Des sumos à Paris

Par Pandou Media

Depuis 15 ans, le Paris Sumo Club entraîne ses combattants au sumo, un sport physique et galvanisant. Reportage au cœur d’un art martial où le poids ne fait pas tout.

Dimanche matin, gymnase Jean Dame, dans le 2e arrondissement parisien. Un défilé de poussettes bruyantes réveille le quartier tandis qu’une Opel se gare devant l’entrée. Antoine, sourire aux lèvres et parka kaki sur les épaules, s’arrête un instant pour sortir de son coffre de lourds sacs d’équipements sportifs. Il est l’entraîneur et le président du Paris Sumo Club. C’est lui, il y a 15 ans, qui a lancé l’initiative.

« Au départ nous étions tous des passionnés, nous regardions le sumo sur Eurosport, raconte-t-il. Ensuite nous avons été obligés de nous mettre sur Internet, sur le forum Info-Sumo.net, où nous parlions exclusivement du sumo japonais. Puis de temps en temps nous nous rencontrions pour en parler. C’est moi qui ai lancé l’idée, à la sortie d’un repas.

La première rencontre s’est passée au bois de Vincennes, au mois de mars 2007, sous la pluie. De cette rencontre nous avons décidé d’en refaire quelques-unes, régulièrement, toujours à Vincennes. Puis nous avons trouvé une salle, où nous nous entraînions tous les quinze jours et nous avons créé l’association et trouvé la salle de Jean Dame. »


Au compte-gouttes, les pratiquants arrivent. Exit l’idée reçue selon laquelle seuls les gros peuvent pratiquer le sumo. Ici, les poids varient de 70 à 115 kilos pour les hommes qui ont des raisons différentes de venir pratiquer le sumo. Pour Johann, la quarantaine, il y avait un goût pour les combats libres. « Prenant de l’âge et perdant de la souplesse », confie-t-il, il cherchait une nouvelle activité lui permettant de renforcer ses jambes. Ce fut chose faite : « Le premier entraînement s’est super bien passé. Par contre après, j’étais courbaturé pendant 72 heures », s’amuse-t-il. En effet, dès l’échauffement, les corps sont mis à rude épreuve.

« Au début nous étions trois ou quatre. Au bout de 10 ans, nous ne sommes pas beaucoup plus nombreux mais on a vieilli ! »


10h15. Ils sont neuf ce jour-là, dont deux femmes, à trottiner en rond le long de la salle de judo, enchaîner pas chassés, talons-fesses, montées de genoux, exercices de la chenille ou encore du caïman. Un autre Johann, historique dans le club, raconte : « Au début nous étions trois ou quatre. Au bout de 15 ans, nous ne sommes pas beaucoup plus nombreux mais on a vieilli ! »


Sur le tapis, les exercices se font plus spécifiques, les premières crampes arrivent tandis que la bonne humeur reste de mise. Installés en rond, ils s’exercent au shiko ; en position basse, équilibrée, façon squat très écarté, le but est de décaler le poids sur une jambe en mettant la deuxième en extension.

« Théoriquement, il faut pouvoir faire le grand écart en l’air, ajoute Antoine. Puis taper le sol avec la pointe des pieds en revenant au sol, pour assouplir et muscler. Nous, on en fait 60, mais les pros peuvent en faire jusqu’à 200 par jour. »

Romain, libraire spécialisé dans la littérature japonaise, raconte comment il a essayé d’enseigner le sumo à sa patronne tandis que les deux femmes s’amusent à regretter de s’être levées si tôt un dimanche matin.

 

Début de séance au Paris Sumo Club, à Paris. 

L’échauffement est long et éprouvant. Les plantes de pieds frottent le tapis, les corps se tétanisent et les perles de sueur viennent s’échouer sur le sol. Antoine guide : « Souplesse, relâchement, allez, respire » jusqu’à la partie technique. En duo, les sumotoris amateurs s’exercent au yotsu sumo ; le corps à corps. Chacun y va de toutes ses forces pour pousser son adversaire.

Pour le hoshi sumo, l’enjeu est de tenir son adversaire à distance, de le repousser avec les bras afin qu’il ne s’appuie que sur ses talons pour le faire basculer. Les coups ne sont pas simulés et le professeur garde un œil sur chaque duel : « Prends de la distance, décontracte tes fesses et donne un coup de bassin ».


Puis l’heure du ceinturage arrive. Appelée mawashi, cette ceinture est l’élément indispensable (et vêtement unique) du sumo. Il sert à attraper l’adversaire mais aussi à maintenir le dos du combattant. Ceux qu’utilise le club sont de fabrication artisanale. Antoine les a cousus à partir de tissu en jean plié en quatre acheté au marché Saint-Pierre ou de sangles de pompier commandées chez un fabricant spécialisé.

Le cours a commencé depuis plus d’une heure et quart et l’heure des combats arrive enfin. Le dohyō est installé. Si au Japon ce cercle est couvert de sable, ici il a été commandé par le président de l’association à un fabricant de bâches. « Il est très costaud, il a été fait avec une bâche de camion », se félicite Antoine. Tandis que des binômes commencent les combats, les autres pratiquants restent debout, en cercle, à regarder chaque action et encourager leurs camarades.

« Pour moi, c’est la troisième séance, explique Marjorie. Le dimanche, l’entraînement a lieu à une heure pas très facile. Moi j’avais envie de tout donner. Au dernier entraînement de sumo, j’ai eu des courbatures jusqu’au vendredi ! C’est un sport explosif. »

 


En pleine séance avec le Paris Sumo Club, à Paris. 

Sur le dohyō, les corps rougissent, se marquent. Les mains glissent sur les corps en sueur et les mawashis se desserrent. Les combattants tournent chacun à leur tour et doivent puiser dans leurs dernières forces pour 20 secondes d’intensité maximum. Très vite, on se rend compte que le poids joue mais que la taille est également d’une importance capitale pour réussir à soulever et déséquilibrer son adversaire. « C’est le ventre qui avance », crie le coach, qui se prête lui aussi au jeu des affrontements.


Contre Bérangère, sa sœur, il sortira avec une balafre dans le cou. « Face à nous, les hommes adaptent leur force, explique-t-elle. Plus jeune, j’ai fait beaucoup de judo et un peu de boxe. En boxe, on prenait beaucoup de coups et il faut pas mal de temps avant de savoir se défendre. Le sumo est plus rapide à comprendre. C’est un sport très satisfaisant. » Elle se souvient de l’intérêt de son aîné de 10 ans pour ce sport si exotique : « Il regardait déjà tous les matchs à la télé. Quand il s’est lancé, je me suis dit qu’il avait envie d’expérimenter avec quelques amis du judo, puis il a rencontré d’autres passionnés ».

Néanmoins, Bérangère admet la curiosité que cela peut susciter : « L’un de mes amis, un Japonais, a explosé de rire quand je lui ai dit que mon frère faisait du sumo. Il ne comprenait pas pourquoi on s’embêtait avec un sport pareil dans un pays si lointain ».

 


Avec les femmes du Paris Sumo Club, à Paris. 

Pourtant, la sauce prend et même si le groupe est restreint, de nouvelles personnes s’intéressent au sumo à chaque nouvelle rentrée. « Au départ, toutes les amies que j’ai amenées ici m’ont dit qu’elles venaient pour regarder mais elles ont fini par faire un combat », s’amuse la sœur du coach. Alors que son poids ne dépasse pas les 60 kilos, elle confirme : « Le gabarit joue beaucoup, mais le poids ne sert qu’une fois qu’on a la technique. C’est un super sport pour les nanas, c’est dommage qu’il y ait cette vision faussée du sumo ».

Sur le dohyō, les corps sont exténués. Les premiers étirements sont nécessaires. Antoine tire un peu plus sur les résistances : « Souffle, souffle » - « Je suis un peu raide » - « Chut ! ». Il a passé le diplôme de professeur de judo tout en donnant les cours de sumo, mais n’a jamais pris aucun cours. « Avoir le diplôme de prof de judo ça faisait plus crédible pour enseigner le sumo. Mais le principe même du sumo, c’est la pratique. »

Les corps en souffrance partent à la douche. Romain, le libraire, ressort en premier, lunettes sur le bout du nez : « J’aimais bien regarder les combats de sumo sur Eurosport. Puis en 2011, je suis allé au Japon. J’ai vu le quartier des sumos et en rentrant j’ai fait quelques recherches sur Internet pour savoir si des clubs existaient en France, sans trop y croire.

Quand j’ai vu le Paris Sumo Club je me suis dit Je le crois pas ! Au premier entraînement, je pensais qu’ils allaient se foutre de ma gueule avec mes 70 kilos ! » Et pour lui, cela fait des années que ça dure. « C’est aussi l’amitié entre lutteurs qui nous fait nous réveiller le dimanche matin », confie le grand Johann.

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 1, septembre-octobre 2017


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