers employés par le gouvernement surveillent le parc, mais sont aussi des guides indispensables pour toute excursion. Ces derniers vivent dans des maisons en bois sur le lac et se déplacent à l’aide de grands radeaux en bambou. Pleng, garde à Khao Sok depuis trois ans, nous explique leur rythme de travail : « Trois semaines non-stop dans le parc, puis une semaine de repos à la maison ».

 

Dans la région de Khao Sok en Thaïlande.

 
Khao Sok est devenu leur principal lieu de vie. Sur le radeau en bambou, le plancher dépasse à peine de l’eau. Un garde forestier pilote l’embarcation, qui se dirige vers une falaise. Montée d’un escalier creusé dans la roche, puis descente à l’aide d’une corde sur un sol terreux aboutissent à l’étonnante grotte de Nam Talu, creusée par le temps, où stalagmites et stalactites se rejoignent, et où vivent des milliers de chauves-souris, que l’on peut observer dormir. À la sortie de la grotte, la pluie s’invite et donne des airs de Koh-Lanta au trek suivant. Heureusement, l’impressionnante canopée qui surplombe la forêt sert aussi de parapluie naturel. Il fait sombre, la lumière étant fortement filtrée par un feuillage dense. Quand la pluie se calme, la faune retrouve sa voix. En pleine jungle, les odeurs sont fortes, les bruits suspects et il n’est pas rare d’apercevoir un serpent sur un arbre, des singes aux branches et de nombreux oiseaux et insectes déambuler. Khao Sok comporte une dizaine de cascades, dont les plus hautes dépassent 30 mètres. La fin de la saison des pluies, au mois d’octobre, est le moment idéal pour en profiter, leur débit étant important à cette période. Pleng, la ranger, évoque également l’existence d’une grotte souterraine, longue de 400 mètres, traversée par une rivière, qui ne se visite que pendant la saison sèche, en raison du risque de montée rapide des eaux. Toujours en saison sèche, le visiteur pourra apercevoir la rafflésie : la plus grande fleur du monde (90 cm de large) aux couleurs rougeâtres et à l’odeur nauséabonde. Après de telles émotions, l’assiette du visiteur sera composée de pêche locale, accompagnée de riz, qui constitue le principal aliment des maisons flottantes du lac. Quand le ciel est dégagé, il est possible de se baigner de nuit, sous l’oeil d’une Lune qui s’applique subtilement à éclairer l’endroit.

Fin du voyage
À la fin du séjour, le retour en bateau agit comme un sas de décompression. Une transition vers le retour à la vie humaine. Quand le réseau réapparaît, les vibrations soudaines du téléphone rappellent à la réalité. Un week-end est bien trop court pour profiter de tout ce que Khao Sok a à offrir. Finalement, quand se rendre à sa destination est déjà une aventure, c’est toujours un bon signe. 

*32 millions de visiteurs en 2016, dont plus de 700 000 français.

 

 Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 2, novembre-décembre 2017.


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