Daniel Frèche, porte-voix des rapatriés d’Indochine, obtient enfin justice après 20 ans de lutte pour reconnaître et réparer.
Daniel Frèche est le président du Collectif des Eurasiens pour la préservation de la Cité d'Accueil des Français rapatriés d'Indochine (CAFI). Depuis 20 ans, il milite pour que les rapatriés d’Indochine ayant vécu dans des camps aux conditions indignes à leur retour en France puissent bénéficier d’une reconnaissance financière et mémorielle. Le 4 juin 2025, les députés français ont approuvé à l'unanimité une proposition de loi portée par le député PS Olivier Faure, lui-même eurasien. « Je n’avais pas connaissance de cette histoire, explique le député. Je l’ai découverte avec le témoignage de Daniel, entre autres. Le fait d’être eurasien me permet de comprendre la douleur de gens qui ne se sentent pas reconnus. Cette loi vient réparer de quelque chose de profond. »
Quelques jours plus tôt, Koï avait rencontré Daniel Frèche chez lui, aux Pavillons-sous-bois, pour qu’il nous explique son parcours et les raisons de son combat.
Abel , Daniel, Raymond et Viviane FRECHE au CARI de Bias en CE2 en 1957.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis né au Vietnam en 1946 dans la région de Saïgon (devenue Hô Chi Minh-Ville). Mon grand-père, Olivier Frèche, était un colon français venu s’installer en Indochine pour travailler au sein de la douane.
Il vivait en concubinage avec une Vietnamienne avec laquelle il a eu 8 enfants, dont ma mère. Cette dernière était donc également française. Nous étions une famille très bourgeoise, vivant dans une villa et possédant une voiture, ce qui était rare à l’époque.
Pourquoi votre famille a-t-elle dû quitter le Vietnam ?
En 1954, après les accords de Genève [signant la fin de la colonisation en Indochine, ndlr], le gouvernement français a demandé à ses ressortissants de se retirer du pays compte tenu des pressions et des menaces.
En 1956, ma mère, mes 5 frères et sœurs et moi arrivons en France. Mon père, lui, n’avait pas la nationalité française et ne pouvait pas partir. Le voyage a duré 25 jours dans les cales d’un bateau de croisière. Il n’y avait pas d'intimité ni d’hygiène. Les cabines étaient réservées aux colons et aux militaires.
En France, nous avons été dispatchés dans plusieurs camps dont ceux de Sainte-Livrade-sur-Lot (1200 personnes), Bias (800 personnes) et Noyant-d’Allier (1700 personnes).
De quoi viviez-vous ?
Nous vivions de manière très précaire grâce aux allocations familiales. Ma mère devait s’occuper de ses 6 enfants âgés de 1 à 12 ans. Elle ne pouvait donc pas travailler. La plupart des familles de rapatriés étaient constituées de mères vietnamiennes veuves ou abandonnées par leurs concubins. Pour sortir du camp, il fallait demander l’autorisation. Alors que nous étions censés être des Français libres !
En 1959, les rapatriés d’Indochine ont manifesté à l’intérieur du camp pour réclamer de meilleures conditions. L’État a envoyé les CRS pour les mater. La même année, il y a eu la mise en place de « l’arrêté Morlot ». Il indiquait que tous les rapatriés qui présentaient un signe de richesse devaient quitter le camp : une voiture, un frigo, une machine à laver, par exemple.
Aviez-vous des relations avec la vie locale ?
Les villageois nous appelaient les « Chinois verts » et ne nous considéraient pas comme des Français. De mes 12 ans à mes 22 ans, j’ai ramassé les petits pois, les haricots, les pommes, les cerises et même les feuilles de tabac dans les champs du coin.
CRS envoyés en1959 pour mater les protestations des résidents.
Pourquoi avez-vous décidé de porter ce combat ?
En 2005, j’ai regardé à la télévision le documentaire Le Camp des oubliés. J’en ai pleuré toute la nuit car j’ai pris conscience que certaines mères vietnamiennes y vivaient encore et que leurs vies avaient été misérables. J’ai un esprit militant et je voulais donc que l’État paye pour ne pas avoir fait son devoir, c’est-à-dire ne pas nous avoir accueilli dans de bonnes conditions. À titre plus personnel, je porte également ce combat pour honorer ma mère, décédée à 61 ans dans le camp.
Comment a-t-il pris forme ?
Nous voulions demander à l’État une réparation des préjudices subis et un lieu de mémoire pour les rapatriés d’Indochine.
En 1961, le premier texte de loi sur les rapatriés a été adopté pour leur donner une définition juridique et légale. Mais juste avant ce vote, l’État a transformé le CARI (Centre d’Accueil des Rapatriés d’Indochine) en CAFI (Centre d’Accueil des Français d’Indochine). Ce glissement sémantique montre une volonté d’ôter aux rapatriés d’Indochine la possibilité et le droit de se revendiquer de ce statut. En conséquence, nous avons été exclus des lois votées en 1970, 1987, 2005 et 2022 en faveur des rapatriés.
Nous avons donc écrit au président de la République, au secrétariat d’État des Anciens combattants et à tous les députés pour leur présenter notre situation. Étant lui-même eurasien, Olivier Faure a été sensible à notre cause et a décidé de porter une loi portant reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine et réparation des préjudices subis par ces derniers.
Panneau du CARI de Sainte Livrade/Lot, géré par le secrétaire d 'État des rapatriés en 1958.
Que contient-elle ?
Les députés ont voté deux mesures essentielles : d’abord, une réparation financière pour effacer les préjudices subis pour ceux qui ont passé du temps dans ces camps. Ensuite, le texte prévoit également l’instauration de plusieurs lieux de mémoire à Sainte-Livrade-sur-Lot et à Noyant-d’Allier et une journée nationale pour les rapatriés d’Indochine, le 8 juin.