Steve Tran, l'acteur sur les planches

Par Marie Nahmias
Photo de Sophie Palmier

 L’acteur et réalisateur Steve Tran s’attache à ouvrir le cinéma français aux comédiens d’origine asiatique. Rencontre avec ce perfectionniste venu aux planches par le stand-up. 

 « Voir Steve, c’est un peu comme manger un bonbon », plaisante Jean-Claude Tran, son frère. « Il a toujours le sourire. » Confirmation faite lors de notre rendez- vous. L’acteur débarque dans le hall du cinéma 7 Batignolles, porte de Clichy. Flambant neuf, l’établissement appartient à son ami, le producteur et scénariste Djamel Bensalah. Dans une accolade énergique, le comédien salue les gérants. Son discours est ponctué de blagues. Sa bonne humeur, contagieuse. Loin de s’envoler devant l’objectif de notre photographe, son entrain s’accentue. Veste en jean, cheveux rasés sur les côtés, il enchaîne les poses, déconne, s’adonne à un jeu de sourcils qu’il maîtrise à la perfection.

« Depuis tout petit, Steve aime plaisanter, amuser la galerie », poursuit son frère. Grand fan de Michael Jackson et de Charlie Chaplin, ce « saltimbanque », comme il aime à se définir, a cultivé l’art du show.

Alors que Steve Tran n’a que sept ans, son père, star du cai luong, le théâtre chanté vietnamien, l’emmène avec lui en tournée. France, Australie, États-Unis... En coulisses, le gamin peaufine son style. « Pendant les entractes, je montais sur scène pour chanter et danser, lance-t-il avec une spontanéité et un franc-parler qui invitent au tutoiement. Mon père m’a toujours encouragé, il voulait me mettre en lumière. » La voix teintée d’admiration et de nostalgie, il poursuit avec tendresse : « Il m’a donné envie de transmettre de l’émotion aux gens. »

 

En parallèle à ses études hôtelières, il fréquente les plateaux de tournages. Parfois pour des premiers rôles, « trop souvent » pour des seconds.

 

Plus de vingt ans de métier
Déjà habitué à évoluer sous le feu des projecteurs, Steve Tran fait ses premiers pas sur le petit écran sans trop de difficultés. Poussé par son frère, lui aussi acteur, il décroche à treize ans son premier rôle dans un téléfilm diffusé sur France 2. « J’ai passé plus de trente jours à tourner. J’ai adoré cette expérience. L’équipe et l’ambiance étaient super. »

Séduit, il décide d’embrasser le métier de comédien. En parallèle à ses études hôtelières et ensuite à des petits boulots à DisneyLand, il fréquente les plateaux de tournages. Parfois pour des premiers rôles, « trop souvent » pour des seconds. À l’affiche de Neuilly sa mère !, Beur sur la ville, Les saveurs du palais, Made in China ou du dernier Astérix le trentenaire a le sentiment qu’on ne lui a jamais vraiment laissé sa chance.

« Généralement, on ne me propose qu’un casting tous les six mois, alors que j’ai vingt ans d’expérience, regrette-t-il en agitant machinalement le sachet de sucre inutilisé pour son café. Je me suis longtemps remis en question, mais j’ai fini par comprendre que ce n’était pas dû à la qualité de mon travail. Étant d’origine asiatique, je fais partie de la minorité des minorités et malheureusement le cinéma est encore un milieu très fermé à ce niveau-là. On y observe une certaine hiérarchie dans la diversité. »

 

Le comédien Steve Tran aux 7 Batignolles à Paris. 

 

En croisade contre les rôles stéréotypés
Pour autant, Steve Tran ne souhaite pas tenir un discours de « victimisation ». Il n’a de cesse de militer pour une meilleure représentativité des acteurs d’origine asiatique dans le 7e art [A l'image de la tribune qu'il cosigne sur le site de Koï à l'attention du cinéma français].

À plusieurs reprises, il refuse d’endosser des rôles et des prénoms stéréotypés. « Je me suis battu pour que mes personnages s’appellent David ou Joël. » Outré, il demande même de retirer le mot « chinetoque » du scénario d’une série policière. « Quand un Asiatique passe à l’écran, c’est comme s’il fallait le justifier, explique-t-il dans une grande gestuelle. C’est simple, on me propose presque toujours de jouer des sans-papiers ou des mecs animés par la vengeance. Mon agent m’avait même conseillé d’apprendre les arts-martiaux pour décrocher plus de contrats. J’ai refusé. »

L’amour comme moteur
Partant du principe qu’on ne lui proposerait jamais le rôle du jeune premier, il décide de se le créer. En 2010, il écrit et réalise son premier court-métrage, BooM BooM. Le film, sans parole et en musique, retrace l’histoire d’un jeune homme désoeuvré qui craque pour sa voisine de palier. « Je ne suis pas un violent, moi. Je me reconnais difficilement dans tous ces films de kung-fu. Je voulais montrer que j’étais capable d’interpréter un personnage amoureux. »

À l’écran comme dans la vie, Steve Tran tente de faire de l’amour sa rengaine. En novembre 2015, au lendemain des attentats qui ont frappé la capitale et sa banlieue, l’acteur s’est spontanément filmé en train de dire « Bonjour, je vous aime » à des passants. Cette initiative individuelle avait pour seule vocation de promouvoir le vivre ensemble. « Steve est un éternel amoureux de la vie », résume Andy Pimor avec qui il travaille. Et peu importe si son discours « fait un peu Miss France », l’acteur est convaincu que la bienveillance est l’unique remède pour soigner notre « époque malade ». Une époque dans laquelle il peine d’ailleurs parfois à trouver ses repères.

« Steve a du mal à se reconnaître dans ce nouveau monde qui utilise Tinder et tout un tas d’autres applications faisant de l’amour un objet de consommation, souligne Andy Pimor. Lui, il croit au coup de foudre, il est très fleur bleue pour ce genre de choses. »

 

 

Face au public
Interloqué par cette « génération Tinder », le comédien décide d’en parler dans ses premiers sketches. Depuis 2018, il s’essaye à la scène, au début en faisant les premières parties du spectacle « Chinois Marrant » de Bun Hay Mean. L’humoriste, un ami très proche, a dû le « piéger » pour qu’il accepte de se confronter au public. « Ça fait dix ans que Bun me prend la tête pour que je joue. Un jour, il a directement annoncé sur Instagram que j’allais faire sa première partie à l’Européen. »

Le comédien doit alors se résoudre et affronter sa peur. Sans regret. « C’est vraiment génial de sentir en face de soi les gens réceptifs. Et puis, je ne suis pas dans l’attente d’un réalisateur ou d’une chaîne de télé. Je peux créer mon propre travail, mes propres challenges. » L’expérience le conforte dans l’idée de se lancer en solo. Steve Tran prépare actuellement un oneman-show mêlant sketches, chants et musique.

« Steve est quelqu’un d’angoissé et de très perfectionniste, confie Andy Pimor qui met en scène son spectacle. Ça a du bon parce que c’est un très gros bosseur. » Pour dompter ses angoisses et travailler son jeu, le comédien est ainsi capable de passer des journées entières à répéter un seul passage. « Le perfectionnisme, je tiens ça de mon père, sourit Steve Tran avant d’ajouter : j’aurais aimé qu’il soit encore là pour me voir remonter sur les planches.»

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 11, mai-juin 2019.


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