J'ai testé... un cours de danse du lion

Par Pauline Le Gall
Photo de Mathieu Aghababian

Pour le Nouvel An lunaire, notre journaliste intrépide a testé un cours de danse du lion. 

Les dimanches de novembre, habituellement, je reste sous mon plaid avec ma pile de livres et ma tasse de thé. Habituellement. Pas aujourd’hui. Nous sommes fin novembre, à un peu plus de deux mois du Nouvel An lunaire, et je suis dans la ligne 14 du métro parisien pour rejoindre la PLS. PLS veut dire Paris Lion Sport, une association qui pratique la danse du lion. Ça veut dire aussi Position Latérale de Sécurité — et c’est dans cette posture que les usagers du métro me retrouveront après trois heures de sport intensif. J’anticipe.

J’arrive rue de Choisy dans le 13e arrondissement où Vincent Duc, qui mène le cours aujourd’hui, m’a donné rendez-vous. Élancé et sportif, le sourire aux lèvres, il m’explique que nous allons cheminer vers un parking pour nous entraîner. Je feins de ne pas être surprise de ne pas rejoindre un gymnase chauffé avec bar à smoothie intégré. « Nous sommes en conditions réelles ! » s’amuse-t-il.

« C’est sportif à quel point un lion ? » Il y en a bien qui se prélassent, non ?


Après tout, les représentations de danse du lion se font en extérieur. La principale, au moment du Nouvel An, se déroule au cœur de l’hiver. Je profite des quelques rues qui nous séparent du parking pour demander discrètement à Vincent ce qui m’attend. « C’est sportif à quel point un lion ? » Il y en a bien qui se prélassent, non ? Il me décortique la séance : échauffement puis pratique avec les têtes d’entraînement. La danse du lion est un sport à part entière, avec des figures complexes et des compétitions internationales à Singapour, Hong Kong, Taiwan et en Malaisie, où le groupe part d’ailleurs s’entraîner régulièrement.

Répétition de danse du lion avec Paris Lion Danse, à Paris. 

Rendez-vous au parking, où les lions déambulent entre les voitures
Nous descendons en sous-sol, slalomant entre les camionnettes et les voitures garées là pour l’après-midi. Les membres du groupe, qui ont entre treize et trente cinq ans, posent leurs affaires sur une place vacante et sortent d’un grand sac des cascades de pantalons brillants et de capes qui scintillent sous les néons. Les éclairs jaunes, verts et rouges des têtes et des étoffes qui passent de main en main tranchent avec le gris triste des murs bétonnés.

Mais comment être un lion convaincant sans en avoir la fière allure ? Je glisse le pantalon bouffant par-dessus mon legging.


Je pose mon manteau et mon sac dans un coin, espérant me faire oublier. Vincent avance vers moi avec un pantalon noir, strié de bandes en laine rouges et noires, qui forment des vagues. Il me le tend. « C’est pour toi ! » J’esquisse un petit sourire crispé, me rappelant l’échauffement intensif à venir. Mais comment être un lion convaincant sans en avoir la fière allure ? Je glisse le pantalon bouffant par-dessus mon legging tandis que Vincent m’explique patiemment comment serrer la taille avec la longue ceinture noire. Après avoir mélangé le côté droit et gauche, ne pas avoir assez serré, avoir enroulé le tout maladroitement, me voilà parée. Et maintenant ? « Maintenant, on s’échauffe » crie Vincent en tapant des mains.


Répétition de danse du lion avec Paris Lion Danse,
à Paris. 


Je commence à trotter entre les voitures, mon pantalon volant à chaque foulée. Prochaine étape ? Le sprint. Deux têtes de lions, qu’il faut aller taper à chaque passage, sont posées au sol. Ma voisine me bat à plate couture et à la fin de mon premier aller-retour, je pars me cacher derrière une voiture pour éviter la suite de la séance. Certes, le pantalon rouge vif n’est pas le meilleur camouflage, mais dans un parking, personne ne vous entendra être essoufflée.

Je n’ai enfilé ma tenue que depuis trente minutes et je suis déjà plus bœuf que lion. 


Je n’ai enfilé ma tenue que depuis trente minutes et je suis déjà plus bœuf que lion. Je profite de ma cachette pour éviter les pompes et continue mon rôle de lion déserteur pour les séries de squat.

À la fin de l’échauffement, Oriane, dix-neuf ans, arrive avec une énorme tête de lion jaune, pour me montrer quelques mouvements simples. Simples, c’est du moins ce que je m’imagine. La jeune fille pratique depuis deux ans. Tout comme Vincent, ce sont les défilés du 13e arrondissement de la capitale, où elle a grandi, qui lui ont donné envie de se lancer. Du temps de ses parents, il fallait passer par le kung-fu. Désormais, il est possible de s’inscrire directement à cet entraînement où les filles sont de plus en plus nombreuses. Dans le groupe, les origines varient. Tous ont, comme elle, grandi dans le 13e arrondissement de parents d’origine chinoise, vietnamienne, thaïlandaise…

 

Répétition de danse du lion avec Paris Lion Danse, à Paris. 



Oriane commence par me faire sous-peser la tête. Naïve, je m’attends à prendre dans mes mains l’équivalent d’une piñata. La réalité est toute autre et la tête semble peser aussi lourd qu’un chat grassouillet que je porterais à bout de bras. Du coin de l’œil, je vois les autres membres de l’association se porter les uns les autres, l’accessoire brandi comme s’il était léger comme une plume.

« Mais ça fait mal, c’est normal ? »
La première figure consiste à écarter les jambes, baisser le torse et actionner la tête pour que le lion marque une pause d’un côté puis de l’autre. Oriane se met parfaitement droite face à moi et j’ai l’impression de la voir se transformer en un animal gracieux et espiègle. Voilà qu’elle me tend la tête. « À toi ! » Je glisse la tête dans le masque.

À l’intérieur, des fils dépassent et un long cordon se balance devant mes yeux. Je vois les globes oculaires inquiétants de la bête. En bas de la tête, deux poignées sont fixées. Oriane m’explique qu’il faut que j’agrippe celle de droite avec ma main droite et qu’avec ma main gauche je maintienne le clapet en carton qui actionne la gueule du lion fermée. Lorsqu’elle est ouverte, on peut encore voir l’extérieur. « Mais attends Oriane je ne vois rien là c’est normal ? » Ma question est accueillie par un rire et par le son frénétique des grelots fixés au-dessus de la tête du lion, que j’affole en bougeant ce pauvre animal dans
tous les sens.

Je m’accroupis et j’entends les instructions (« Les pieds plus écartés ! Plus bas ! Tiens tes jambes ! ») que je ponctue systématiquement de « Mais ça fait mal, c’est normal ? » Je l’apprends très vite : oui, ça fait mal, c’est normal. Cachée derrière ma tête, aveugle au monde extérieur, j’essaie de me mettre dans la peau du lion et je tourne à droite puis à gauche en le bloquant par un mouvement saccadé. Je n’arrive pas à me concentrer à la fois sur mes jambes et sur mes bras qui se plient sous le poids de la tête. Pire : je ne peux pas voir si tout le monde se moque de mon incompétence de l’autre côté du masque. Je ne baisse pas assez mes jambes, je bouge trop, mais je me prends rapidement au jeu.

« Il faut encore plier les jambes ? » Ma camarade du jour est catégorique. « Toujours ! »


Oriane me montre la suite : le lion qui avance, un pied devant l’autre. Pleine d’espoir, je demande : « Il faut encore plier les jambes ? » Ma camarade du jour est catégorique. « Toujours ! » Avec mon bras droit, je dois lâcher la poignée pour activer l’élastique qui pend devant mon visage : ce mécanisme permet au lion de cligner des yeux. À chaque fois que je le tente, je fais tomber mes lunettes et je lâche l’autre côté du lion qui tombe gauchement. Oriane et moi nous accordons pour nous dire que le clignement de mon lion est un peu trop langoureux et pas assez fier et énergique. Un lion de lendemain de réveillon — à la limite. Mon mouvement préféré est le troisième : les jambes pliées, je porte la tête à bout de bras et la lève en l’air dans un foisonnement de grelots. Le salut.

Pour me faire plaisir, Oriane a même allumé les lumières sur la tête : mes yeux de lion sont rouge vif, je les vois briller de l’intérieur de ma cage.

Une fin en fanfare
Vincent passe derrière nous et je lui demande à quel moment ils s’entraînent en musique. Oriane m’a chanté les rythmiques pour me donner une idée de la cadence infernale, mais je n’ai pas expérimenté le son des instruments. Il m’explique qu’il n’est pas possible, à cause du bruit dans le parking, d’accompagner les mouvements des tambours et des cymbales rythmiques
traditionnels.

Répétition de danse du lion avec Paris Lion Danse,
à Paris. 

 

Nathalie, qui fait partie elle aussi de l’association depuis près de dix ans et m’explique qu’elle est la « maman » du groupe, propose de m’emmener. J’y vois une excuse parfaite pour laisser à mes cuisses un petit
moment de répit. Toutes les deux, nous nous enfonçons plus profondément dans le parking en colimaçon jusqu’à pénétrer quelques étages plus bas. Au milieu des voitures, un petit groupe répète. Le rythme qui résonne sur les murs de béton est assourdissant et vibre dans tout mon corps.

 Le rythme qui résonne sur les murs de béton est assourdissant et vibre dans tout mon corps.

 
« Il ne faut pas rester très longtemps » m’explique Nathalie. Elle-même a commencé par faire de la musique avant de danser. Aujourd’hui, chacun fait un peu de tout, pour que les équipes tournent. À peine le temps d’observer les visages concentrés des musiciens et nous remontons.


Autour de nous, le groupe commence à se former autour de Vincent : ils s’apprêtent à répéter une danse spécifique pour un événement futur. Ils volent dans les airs, grimpent sur le dos les uns des autres. Tenir ce rythme les vingt minutes de la représentation ? Cela me semble de la science-fiction.

Ces dernières années, en marge du Nouvel An, l’association est de plus en plus sollicitée pour des inaugurations et des mariages. Je ne me sens pas encore prête pour un porté, pour un saut ou pour virevolter avec ma tête de lion. Je préfère, pour l’heure, rester au sol. Il est donc temps de défaire, à regret, la ceinture de mon pantalon, et de la replacer au milieu des capes brillantes. Je ne suis pas sûre d’avoir la trempe d’un lion, mais je suis fière d’en avoir côtoyé toute une bande, le temps d’un après-midi d’automne.

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 15, janvier-février 2020.


Article précédent Article suivant

Récents