Cédric O fut secrétaire d’État au Numérique avant de retourner dans le privé, avec cette même envie de faire briller la tech à la française.
Chemise blanche, pantalon marine, montre numérique au poignet. C’est dans son look sobre et pragmatique de tous les jours, le visage éclairé par un sourire avenant creusant de petites fossettes, que Cédric O nous accueille. Cela faisait à peine plus de deux mois qu’il occupait ce spacieux bureau baigné de lumière blanche, perché dans l’une des tours grises du ministère de l’Économie et des Finances, quai de Bercy.
Sa nomination au poste de secrétaire d’État chargé du Numérique, le 31 mars 2019, ne l’a « pas totalement surpris », avoue-t-il, la posture droite et le ton posé. Fin connaisseur des sujets digitaux, il est notamment à l’origine du Sommet « Tech for Good », qui avait réuni à l’Elysée en mai 2018 une cinquantaine d’acteurs de la tech, dont les patrons de Facebook, Microsoft et Uber.
Cédric O, au ministère de l’Économie et des Finances, en 2019.
Pour Stanislas Guerini, ex-délégué général de La République En Marche (LREM), c’était même une évidence : « Quand il a été question de trouver le successeur de Mounir Mahjoubi, il n’y a pas eu d’hésitation, son nom s’est imposé tout de suite. » Il décrit son ami, rencontré sur le campus d’HEC, comme un « inusable bosseur » : « il est capable de faire un travail de fourmi, et c’est ce qui paie au bout du compte ».
Le jeune ministre évoque, malgré tout, le « stress » des derniers instants précédant l’officialisation de cette jolie promotion : « C’était un peu un moment hors du temps ». D’une minute à l’autre, sa vie bascule : « Une fois que la décision est rendue publique, c’est le toboggan, explique l’ex-conseiller d’Emmanuel Macron en agitant les mains au-dessus d’une grande table blanche immaculée. J’ai reçu deux mille textos, la machine s’est tout de suite mise en marche. » Pas question de se pavaner : il se met tout de suite au boulot.
D’une minute à l’autre, sa vie bascule : « Une fois que la décision est rendue publique, c’est le toboggan ».
« Il n’a évoqué que très tard la possibilité qu’il puisse être nommé secrétaire d’État, même à ses proches, et l’a pris avec beaucoup d’humilité, assure sa petite sœur, Delphine O, ex-députée LREM, secrétaire générale de la Conférence mondiale 2020 de l’ONU sur les femmes. Il est assez secret sur son travail. » Elle mentionne ensuite sa grande « gentillesse », tout en admettant qu’« il s’est un peu endurci avec les années, parce que le milieu politique est très dur ».
Une carapace sans doute utile pour affronter les grands acteurs du numérique. « Je ne crois pas que la France soit trop petite » pour réguler les géants du net, a-t-il ainsi déclaré le 15 mai 2019 au micro d’Europe 1 dans le cadre de « l’appel de Christchurch » pressant les gouvernements et réseaux sociaux à lutter contre les contenus terroristes en ligne.
Sa modestie ne compromet pas les ambitions de son mandat qui incluent aussi le développement de la tech française — « Une question de survie pour l’économie et le marché de l’emploi » —, et la lutte contre l’exclusion numérique.
Cédric O, au ministère de l’Économie et des Finances,
en 2019.
En quête d’un « vrai métier »
Sa vocation politique, pourtant, Cédric O la doit au hasard et à une bonne dose de chance, affirme-t-il. Après un parcours aussi classique que brillant, qui l’amène du prestigieux lycée du Parc à Lyon à HEC, il rechigne à postuler, comme la plupart de ses copains, dans une grande société de conseil. Alors, quand Stanislas Guerini rejoint la petite équipe de Dominique Strauss- Kahn, il le suit sans trop hésiter.
Lui qui a « toujours été de gauche » — fidèle aux opinions politiques de sa mère —, voue une admiration sans faille à l’homme politique : « C’est une personnalité assez exceptionnelle ». Avec Ismaël Emelien, futur conseiller d’Emmanuel Macron, ils forment un trinôme inséparable : « Nous étions les petits jeunes au bout du couloir qui plaçaient les chaises dans les meetings », raconte-t-il. C’était en 2006, au moment de la primaire de la gauche contre Ségolène Royal.
Après la défaite de DSK, la bande de copains se dissout, sans jamais complètement se perdre de vue : elle se reformera une dizaine d’années plus tard lorsqu’Emmanuel Macron lancera sa campagne, dont Cédric O sera le trésorier.
Entre-temps, le futur secrétaire d’État oscille entre le public et le privé. Il fait un passage par une agence de communication, Opérationnelle, avant de répondre à l’appel de Pierre Moscovici : « En 2010, il cherche un bras droit parce que DSK devait revenir ».
Après l’« affaire DSK », Moscovici bascule chez François Hollande. Cédric O reste deux ans à Bercy, jusqu’à ce que le désir de changement le prenne une nouvelle fois.
Fin connaisseur des sujets digitaux, il est à l’origine du Sommet « Tech for Good », qui avait réuni à l’Elysée les patrons de Facebook, Microsoft et Uber.
« C’était super, mais à un moment, il fallait apprendre un vrai métier », déclare-t-il tout à fait sérieusement.
Passionné depuis toujours par la compétition technologique internationale, il se tourne alors vers l’industrie — « Parce que c’est là qu’on se bat contre les Américains et les Chinois ». À l’entretien d’embauche chez Safran, il dit qu’il « ne sait rien faire », mais qu’il est « prêt à travailler très dur ». Son honnêteté paie.
Pendant trois ans, il apprend le métier à l’usine, « depuis la base ». Il commence comme agent de maîtrise avec une dizaine d’ouvriers et techniciens sous ses ordres. « Il n’y a rien de plus passionnant que l’intérêt général et le service de l’État, conclut-il, mais il faut parfois aller voir ailleurs, la vraie vie, sinon on s’encroûte et on ne sait faire que ça ».
Cédric O, au ministère de l’Économie et des Finances,
en 2019.
Double notoriété
Avec sa sœur, Delphine O, l’ex-secrétaire d’État chargé de la Réforme Jean-Vincent Placé et l’ex-ministre de la Culture Fleur Pellerin, Cédric O vient grossir les rangs des personnalités politiques françaises d’origine coréenne.
Très fier de ses racines, il s’envole une fois par an pour Séoul. « C’est fondamentalement une part de mon identité, que j’aimerais par ailleurs transmettre à mes enfants », déclare-t-il, le regard soudain plus vif. Son seul regret : sa connaissance approximative de la langue, que son père ne lui a pas vraiment transmise.
Enfant, pourtant, ses traits asiatiques étaient moins faciles à assumer : « Dans la cour de récré, j’étais bol de riz, se souvient-il. J’adorais le nom de ma mère, Noailles, et je trouvais que O était moche et trop court ».
Encore aujourd’hui, sa double identité lui joue parfois des tours : « Quand je me regarde dans la glace, je ne vois pas mes yeux bridés, je le vois seulement en photo. Ça veut tout dire psychanalytiquement : je me suis construit comme un Blanc ». Et on continue à le renvoyer à sa différence : « Mes copains m’appellent toujours le Chinois, mais cela ne me pose aucun problème ». D’autant que ses origines coréennes ont fait de lui une personnalité reconnue au Pays du Matin calme aussi. « De nombreux médias coréens ont parlé de ma nomination, souligne-t-il. Mes cousins l’ont d’ailleurs appris dans les journaux ! »
Fidèle à lui-même, le jeune secrétaire d’État refuse de se reposer sur ses lauriers : « Après mon poste ministériel, je pense que je retournerai dans le privé. En tout cas, je ne me vois pas du tout élu, et ne m’imagine pas faire une carrière politique ».
Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 12, juillet-août 2019.
