Le Nouvel An lunaire, célébré mondialement, mêle traditions, soft power chinois et récupération politique, reflétant enjeux culturels et diplomatiques.
« C’est une date clé pour les relations diplomatiques franco-chinoises », affirme la sociologue Ya-Han Chuang à propos du Nouvel An lunaire, entrainant nombre de défilé, célébrations et rencontres culturelles. Chaque année, en plus du traditionnel défilé organisé dans le treizième arrondissement de Paris, accueillant plus de 200 000 spectateurs, des centaines d'évènements ont lieu partout en France, principalement au sein des diasporas chinoises et autres instituts Confucius. Difficile de ne pas y voir un élément de la stratégie de soft power de la part de l’Empire du milieu, désireux de promouvoir sa culture aux quatre coins de la planète. Et d’en mesurer l’attractivité : « Avant, le gouvernement chinois s’intéressait surtout au nombre de participants. Dorénavant, il regarde aussi leur qualité. Par exemple, il voit qu’il y a des gens qui viennent de toute l’Europe pour assister au défilé dans le 13e arrondissement de Paris », révélait Buon Tan en 2020, ex-député à l’Assemblée nationale (LREM) et ex-adjoint au maire du 13e.
Une domination chinoise ?
« Le Nouvel An chinois n’est pas qu’un outil de soft power, mais il fait partie des instruments déployés par la Chine, comme les centaines d’Instituts Confucius à travers le monde (qui proposent entre autres des cours de langue) et les organes de presse chinoise à l’étranger, pour étendre son influence culturelle à travers le monde », indique la sociologue. Une vaste opération de séduction qui consiste, selon la sinologue Stéphanie Balme dans un article consacré au soft power chinois, à « mettre en avant l’image d’un pays stable, pacifique et civilisateur ». C’est d’ailleurs l’ambassadeur de Chine en France qui donne le départ du défilé le plus important de France, organisé dans le 13e arrondissement de la capitale. « Une manifestation de l’hégémonie culturelle de la Chine », selon Ya-Han Chuang.
Cette place de premier plan occupée par la Chine se manifeste aussi dans l’appellation de l’événement. Encore souvent nommé « Nouvel An chinois », il concerne en réalité plusieurs communautés asiatiques (coréenne, vietnamienne).
Cette place de premier plan occupée par la Chine se manifeste aussi dans l’appellation de l’événement. Encore souvent nommé « Nouvel An chinois », il concerne en réalité plusieurs communautés asiatiques ( notamment coréenne et vietnamienne) qui célèbrent la même fête. D’où la revendication, défendue par une partie d’entre elles, de fêter le passage à la nouvelle année sous la bannière plus inclusive du « Nouvel An lunaire ». Ainsi, contrairement à la Mairie de Paris qui organise des célébrations officielles en l’honneur du Nouvel An chinois puis vietnamien, l’Élysée a préféré officialiser, dès 2013, cette appellation plus large faisant référence à l’origine de la fête, qui s’appuie sur le calendrier lunaire. « Nous souhaitions signifier que nous nous adressons à toutes les populations qui célèbrent cette fête, sans exclure certains, soulignait Buon Tan. La réflexion n’est toujours pas terminée : certains sont pour cette nouvelle appellation, d’autres sont contre. »
À l’Élysée, des célébrations sous tension
Organisées pour la première fois en 2010 sous Nicolas Sarkozy, les festivités du Nouvel An lunaire à l’Élysée en disent long sur la ligne diplomatique du gouvernement en place et sa politique à l’égard des communautés issues de l’immigration. Lors de son discours cette année-là, le Président en profita pour ériger les Asiatiques comme le « modèle d’une intégration réussie ».
« Avec de gros sabots, Nicolas Sarkozy a utilisé la présence de la communauté chinoise de France pour passer la pommade à la Chine. » Pierre Haski, pour l’Obs.
« Son discours vise à critiquer implicitement d’autres minorités, qui correspondent moins bien, selon lui, au modèle républicain », analyse Ya-Han Chuang. Le journaliste Pierre Haski, lui, suggérait à l’époque dans l’Obs que l’allocution du Président s’adressait également au gouvernement chinois : « Avec de gros sabots, Nicolas Sarkozy a utilisé la présence de la communauté chinoise de France pour passer la pommade à la Chine, avec laquelle les relations sont passées de l’exécrable au lendemain de sa rencontre avec le Dalaï-Lama fin 2008, à correctes ».
Le maire du 13e arrondissement Jérôme Coumet, le député Buon Tan, l'ambassadeur de Chine et plusieurs représentants politiques et associatifs lors du défilé de 2019.
En 2020, la relation d’Emmanuel Macron avec son homologue chinois semblait plus chaleureuse : « Lors de son voyage en Chine fin 2019, le Président a été très bien accueilli, et l’ambiance était très positive », témoignait Buon Tan, qui l’a accompagné. Mais surtout, note Ya-Han Chuang, « la politique d’Emmanuel Macron sur les communautés minoritaires et le multiculturalisme est différente de celle de Nicolas Sarkozy ». Ce qui pourrait expliquer, selon elle, qu’il ait annulé l’événement en 2019 après l’avoir organisé l’année précédente : « C’est un choix politique, qui vise à ne pas créer de concurrence entre les minorités issues de l’immigration ». Pour Buon Tan : « cette problématique n’est pas nouvelle : ça bruisse, et de plus en plus, les gens disent : Et pourquoi pas nous ? » Mais à l’en croire, l’annulation de l’événement était fortuite : « Avec tout ce qui s’est passé à l’époque avec les Gilets jaunes, il a dû renoncer à presque toutes les célébrations ».
Événement prestigieux, le Nouvel An à l’Élysée attise également les tensions dans le milieu associatif. « Il y a eu beaucoup d’histoires à ce sujet, raconte Sacha Lin-Jung, de l’association des Chinois résidant en France. C’était devenu non plus une fête ouverte et œcuménique, mais des récompenses pour des soutiens financiers et politiques. De nombreux acteurs de la vie sociale et économique avaient été rayés des listes car ils n’étaient pas proches de ceux qui envoyaient les invitations. Cela a créé des tensions très fortes au sein des communautés asiatiques. Tout le monde voulait s’en servir pour le prestige et pour avoir des faveurs financières. »
Une critique que Buon Tan, ancien responsable de la constitution des listes balayait en 2020 d’un revers de main : « C’est compliqué, car chacun a ses bonnes raisons de figurer sur la liste. Il faut un minimum d’organisation et d’équité, mais on ne peut jamais satisfaire tout le monde ».
Visibilité contre récupération politique
Aux traditionnelles danses du dragon se superpose désormais une autre parade : celle des politiques. « Le défilé dans le 13e est le plus multi-origines, c’est celui qui colle le mieux au récit républicain français, qui dit que la République a sauvé les réfugiés des anciennes colonies et réussi leur intégration », fait valoir Ya-Han Chuang. Mais surtout, estimait Sacha Lin-Jung, « ce sont des tribunes pour s’attirer la sympathie d’un électorat qui émerge ».
Ces dernières années, on a vu Anne Hidalgo, Manuel Valls, Jean-Marie Le Guen ou encore Valérie Pécresse se presser derrière la banderole de l’ARFOI, l’Association des Résidents en France d’Origine Indochinoise, pour apparaître au centre de la photo. Et voler la vedette aux membres de cette organisation à l’origine du tout premier défilé dans le 13e en 1986, événement dont elle est restée le chef d’orchestre.
Aux traditionnelles danses du dragon se superpose désormais une autre parade : celle des politiques.
« Nous sommes fiers car nous sommes partis de rien pour organiser cette fête, et nous avons dû nous battre avec les politiques pour obtenir les autorisations, confiait un membre de l’ARFOI. Aujourd’hui, l’événement a une portée internationale. Nous sommes contents que les politiques s’y intéressent mais nous tenons à rester apolitiques et refusons toute subvention. Nous ne souhaitons pas qu’un parti en particulier y soit représenté plus qu’un autre : il y a eu des représentants de la droite comme de la gauche. »
La reconnaissance politique des communautés concernées laisse un arrière-goût doux-amer. « J’étais content lorsque des gens comme Manuel Valls ou François Hollande sont venus, cela donnait de la visibilité à l’événement, indiquait Buon Tan. Mais bizarrement, les pics de participation des personnalités politiques ont eu lieu lorsque des élections étaient en vue... » Pour le député, « c’est gagnant-gagnant à condition que l’on respecte un certain nombre de choses, et que l’on ne s’empare pas des festivités pour aborder des sujets qui n’ont rien à voir ». Avec les élections municipales de 2026, il y a fort à parier que l’ouverture de l’année du Serpent de bois soit, une fois de plus, hautement politique.