Avec « N’oublie pas les fleurs », Genki Kawamura signe un premier grand film

Par Pandou Media

N’oublie pas les fleurs est le premier film réalisé par Genki Kawamura, auteur du livre éponyme et producteur de grands succès comme Your Name ou Belle.

Dans quel contexte et à quel moment avez-vous écrit N’oublie pas les fleurs ?

Il y a 7 ans, ma grand-mère est tombée malade. Elle a développé la maladie d’Alzheimer et, concrètement, elle a oublié qui j’étais. Pour moi, ça a été un choc terrible, un choc face auquel je ne savais pas quoi faire. Pour faire face au chagrin, à l’inquiétude, à tous ces sentiments, j’ai choisi d’écrire un roman. Ce roman, je l’ai écrit pour essayer de comprendre la perception de ma grand-mère en proie à cette maladie.

 

« N’oublie pas les fleurs » de Genki Kawamura. 

 

Était-ce important pour vous d’adapter ce sujet si personnel sur grand écran ?

À l’époque où j’écrivais ce roman, j’ai aussi réalisé un court-métrage qui s’appelle Duality. Ce premier film, en tant que réalisateur, a été sélectionné au festival de Cannes dans la compétition des courts-métrages. Ça a été une forme de révélation pour moi. Ce qui m’intéresse est de représenter l’intérieur de l’esprit humain. Avec ce roman, j’avais un matériau où je pouvais essayer de faire fusionner prise de vue réelle et perception intérieure. C’est ça qui m’a motivé à me lancer dans ce projet.

Avez-vous pris en compte, lors de la réalisation, que ce film serait aussi adressé à un public occidental ?

Oui, c’était une donnée préalable. Je savais que ce projet serait présenté à un public étranger, européen et aussi américain. Je me suis inspiré de certaines habitudes de travail qui ont cours dans le monde du dessin animé où l’on détermine des références de couleurs pour chaque personnage. Cette gestion des couleurs est quelque chose que j’ai voulu adapter dans le film. Le personnage de Yuriko [la mère qui perd peu à peu la mémoire, NDLR] est toujours habillé en jaune, avec des nuances d’intensité. Il y a un jaune plus vif pour les époques où elle est plus jeune, quand sa mémoire fonctionne mieux et un jaune plus effacé en résonnance avec l’effacement de sa mémoire. Le jaune est une couleur première, vive, essentielle.

 

« J’ai voulu utiliser ces procédés courants dans le dessin animé car les acteurs japonais peuvent susciter des difficultés à être reconnus par le public occidental. »

 

Son fils est habillé systématiquement en violet, une des couleurs les plus éloignées du jaune. Ce n’est pas une couleur primaire mais complémentaire. Quand ces couleurs sont réunies, c’est là que l’on peut voir les plus beaux mélanges. J’ai également voulu utiliser ces procédés courants dans le dessin animé car les acteurs japonais peuvent susciter des difficultés à être reconnus par le public occidental. C’était une manière de rendre plus facile l’identification des personnages. Il y a aussi quelque chose qui touche au cinéma japonais classique, comme celui de Kenji Mizoguchi ou plus tard de Hayao Miyazaki et Kon Satochi, en essayant de reproduire des distorsions dans le temps et l’espace. J’avais d’emblée l’espoir que ce film puisse être vu par des spectateurs étrangers.

 

«  Lorsque mon film a reçu le prix, Bong Joon-ho a été le premier à m’écrire ! »

 

Vous êtes le premier réalisateur japonais à avoir reçu le Prix de la Meilleure réalisation au festival du film de San Sebastian. Qu’est-ce que ça représente pour vous ?

Le simple fait d’être sélectionné dans la compétition était une surprise, je ne pensais pas du tout avoir un prix. Pour tout vous dire, j’ai été contacté par le réalisateur coréen Bong Joon-ho de Memories of murder. Lui aussi a eu le prix de la Meilleure réalisation au festival de San Sebastian. Ça a été sa première récompense avec Memories of murder. Lorsque mon film a reçu le prix, il a été le premier à m’écrire ! Ça a été un très grand honneur pour moi de remporter le même prix que ce cinéaste qui figure parmi ceux que j’admire le plus. Et puis il y a eu l’expérience même de participer à un festival. Lorsque je suis arrivé, personne ne me connaissait, personne ne savait rien ni du film ni de moi, j’étais un jeune débutant. L’attitude des personnes présentes au festival était très froide au départ. Au fur et à mesure des projections, avec les acclamations du public, j’ai senti l’atmosphère se réchauffer. C’était intéressant de sentir cette atmosphère changer en cours de route.

 

Affiche de « N’oublie pas les fleurs »
de Genki Kawamura, en salles le 1er mars.

 

« Chaque week-end, mon père passait en boucle des films comme La Strada de Fellini, Nausicaä de Miyazaki ou Blade Runner de Ridley Scott. » 

 

Quand avez-vous eu cette envie de raconter des histoires ?

Mon père travaillait dans une petite société de cinéma. Dès l’enfance, j’ai reçu une sorte d’éducation privilégiée au cinéma. Chaque week-end, mon père passait en boucle sur le magnétoscope des films comme La Strada de Fellini, Nausicaä de Miyazaki ou Blade Runner de Ridley Scott. Donc je me suis familiarisé assez naturellement au langage du cinéma. Ensuite, lorsque j’ai commencé à travailler comme producteur de cinéma, je me suis mis à écrire aussi des romans. J’ai été amené à réfléchir à la manière d’intégrer dans mon travail de cinéaste des méthodes issues du cinéma d’animation et des aspects liés à mon identité de romancier. Il se trouve que je fais aussi de la musique… Mon idée était de mêler toutes ces formes de langage pour arriver à une singularité.

 

Portrait de Genki Kawamura, réalisateur de « N’oublie pas les fleurs ».

 


Quels sont vos projets en cours ?

Il y en a plusieurs. La première est Suzume, un film que j’ai produit et qui sort en France au mois d’avril. Je travaille aussi avec le cinéaste Kore-Eda sur son prochain film Monstre. Nous sommes en phase de montage. J’étais avec lui sur Zoom tout à l’heure en réunion. Je travaille aussi sur mon prochain roman que j’ai commencé à écrire.

Avez-vous le temps de dormir ?

Ce qui me prend le plus de temps est l’écriture d’un roman. Je sais alors que mon temps de sommeil se réduit de moitié. Comme je viens de commencer l’écriture de mon nouveau roman, je sais que je vais devoir gérer ce temps-là pour l’année à venir.

 

« Sur N’oublie pas les fleurs, les 3 animés qui m'ont inspiré sont Paprika de Kon Satochi, Innocence de Oshii Mamoru et Le Voyage de Chihiro de Miyazaki »

 

Quels sont les 3 animés qui vous ont le plus inspiré ?

Sur N’oublie pas les fleurs, le premier des 3 animés qui a joué un rôle majeur est Paprika de Kon Satochi. C’est un dessin animé dans lequel Kon Satochi explore la mémoire humaine, son caractère complexe. Il plonge dans l’esprit humain. Un des objectifs de mon film était de reproduire ce que lui a fait en dessin animé. Le deuxième film est Innocence de Oshii Mamoru, un cinéaste qui a souvent exploré ces questions de boucle temporelle. On a l’impression qu’il revient sur les mêmes scènes au fur et à mesure de son film. L’enjeu est de mettre en scène un personnage qui achète plusieurs fois les mêmes choses, qui répète les mêmes actes au point que les spectateurs se demandent s’il n’y a pas un problème de montage dans le film. Et si je devais citer un troisième film, je dirais Le Voyage de Chihiro de Miyazaki qui est sans doute un des films les plus profondément inscrits en moi. Il y a cette magie chez Miyazaki de nous montrer des images comme on n’en a jamais vu mais qui pourtant nous semblent familières. Et dans ce film-là, Miyazaki navigue entre le réel et l’irréel, sans vraiment faire la différence, en brouillant la frontière. Cette sensation, j’ai voulu l’explorer en utilisant la maladie d’Alzheimer pour mettre en scène la confusion.  

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