J'ai fait mes études en Corée du Nord

Par Pandou Media
Photo de YOSHIYUKI TSUBAKI

Ils sont partis étudier en Corée du Nord. Rencontre avec ces étudiants français qui bravent les recommandations du Quai d’Orsay. 

Déjà en 2017, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères était formel : « En raison de la montée actuelle des tensions et du climat d’incertitude et d’imprévisibilité qui prévaut en Corée du Nord, tous les déplacements y sont déconseillés sauf raison impérative ». Depuis la séparation de la péninsule en deux, en 1953, la France n’entretient pas de relation diplomatique avec la République populaire démocratique de Corée (RDPC) et les voyages dans ce pays y sont déconseillés. Cela n’a pas empêché Bryan Sauvadet de s’y rendre à deux reprises. Le jeune homme à la silhouette longiligne et au visage caché derrière une épaisse monture de lunettes est étudiant en histoire de l’art religieux classique au Vietnam et en Corée. Il se rappelle avoir été encouragé par sa directrice de mémoire, avec « l’opportunité de rencontrer l’élite » et d’y approfondir ses recherches. C’était en 2015 et un petit groupe d’étudiants français mettait les pieds en Corée du Nord pour la première fois depuis des années. Bryan Sauvadet se souvient des photos prises par son grandpère, résidant en Asie, et de son intérêt pour le continent dont il ne connaissait, adolescent, que les dramas (séries télévisées). Après l’obtention de son baccalauréat, il part seul un mois et demi en Corée du Sud, alors qu’il ne parle pas un mot de coréen. « J’ai eu une grosse claque », se rappelle-t-il. Il s’oriente alors vers l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et y apprend le chinois, le japonais, le coréen et le vietnamien. « La Corée du Nord, je l’ai connue avec la Coupe du monde de 2002 », s’amuse-t-il aujourd’hui. Il n’avait alors jamais envisagé d’y mettre les pieds et ne se voyait pas « payer un billet d’avion pour Pékin beaucoup trop cher, tout ça pour rester à la frontière ». Sa rencontre avec Patrick Maurus change la donne. Alors professeur de langue et de littérature coréenne au sein de l’institut, l’énigmatique enseignant fait délivrer les autorisations nécessaires pour faire entrer douze Français sur le territoire. Dans un café parisien, Maurus ne s’étend pas sur ses premiers voyages en Corée du Nord. « Information non disponible », sourit-il. Il est alors à la tête d’une association proposant des voyages « thématiques » dans la péninsule.

« C’était comme un vieux film des années 70 : le vieux train, les enfants que l’on voyait jouer dans les champs… et entre tout ça : les slogans et les portraits des Kim. »


Le jeune étudiant en histoire de l’art saisit cette opportunité unique pour faire avancer son mémoire. Il se souvient de la réaction très positive de ses parents. « Ils n’ont pas essayé de me décourager, au contraire, explique-t-il. Par contre, nous avons payé le billet une fortune ! Nous sommes arrivés à Pékin puis nous avons pris le train jusqu’à Dandong », ville portuaire à la frontière chinoise, avant de passer du côté coréen. « Entre étudiants, nous mutualisions le stress. Nous avons été fouillés dans le train et on nous a demandé de retirer de nos ordinateurs tout ce que nous avions sur la Corée du Sud, raconte Bryan Sauvadet. Après, c’était comme un vieux film des années 70 : le vieux train, les enfants que l’on voyait jouer dans les champs… et entre tout ça : les slogans et les portraits des Kim. »

 

En Corée du Nord. 


L’humour des douaniers nord-coréens
Manon Prud’homme, étudiante également, se souvient elle aussi de son voyage jusqu’en Corée du Nord. Elle y a séjourné quarante jours, en 2016, parmi la promotion des étudiants qui a succédé à celle de Bryan Sauvadet. « J’avais passé un mois en Corée du Sud, puis je suis allée en Chine pour retrouver mon groupe. J’y ai rejoint 3 autres étudiantes de coréen. Je n’ai pas eu peur, j’étais super excitée. » Les démarches pour récupérer le visa sont compliquées, mais elle détenait déjà un sésame : « Nous étions invitées à l’université Kim Il-sung ». Une invitation qui vaut son pesant d’or et le respect de tous ses interlocuteurs. Elle se souvient de son passage à la douane : « J’ai déclaré mes bouquins, mon smartphone, mon appareil photo. Je suis tombée sur un douanier qui foutait un peu les pétoches. Je lui ai dit que je parlais coréen, que je venais de France, que je n’avais pas de GPS. Il a pris mon appareil photo et m’a dit qu’il y avait une prise GPS. J’ai flippé. Il m’a répondu : Mais non je rigole !… ». La jeune étudiante se retrouve alors dans le train que son camarade Bryan Sauvadet avait pris un an plus tôt. Elle avait découvert le pays grâce au livre Rescapé du camp 14, de Blaine Harden, sur l’histoire d’un réfugié Nord-Coréen. Le journaliste américain relatait dans cet ouvrage la vie de Shin Dong hyuk, un homme qui affirmait avoir passé toute sa vie dans un camp de haute sécurité en Corée du Nord avant de s’en échapper. « Ça a tout déclenché chez moi, explique-t-elle. Ce livre très dur m’a donné une vision de la Corée du Nord à travers les camps, la torture. J’y étais très hostile, mais je n’avais pas les clés pour comprendre le pays. J’ai découvert qu’on pouvait y aller grâce à Patrick [Maurus]. J’ai découvert des auteurs, des chercheurs et une autre facette du pays. J’avais mon idée de master en tête, sur les réfugiés nord-coréens. Après ma deuxième année, j’ai envoyé un mail à Patrick pour lui dire que j’étais frustrée dans mes recherches. » C’est alors que s’est organisé ce voyage.

Welcome to Pyongyang
A son arrivée à Pyongyang, Bryan Sauvadet et ses camarades sont accueillis par une « toute petite coréenne », « toute bien coiffée », « avec son petit chemisier blanc ». « Bonjour, je suis Kim, je suis votre accompagnatrice », annonce-t-elle, dans un français parfait. Elle sera leur guide, leur référente, pendant quarante jours sur place, sélectionnée parmi les meilleurs étudiants de français pour accompagner les invités de l’université. Bryan Sauvadet sort de la gare et découvre « du monde partout », « des gens qui quittaient leurs bureaux », « des écrans et des néons ». Rien à voir avec les images sans âme diffusées par les médias occidentaux. Sa promotion a pu dormir au sein du campus universitaire, dans le dortoir des étudiants étrangers, alors que la suivante est restée quarante jours à l’hôtel, avec des étudiants chinois, nord-coréens, etc. « Quand le cuistot de l’hôtel a su que quatre Françaises étaient là, il a essayé de faire de la cuisine française. Alors que nous voulions manger nord-coréen, se remémore avec beaucoup d’humour Manon Prud’homme. Au petit déjeuner, il essayait de nous faire un « continental », avec une espèce de pain perdu, une confiture de fraises à l’alcool et des œufs. En plus il n’y avait pas de café, alors nous ramenions nos petites dosettes. » Sur place, la vie est rudimentaire. Si Bryan Sauvadet se lave à l’eau froide dans le dortoir, à l’hôtel, « il faut laisser couler l’eau longtemps avant qu’elle soit chaude, le lit est beaucoup plus dur, il y a parfois des coupures d’électricité, etc. Ce n’est pas le même confort. Ce n’est pas un voyage destiné à tout le monde. Il faut un peu s’oublier, s’adapter », explique Manon Prud’homme. Malgré cela, l’étudiante affirme : « Nous étions privilégiées là bas, nous étions des princesses ». Les quatre jeunes femmes de la promotion 2016 bénéficient d’une grande liberté. « Je crois qu’on ne nous a jamais dit non, réfléchit-elle. Pour les photos, nous nous bridions nous même. Nous pensions que nous ne pouvions pas sortir sans notre étudiant coréen. Et quand il arrivait, il nous disait : Mais pourquoi vous n’êtes pas sorties avant ? »

 

Bryan Sauvadet, lors de son séjour en Corée du Nord. 

Bryan Sauvadet résume le programme de l’université pour les étudiants étrangers : « Le matin, c’était lecture, conversation et spécificités liées à la linguistique ». L’après-midi : « activités libres, volley, sieste, piscine ». « Pour les sorties, nous allions au musée, se remémore l’étudiant de l’Inalco, au parc, faire du shopping. Nous étions super encadrés. Dès que nous voulions sortir, il fallait demander la permission. Mais au bout d’un moment, nos accompagnateurs sont tout simplement devenus des Nord-Coréens de notre âge avec qui nous sortions prendre le métro. » Pourtant, Bryan Sauvadet ne se satisfait pas entièrement de ce premier voyage et rentre frustré de ne pas avoir mené toutes ses recherches. Il décide de repartir l’année d’après, en octobre 2016, accompagné de son ancien professeur Patrick Maurus. « J’en fais plus en 48 heures en Corée du Sud qu’en deux semaines en Corée du Nord. D’où ma frustration et ce deuxième voyage pour prendre en photo des temples qui n’ont pas été photographiés depuis les années 70, des musées, des livres. » Néanmoins, les photos restent sous le contrôle des encadrants du groupe. « J’avais pris un peintre de rue en photo et ils m’ont demandé de l’effacer ». Ils expliquent au Français qu’il s’agit d’une question de pudeur, que les Nord Coréens préfèrent ne pas montrer cette image de leur pays.

Flirt en Corée du Nord
Le petit groupe de Manon Prud’homme était quand à lui plus libre de ses mouvements. « Je pense qu’entre le voyage de Bryan et le mien, une relation de confiance s’est construite. Nous avons pu prendre un taxi par exemple et nous balader toutes seules, sans notre étudiant nord-coréen. » Les échanges avec les locaux et étrangers sont réguliers, les Français font découvrir les rappeurs du moment à leurs homologues nord-coréens. La musique adoucissant les mœurs, des flirts voient le jour. L’étudiante en coréen est très à l’aise avec le sujet : « Parfois j’avais l’impression que les Nord-Co’ étaient au courant de plein de choses : nous évoquions même la sexualité ».

 

Une superette en Corée du Nord.

 

Bryan Sauvadet confirme cette ouverture : « Nous avons parlé des gays et notre interlocuteur nous a répondu : Ah oui je sais que ça existe ! ». Si leurs homologues semblent recevoir des informations d’Occident, les étudiants français sont quand à eux coupés de leurs familles. Les réseaux d’Internet et téléphoniques ne leurs sont pas accessibles. Il faut se rendre dans l’hôtel touristique de référence, Koryo, pour envoyer un mail à sa famille.

« Nous nous sentions en sécurité en Corée du Nord alors que nous nous demandions s’il n’y avait pas eu d’attentat en France. »


L’hôtel donne le tournis : il est composé de deux tours jumelles de plus de 40 étages et fait partie des seuls ouverts aux touristes. « Pour nous c’était dur de ne pas avoir de lien avec nos familles, se souvient Manon Prud’homme. C’était frustrant de ne pas pouvoir raconter ce que l’on vivait au jour le jour. Alors, nous essayions de faire un point tous les jours avec les filles. Nous nous sentions en sécurité en Corée du Nord alors que nous nous demandions s’il n’y avait pas eu d’attentat en France. La pire chose qui pouvait nous arriver était une indigestion ou une coupure de courant dans l’ascenseur. » L’étudiant nord-coréen qui les accompagnait leur transmettait des informations : fusillades aux Etats-Unis, problèmes rencontrés avec l’ex-présidente sud-coréenne. Il rassurait les étudiantes Françaises sur les nouvelles venues de l’Hexagone.

Toutefois, bien que Manon Prud’homme et Bryan Sauvadet espèrent retourner en Corée du Nord, ils reconnaissent tous les deux qu’une telle expérience n’est pas faite pour tous. « Tout nous faisait penser à la dictature, concède la jeune femme de 22 ans. La Corée du Nord c’est bien, mais à petite dose. » 

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 2, novembre-décembre 2017.


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