Spécial Outre-mer : Les Chinois et la Polynésie Française

Par Blanche Ribault
Photo de Blandine Pannequin

La communauté chinoise de Polynésie française est arrivée sur l’archipel il y a 150 ans. Très représentée dans la population, elle perpétue ses traditions.

« Des numéros d’immatriculation remplaçaient leur prénom. » Cindy Lau, fille d’une mère cantonaise et d’un père hakka (ethnie originaire du sud de la Chine), évoque sans tabou les discriminations subies par ses ancêtres en Polynésie française avant leur naturalisation en 1973.

Les premiers travailleurs chinois arrivent sur le territoire polynésien en 1864, engagés dans les plantations de coton et de café par le mandataire écossais William Stewart de la Tahitian Cotton and Coffee Plantation Company. « Ils devaient payer une taxe d’habitation chaque année. Leurs entrées et sorties du territoire étaient entièrement contrôlées : ils devaient remplir des papiers de sortie du pays, sans quoi ils ne pouvaient plus revenir à Tahiti », poursuit la jeune femme. Ces discriminations perdurent en 1892, lorsque l’entreprise fait faillite et que la plupart des travailleurs sont rapatriés ou se reconvertissent dans le commerce, la restauration et le maraîchage.

Les 2 500 Chinois qui arrivent en Polynésie française en 1907 ne se doutent pas qu’ils feront eux aussi les frais de cette ségrégation, et que l’arrivée au pouvoir de Mao en Chine en 1949 écartera pour eux toute possibilité de retour au pays.

 

 

Aujourd’hui, pour cette jeune habitante de Tahiti, la page est tournée et plus rien ne différencie la manière dont sont traités les Tahitiens de celle dont sont traités les Chinois en Polynésie française : « Je ne ressens aucun racisme de la part des Tahitiens. Nous sommes parfaitement intégrés. La preuve est qu’aujourd’hui, ici, de plus en plus de Français et de Tahitiens veulent apprendre la langue chinoise, et cela dès la 5e au collège ».

Cindy Lau parle couramment cinq langues au quotidien : le français et le mandarin, tous deux appris à l’école, le cantonais qu’elle parle avec sa mère, le hakka appris avec son père, et l’anglais. Aujourd’hui professeure de mandarin dans un lycée à Papeete, capitale de l’archipel, elle encourage les jeunes à s’intéresser à la langue et à la culture de ses parents : « À Tahiti, la plupart des Chinois parlent le hakka. J’essaye donc, au travers de mes cours, de faire perdurer cette langue en montrant ses similitudes avec le mandarin ».

 

« Les Chinois devaient payer une taxe d’habitation chaque année. Leurs entrées et sorties du territoire étaient entièrement contrôlées »

 

Cuisine et célébrations
Plus populaire encore auprès de la population locale : la cuisine chinoise, qui se consomme dans plus d’une cinquantaine de restaurants spécialisés éparpillés dans l’archipel, foodtrucks inclus.

Les propriétaires du restaurant Le Jasmin à Papeete, spécialisé dans les plats chinois depuis son ouverture en 2011, s’étonnent encore de son succès auprès de toutes les populations polynésiennes pour qui manger chinois fait presque partie du quotidien. « Contrairement à ce que l’on pourrait croire et malgré l’importante taille de la communauté chinoise en Polynésie, notre clientèle n’est pas essentiellement constituée de personnes de cette origine ! » Le restaurant joue par ailleurs le rôle de traiteur lors d’évènements organisés par l’importante association chinoise de Polynésie française, le Si Ni Tong.

Créé en 1911, le Si Ni Tong comprend dix associations membres au total. Parmi les rassemblements animés par ces groupes : la célébration du Nouvel An lunaire, accueillie par le temple chinois Kanti construit à Papeete en 1987 et tenu par le président du Si Ni Tong, Richard Chenoux. Ce sont également les associations qui organisent deux fois par an la période de kasan, aussi appelée « culte des ancêtres », lors de laquelle la communauté se rassemble au cimetière chinois d’Arue pour rendre hommage aux proches disparus. Des occasions pour les Chinois de se réunir, et l’opportunité pour les Polynésiens curieux de découvrir les rites d’une communauté qu’ils côtoient au quotidien.

Bien plus qu’un Chinatown
Sans être regroupées au sein d’un même Chinatown, ce qui était plutôt le cas jusque dans les années 1940 à Papeete, de nombreuses épiceries chinoises occupent aujourd’hui les rues polynésiennes. Médicaments, vaisselle, vêtements et produits alimentaires se vendent comme des petits pains chez Youn Youn, la plus connue de l’archipel. C’est elle qui fournit aux grandes surfaces locales des friandises chinoises très appréciées de la population locale. L’épicerie s’est installée à Papeete aux côtés de grossistes, comme Wan Import, et autres magasins d’alimentation générale, tels que Yinket.

 

« Aujourd’hui, je sais qui je suis. Et je sais que ce mélange culturel est une richesse dont je peux être fière »

 

Chinois, Tahitien ou Français ?
Qui dit mélange et intégration des communautés, dit forcément métissages. La plupart des Chinois cumulent aujourd’hui deux, voire plusieurs origines différentes : franco-chinoises, sino-tahitiennes... Pour Cindy Lau, une chose est sûre : « Les Chinois « purs » se font de plus en plus rares ».

Apparaît alors un nouveau défi pour la communauté : celui de la recherche identitaire des plus jeunes. « Ils ne savent plus parler la langue et ne connaissent pas vraiment l’histoire de leurs ancêtres », regrette la jeune femme. Elle-même a fait face à ce questionnement identitaire : « Je ne savais pas si j’étais chinoise, française ou tahitienne ». Celle qui se dit désormais « chinoise en pensée, française en parole et tahitienne en action » s’est envolée vers Paris en 2014 pour suivre une licence en langue, littérature et civilisation chinoise à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Étape nécessaire pour renouer le lien avec ses origines et accepter son identité sous toutes ses nuances : « Aujourd’hui, je sais qui je suis. Et je sais que ce mélange culturel est une richesse dont je peux être fière ».

 

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 10, mars-avril 2019.


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