Quartier japonais à Paris, restaurants, expatriation. La diaspora japonaise nous raconte son installation.
Doucement, l’effervescence de la rue Sainte-Anne commence à s’estomper. Il est presque seize heures, les restaurateurs tentent une brève pause avant le service du soir. Plongeur à mi-temps dans une des cuisines de ce quartier japonais, en plein cœur de Paris, Junichi Shioura se rappelle son arrivée en France. « J’avais 28 ans, je voulais devenir écrivain », confie-t-il en souriant. Depuis, ce soixantenaire, également fondateur de Kitoki, une société de décoration intérieure, n’est jamais reparti.
Comme lui, plus de 30 000 Japonais ont choisi de s’installer dans l’Hexagone, selon le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Principalement établis dans la capitale, ils ont fait du secteur de l’Opéra le « Little Tokyo » parisien.
Contrairement à d’autres quartiers d’immigrés, celui-ci se caractérise par son emplacement, jouissant d’une forte attractivité économique. Cette particularité s’explique par l’arrivée en nombre de touristes japonais à Paris, dès les années 1960. Les premiers commerces à voir le jour sont alors des agences de voyage, des compagnies aériennes, des hôtels et des restaurants qui répondent à cette clientèle de passage. Les établissements nippons se sont ensuite multipliés pour former cette zone d’une vingtaine d’hectares, organisée autour de la rue Sainte-Anne. Hyper-central, le secteur n’est pourtant pas le lieu de résidence principal des Japonais qui préfèrent s’établir dans l’ouest parisien. Les XVe et XVIe arrondissements de la capitale seraient ainsi privilégiés, selon les chercheurs.
Un attrait culturel important
Au-delà de ce quartier atypique, la communauté japonaise se distingue surtout par son engouement pour la culture tricolore. À partir du XIXe siècle, des artistes et intellectuels nippons commencent à arriver par petits groupes, attirés par le rayonnement international de la France. Aujourd’hui encore, les motivations d’implantation n’ont pas beaucoup évolué et sont rarement de nature purement économique.
« Environ trois quarts des Japonais qui résident ici sont titulaires de diplômes universitaires », rapporte Yvan Gastaut, historien et spécialiste de l’immigration. « Il n’existe pas réellement de population ouvrière venue du Japon, les expatriés expriment davantage la volonté d’acquérir une expérience culturelle. La mode, la gastronomie, mais aussi tout ce qui est traduit dans la littérature, attirent énormément », poursuit-il.
« Les Français n’ont pas toujours une très bonne réputation à l’étranger, je me suis aperçue de leurs bons côtés grâce à la littérature », Juju Alishina, en France depuis 20 ans.
Passionné par les lettres, Junichi Shioura ne dira pas le contraire. « J’ai découvert Alain Fournier quand j’étais à la fac de littérature française. En lisant cet auteur, je me suis dit : il faut absolument que je découvre son pays », raconte l’homme de 65 ans, la voix encore teintée d’admiration. Cette découverte au travers des livres, Juju Alishina, professeure de butô, danse théâtrale nippone, et directrice de la compagnie Nuba, en a aussi fait l’expérience. En France depuis maintenant vingt ans, elle s’est très jeune intéressée au pays de Molière. « Je lisais beaucoup, Zola, Maupassant... se remémore-t-elle, avant d’ajouter amusée : les Français n’ont pas toujours une très bonne réputation à l’étranger, je me suis aperçue de leurs bons côtés grâce à la littérature. »
Pour Yusuke Takata, installé depuis quatre années en région parisienne et diplômé depuis peu d’un master en urbanisme, c’est « la variété de l’architecture française » qui l’a poussé à venir découvrir le pays. « C’était la raison de mon tout premier voyage en France, en 2007. Ici, contrairement au Japon, l’urbanisme regroupe aussi l’animation des espaces publics. C’est très intéressant dans mon domaine. La fête de la musique est d’ailleurs devenue un des sujets de mon mémoire », explique-t-il.
« Je comptais seulement rester le temps de mon cursus, mais finalement je suis toujours là », Ryoko Usui qui a quitté le Japon par amour.
Couples mixtes
Au-delà de l’attraction qu’exerce l’Hexagone hors de ses frontières, les couples mixtes constituent un motif fréquent d’expatriation. Si l’image de la France a, en effet, toujours séduit Juju Alishina, c’est sa relation avec un Français qui l’a encouragée à venir vivre à Paris. « J’ai rencontré mon mari au Japon, il suivait des cours de théâtre. C’était plus facile pour moi de vivre de mon travail en France, nous sommes donc venus nous installer ici. »
En 2006, Ryoko Usui, a elle aussi quitté son pays par amour. Alors qu’elle était venue reprendre des études de cinéma et d’audiovisuel dans la Ville Lumière, elle y a rencontré son conjoint. « Je comptais seulement rester le temps de mon cursus, mais finalement je suis toujours là », sourit-elle.
Si elle n’avait pas prévu de s’implanter, Ryoko Usui confie son plaisir de vivre dans une société où l’égalité des sexes est mieux respectée. « Comme beaucoup de Japonaises, j’imagine, la liberté des femmes en France m’a toujours attirée. Au Japon, elles supportent encore le poids de la tradition. Ma mère, par exemple, me disait souvent : Le jour où tu auras un enfant, tu n’auras plus besoin de travailler. »
« Comme beaucoup de Japonaises, j’imagine, la liberté des femmes en France m’a toujours attirée. »
Lorsqu’elle résidait au Japon, Juju Alishina a, de son côté, subi dans sa profession les stéréotypes liés à l’âge. « Dans la société japonaise, la jeunesse des femmes est très importante. À 26 ans, en tant que danseuse, j’étais déjà considérée comme vieille. On me ramenait systématiquement à mon âge. Je pense que si j’étais restée là-bas, je n’aurais pas exercé ma passion aussi longtemps. »
Aimants contraires
Aujourd’hui, Juju Alishina a à cœur de transmettre un peu de sa culture aux Français grâce à son métier. « Je me pose toujours la question de ce que je peux apporter quand je me trouve à un endroit. En enseignant le butô, c’est formidable parce que je suis entourée de personnes qui sont là par plaisir, pour découvrir cette danse japonaise », s’enthousiasme la chorégraphe. Que ce soit à travers le butô, les mangas, la gastronomie ou les arts, la passion des Français pour la culture nipponne ne cesse de grandir. Et cet enthousiasme conduit, lui aussi, chaque année des expatriés à s’installer au Pays du Soleil-Levant. Un peu comme s’il existait une forme d’échange, de dimension commune que partagent la France et le Japon. « Une connexion, comme un jeu de miroirs entre nos deux cultures », résume Yvan Gastau.
Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 6, juillet/août 2018.