La cuisine japonaise fait son nid en France depuis les années 1980. Des menus sushis brochettes au kaiseki, comment s’invite-t-elle désormais à la table des Français ?
Si 2024 a vu le poisson cru sortir du top 10 des snacks préférés des Français* au profit d’offres comme les pad thaï, les bo bun ou les ramen, la France demeure le premier marché du sushi en Europe (728 millions d’euros en 2022).
Pour Sophie Thomassin, 67 ans, épicière à Paris, la cuisine japonaise évoque les makis, qu’elle consomme deux fois par mois. “C’est un plat facile que je mange souvent avec les doigts. Le riz absorbe la sauce. Où que je me rende, je sais à quoi m’attendre, et ils me donnent l’impression de manger sainement.” Une habitude qu’elle prend dès les années 2000, âge d'or du sushi en France. Sushi Shop et Planet Sushi viennent d'être créés deux ans auparavant et les restaurants japonais fleurissent dans les centres-villes.
Phénomène ramen
En 2005, quand Kenshu Hirata, haut fonctionnaire japonais reconverti dans la restauration, ouvre le restaurant Higuma rue Sainte Anne à Paris, il figure parmi les pionniers du ramen et installe une bibliothèque de manga pour attirer les clients. Plutôt bien senti à en juger la file qui s’étire encore devant le restaurant au moment du dîner. Le nombre de ramen-ya (restaurants dédiés au ramen) a depuis fleuri partout sur le territoire. A Lille, par exemple : Ito Ramen, Yiso Ramen, Maison ramen… dans la seule rue Solférino.
“Avec les mangas, les scènes de table et du quotidien ont abondé, et ouvert l’imaginaire des Français autant que leur appétit.”
Écrivaine et poétesse, Ryoko Sekiguchi souligne l’importance des mangas. “Le Japon était objet de fascination par les aspects traditionnels de sa culture comme les théâtres nô, ou kabuki. Au fil des traductions, notamment de mangas avec collection Casterman qui débute en France en 2003, mais aussi d’animés ou de films, les scènes de table et du quotidien ont abondé, et ouvert l’imaginaire des Français autant que leur appétit.”
Assistant d’éducation avignonnais de 33 ans, Bac Toan Nguyen se souvient avoir découvert les ramen en commençant à lire Naruto. Pour Marion Phan Silva, 27 ans, Dauphinoise installée à Paris après un Master en alimentation et cultures alimentaires à la Sorbonne, c’est le studio Ghibli qui a éveillé ses sens aux ramen.“ Les scènes de nourriture sont incroyables dans chacun des films, elles parlent au ventre.” Une place d’importance dont témoignait d’ailleurs l’exposition Taberu wo Kaku (“Délicieux ! Repas animés inoubliables” dans la traduction française) organisée par le musée d’art Ghibli à Tokyo en 2017. (image)
L’intention du geste
Gaïa Mugler nourrit aussi le goût du Japon depuis l’adolescence et la lecture des premiers Fruits Basket de Natsuki Takaya. L’alimentation est centrale dans le budget de cette trentenaire, éditrice à Paris, et la cuisine japonaise, complètement intégrée à son quotidien. Elle peut aussi bien acheter du boeuf wagyu à la boucherie que réaliser du zenzaï, un dessert ancestral à base de haricots azuki pour combler une envie de sucré ou se rendre à la Pâtisserie Tomo déguster des wagashi. Romain Gaia et Takanori Murata y confectionnent des pâtisseries artisanales traditionnelles et de saison. “De la cuisine japonaise, j’apprécie l’attention portée aux ingrédients et le soin donné à chaque étape. Une philosophie de l’attention dans le geste, qui confine au respect.” Gaïa se réfère au guide Michelin pour trouver de nouvelles adresses. Le site du petit guide rouge propose 771 résultats à la requête “cuisine japonaise” au moment où nous écrivons ces lignes. A titre comparatif, on en trouve 241 en tapant “cuisine chinoise” et 87 pour “cuisine coréenne”.
De quoi faire, car si le ramen bouillonne dans l’Hexagone, on peut aussi désormais s’attabler dans des izakayas, ces bistrots japonais où l’on partage généralement bière et brochettes, ou trouver des feuilles de shiso au supermarché. “ On a cessé de fantasmer la cuisine japonaise, qui, comme toute cuisine, se conjugue au pluriel, constate Ryoko Sekiguchi. C’est vivifiant : au fil des ans elle est devenue cette amie avec laquelle les Français entretiennent une jolie relation d’intimité. Mon souhait : qu’il en soit de même avec les autres cuisines des pays asiatiques.”
* Étude menée par Speak Snacking en partenariat avec le cabinet d’études Strateg’eat à partir des données de Gira Foodservice et Circana. L’étude a été menée en ligne du 8 au 15 janvier 2024 à partir d’un échantillon d’au moins 1.000 consommateurs représentatifs de la population française majeure. 14% des personnes interrogées ont déclaré consommer des pad thaï; 10% des bo bun, 7% des ramen.