Fleur fragile dans « Les Confins du monde », Lang Khê Tran éclot au cinéma. Rencontre avec une jeune actrice qui a pourtant passé sa vie dans les studios.
Partageant l’affiche du film de Guillaume Nicloux (Valley of love, La religieuse, L’enlèvement de Michel Houellebecq, ...), avec Gaspard Ulliel et Gérard Depardieu, Lang Khê Tran évoque « de la chance ». La jeune femme, alors inscrite à la fac de cinéma et théâtre, avait d’abord décliné la proposition du réalisateur, qui l’avait repérée en photo et la contacte sur les réseaux sociaux. Il insiste et la rencontre à Paris pour lui faire lire le scénario des Confins du monde. Elle accepte.
Les sept semaines de tournage, en mars 2017, dans la moiteur du Vietnam ne lui font pas peur. Ses parents, Tran Nu Yên Khê et Trần Anh Hùng, en sont originaires. Sur place, les conditions sont difficiles : pas de studio, juste la jungle. Guillaume Gouix, un de ses partenaires sur le tournage se souvient : « C’était un film où on était dans le climat de l’histoire, sans chichi. On a dû tous perdre du poids, il faisait chaud, humide... »
Lang Khê Tran ne pèse alors qu’une quarantaine de kilos, dès le premier jour du tournage. Elle raconte son stress : « Au début, j’avais très peur. Je suis arrivée, sans avoir réalisé aucune lecture ni répétition et j’étais face à Depardieu. Je ne savais même pas pourquoi le réalisateur m’a fait confiance à ce point ! » Timide, la jeune femme confie être stressée « juste pour faire une commande au resto ou lorsqu’on me présente des amis ». Mais Gérard Depardieu la met à l’aise. « C’est un homme très paternel, généreux, curieux », décrit-elle.
Ses angoissent s’estompent au fil des jours, bien qu’elle n’ait jamais pris de cours de théâtre avant. « Je ne me pose pas vraiment la question de première fois ou non. J’avais l’impression de voir une actrice des années 30, avec un truc très simple dans le jeu, son naturelle, sa jeunesse », explique Guillaume Gouix.
Une affaire de famille
Lang Khê Tran a peut-être ça dans le sang. « Mon père fait des films », indique-t-elle pudiquement derrière un sourire encadré d’adorables fossettes. Son papa, Trần Anh Hùng, est en effet le réalisateur de L’odeur de la papaye verte (Caméra d’or au Festival de Cannes en 1993 et César de la meilleure première oeuvre en 1994), Cyclo (Lion d’or à la Mostra de Venise en 1995) et À la verticale de l’été, dans lesquels joue Tran Nu Yên Khê.
La jeune Lang Khê grandit littéralement sur les plateaux de tournage, et suit ses parents, avec son frère, à Hong-Kong puis au Japon. « J’étais habituée à être en salle de montage, à arpenter les studios. » Sa mère se souvient également de son premier rôle, à deux ans et demi, où elle doit faire semblant de dormir. « C'était une enfant très curieuse et vive, allant de la régie au département lumière. Elle aimait aussi passer du temps dans ma loge. C’était un petit électron libre qui se baladait partout. »
Elle suit alors une éducation classique d’expatriée, dans des lycées français à l'étranger, sans s’intéresser plus que ça au métier d’actrice. « C’est tardivement et avec surprise qu’on a appris ce désir, qui est arrivé par hasard », confie sa mère.
« Pendant les dîners, lorsque mon père parle de cinéma, je n’ose pas lui poser de questions. C’est l’homme le plus cultivé que je connaisse mais il ne supporte pas la médiocrité. Je le respecte beaucoup », nous dit Lang Khê Tran, les yeux plein d’amour. Elle admire aussi Stanley Kubrick, Terrence Malick (« mais pas les derniers » précise-t-elle), Francis Ford Coppola, Gaspar Noé ou encore Hayao Miyazaki (« Il a construit mon imaginaire depuis toute petite ») et exprime avoir « toujours voulu être réalisatrice ».
« À la fin, les gens ont applaudi. C’était la première fois qu’on m’applaudissait pour quelque chose que j’avais fait. »
Premiers pas à Cannes
En 2018, Lang Khê Tran se rend pour la première fois à Cannes, pour la promo du long métrage de Guillaume Nicloux. Son père ne lui donne qu’un conseil : « Fais attention ». Elle allume une cigarette pour nous en parler : « La productrice du film m’a appelée, m’a demandé si j’étais dispo en mai et m’a dit de booker ces dates ».
Elle se souvient des photographes qui l’attendent à la sortie de l’hôtel, de la promo avec Guillaume Gouix, de sa première interview face caméra après n’avoir dormi que deux ou trois heures, et de la première. « À la fin, les gens ont applaudi. C’était la première fois qu’on m’applaudissait pour quelque chose que j’avais fait. » Elle semble encore touchée en se remémorant ce souvenir.
Sa mère confirme ce déclencheur pour Lang Khê. « La toute première fois qu’elle a vu le film, elle a été bouleversée : de se voir à l’écran, dans des scènes intimes... Ça a été difficile pour elle d’en parler. Après la projection à Cannes, en public, elle est revenue plus forte, plus sûre d’elle. »
Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 8, novembre/décembre 2018.