Émilie Tran-Nguyen : « À nous de faire changer les choses »

Par Myriam Levain
Photo de Samuel Kirszenbaum

La journaliste à la tête du 12-13 National (France 3) décrypte aussi l’actu dans C à Vous (France 5). Origines, parcours, combat, elle se confie.

Lorsque nous la retrouvons dans les studios où elle vient d’achever l’enregistrement de C l’hebdo [où elle officiait jusqu'en 2020, NDLR], elle nous demande quelques minutes pour aller se changer avant d’attaquer l’interview. Puis revient, chignon défait et baskets aux pieds, mais toujours avec un large sourire aux lèvres. Nous sommes vendredi soir et le week-end pourrait commencer si cette grosse bosseuse n’enchaînait pas quelques heures plus tard avec l’enregistrement d’un programme spécial mai 68. Le repos ? Très peu pour la présentatrice du 12-13. Ses premiers journaux télévisés, elle les a présentés sur France 3 Orléans, avant de débarquer à iTélé, qui lui ouvrira les portes de Canal+ et la fera remarquer rapidement dans La Nouvelle Édition

Si son patronyme est vietnamien, Émilie Tran Nguyen a aussi un grand-père maternel algérien. En 2017, elle participe au clip Asiatiques de France réalisé par la journaliste Hélène Lam Trong, qui dénonçait les clichés les poursuivant. « J’étais heureuse de rencontrer sur ce tournage plein de gens qui ressentaient la même chose que moi, qui en ont marre qu’on dise que les filles asiatiques sont sexy ou que notre communauté est gentille. Ils sont gentils est le stéréotype qui m’agace le plus car cela veut dire qu’on peut tout nous faire. »

 

Photo d'Emilie Tran-Nguyen, par Samuel Kirszenbaum, 2018. 

 

Alors, pas trop galère de répondre à la question « d’où venez-vous » ?

Je simplifie les choses en ne parlant que de l’Algérie et du Vietnam, car si je remonte, j’ai encore d’autres origines. Quand je suis allée me balader à Marseille, dans le quartier du Panier rénové, j’ai été touchée de tomber sur un panneau qui rappelait l’histoire de ses rues et la façon dont elles avaient accueilli les Algériens, les Vietnamiens et les Comoriens. Pour la première fois je voyais les deux branches de mon histoire réunies ! En fait, c’est juste l’histoire de pauvres qui arrivent dans un pays : aujourd’hui nous les appellerions des réfugiés.

Avoir des origines multiples signifie-t-il forcément avoir des prises de tête multiples ?

J’ai doublement conscience que mon histoire est faite de souffrances et je porte ce bagage, pour différentes raisons, des deux côtés. Il y a des similitudes, comme le rapport aux aînés et le respect des anciens. Il y a aussi cette envie de la jeune génération de s’affranchir d’un certain poids transmis par les parents.

 

« Je connais le Vietnam grâce à l’assiette. J’ai régulièrement des envies compulsives de phở et de riz, que nous mangions tous les dimanches chez ma grand-mère. »

 

Êtes-vous déjà allée au Vietnam ?

Non, mais c’est l’un de mes principaux objectifs en ce moment. Mon père, qui est parti à huit ans de Saigon, a toujours dit qu’il rêvait d’y retourner avec nous tous et je crois que ça va enfin être possible. Je connais le Vietnam grâce à l’assiette. J’ai régulièrement des envies compulsives de phở et de riz, que nous mangions tous les dimanches chez ma grand-mère. J’adore aussi le poulet au caramel, le curry, les vapeurs, et je mange très pimenté. Bien sûr, je mange aussi le meilleur couscous du monde que mon grand-père vient de m’apprendre à faire.

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance ?

Je suis née à Marseille mais j’ai grandi à Clermont- Ferrand, où mon père tient un resto vietnamien. J’ai un frère et une sœur et mes parents nous ont élevés dans une grande ouverture, ils nous ont encouragés à faire des études et surtout à faire ce que nous aimions. Eux se sont extirpés très jeunes de la pauvreté de leurs familles respectives, ils ont dû se construire vite et ont misé sur la richesse de l’école pour leurs enfants. Sous des dehors classiques, mes parents étaient déjà assez avant-gardistes à l’époque.

 

Emilie Tran-Nguyen, par Samuel Kirszenbaum, 2018.

 

Le journalisme, ça vous est venu quand ?

Je n’étais pas partie pour ça car j’ai fait d’abord une école de commerce. Quand j’ai compris que je voulais être journaliste, j’ai recommencé, malgré le prêt étudiant que je devais rembourser. Ça m’a donné une motivation de dingue car je n’avais pas le droit d’échouer. Dans mon premier boulot au journal local La Montagne, j’ai tout de suite aimé ça, et je me suis dit que je pouvais rester là-dedans toute ma vie.

 

« Pour moi, la télé, c’est le média qui a toujours uni ma famille. Mes parents la regardaient, mes grands-parents la regardaient, aussi bien ma grand-mère vietnamienne que mon grand-père algérien. »

 

Pourquoi avoir choisi la télévision ?

Pour moi, la télé, c’est le média qui a toujours uni ma famille. Mes parents la regardaient, mes grands-parents la regardaient, aussi bien ma grand-mère vietnamienne que mon grand-père algérien. D’ailleurs, ils ne ratent aucun JT le midi ! Je crois qu’ils sont fiers que je travaille à la télé. Pour eux c’est ce qui les a rattachés à la France : ils étaient en France, alors ils suivaient l’actu et les infos du pays.

Quelles femmes vous ont donné envie de vous lancer ?

Il y en avait peu qui présentaient le JT quand j’étais petite, mais je les ai beaucoup regardées : Claire Chazal, Christine Ockrent, Anne Sinclair. Les femmes présentes à l’antenne étaient minoritaires et venaient d’un milieu social favorisé, ça s’entendait dans leur façon de parler. 

Aujourd’hui avez-vous l’impression de devenir vous-même un role model ?

J’ai longtemps eu le complexe de ne pas assez ressembler à une asiatique, mais récemment j’ai vu sur Brut l’interview d’un jeune asiatique qui disait qu’il avait désormais le droit de rêver puisqu’Émilie Tran Nguyen présentait le JT... Et ça m’a fait très plaisir ! C’est vrai que je suis jeune, issue de l’immigration et je suis une femme. J’incarne un truc différent, nous ne sommes pas beaucoup, même si des efforts sont faits. La télé reste très masculine et blanche, il n’y a qu’à regarder les émissions pour s’en rendre compte. Mais désormais on est rappelé à l’ordre et des règles sont en train d’être mises en place pour y remédier.

 

« Ça me désole qu’en tant que femme, on me ramène toujours à mon physique, ça m’oblige à faire dix fois plus attention au fond. »

 

Diriez-vous que vous êtes féministe ?

Bien sûr ! Ça me met hors de moi qu’on hésite à se dire féministe, il faut qu’on arrête d’avoir peur d’être les gens pas populaires du collège (Rires). Si on revient à la définition du mot « féminisme » dans le Larousse, c’est vouloir l’égalité entre hommes et femmes. Je ne trouve pas normal qu’il y ait une inégalité, je suis donc féministe.

Avez-vous été confrontée au sexisme au travail ?

Oui, tout le temps. Certains confrères ne me prennent pas au sérieux parce que je suis une femme jeune, alors que je suis rédactrice en chef adjointe de mon JT. Il m’est aussi arrivé de rencontrer des difficultés avec des femmes plus âgées, qui peuvent être dures. Mais je suis optimiste pour notre génération, je trouve qu’on est beaucoup plus dans la sororité.

Réfléchissez-vous beaucoup à votre apparence au quotidien ?

Oui et ça me fatigue ! Ça me désole qu’en tant que femme, on me ramène toujours à mon physique, ça m’oblige à faire dix fois plus attention au fond. J’ai toujours peur de passer pour la nunuche alors c’est vrai, j’en fais un peu trop sur le côté « fille pas sexy ». Être femme ou être asiatique, c’est un peu pareil finalement : à nous, individuellement, de faire changer les choses et d’arrêter de nous laisser emprisonner dans des cases.

 Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 5, mai-juin 2018.


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