Aaliyah Xpress : drag queen contre les préjugés

Par Pandou Media

Aaliyah Xpress est une drag queen qui a fait de la lutte contre le racisme anti-asiatique le thème central de ses spectacles, notamment Ze Nice Show. Rencontre.
[Texte : Weilian Zhu] 


Devant sa limonade en ce jour de canicule parisienne, Duy tapote frénétiquement sur son téléphone. « Comme c'est le mois des fiertés, c'est un peu la folie. » Derrière son bouc délicatement négligé, le trentenaire dissimule un personnage impétueux. Lorsque les projecteurs s'allument et que le public piaffe d'impatience, Duy n'est plus ce médecin gériatre calme et attentionné. Place à Aaliyah Xpress, drag queen aux robes exubérantes, à la longue chevelure soyeuse et aux punchlines percutantes.

 

« Je suis comme un restaurant coréo-sino-vietnamo-japonais, grosso modo asiatique », lance-t-elle lors d'un spectacle, coiffée d'une perruque de la dynastie vietnamienne Lê, vêtue d'un kimono japonais et arborant des ongles longs à l'image des interprètes de danse thaïlandaise traditionnelle. Française d'origine vietnamienne, Aaliyah Xpress fait du racisme anti-asiatique un thème central de ses spectacles. Jouant sur les clichés avec l'autodérision propre à l'univers des drag queens, elle s'incarne en modèle vivant des préjugés et des amalgames. « Dans la perception du public, je veux casser cet asiatiquetage, un terme utilisé par mes amies du PAAF [Collectif PanAsiAFéministe] ».

 

Aaliyah Xpress puise dans les émotions de Duy quand ce dernier apprend énormément de son alter-ego.  

 

Pour Aaliyah Xpress, la scène drag queen n'est qu'une exacerbation des phénomènes de société. Depuis la maternelle, Duy est victime de racisme. Plus tard, c’est sur les applications de rencontre qu’il subit la fétichisation ou le rejet du fait de ses origines. Être drag queen n’est pas pour autant une carapace mais une «  thérapie ». Aaliyah Xpress puise dans les émotions de Duy quand ce dernier apprend énormément de son alter-ego. 

 

« Comme souvent en Asie, l’amour se manifeste davantage à travers des actes. » 

 

Contrairement à ses shows où elle raconte ses sentiments et sa vie amoureuse, ces sujets ne sont jamais directement évoqués avec ses parents, arrivés en France dans les années 1970 pour fuir les guerres civiles du Vietnam et du Cambodge. Cela ne signifie pas que leur amour soit moins prégnant. Il arrive que sa mère l’aide à coudre ses robes de spectacle. « Comme souvent en Asie, l’amour se manifeste davantage à travers des actes. »

 


La drag queen Aaliyah Xpress [Photo : Emily Tante et Aaliyah Xpress]

 

C’est avec la bienveillance de sa famille qu’elle se lance en 2017 dans le drag sans vouloir forcément s’engager. « J'ai [finalement] choisi de militer comme drag queen car c'est une plateforme plus importante, expose-t-elle. Des gens vont me regarder, m'écouter, c'est plus simple pour faire passer des messages. J'arrive à nommer les maux que je vivais au quotidien, je peux les raconter, utiliser le drag comme catharsis. » D'ailleurs, d'où vient son nom ? « D'Ali Express où j'achète plein de trucs inutiles et pas chers. Et Aaliyah c'est pour la chanteuse américaine des années 1990 qui a marqué ma génération. » 

 

Depuis 2019, elle joue dans son propre spectacle, Ze Nice Show (en pause actuellement). Lors d’une même soirée rythmée par des chorégraphies sur de la musique pop, Aaliyah Xpress peut alterner lipsync des discours de Valérie Pécresse et lecture de passages de Sexe, mensonges et banlieues chaudes, un « roman porno raciste et de droite » écrit par Marlène Schiappa (sous le nom de Marie Minelli) qui raconte l’histoire d’une Française des beaux quartiers vivant une passion avec un banlieusard immigré.

 

Aaliyah Xpress porte aussi un regard lucide sur la communauté drag queen non exempte de préjugés.

 

Parodiant la société, Aaliyah Xpress porte aussi un regard lucide sur la communauté drag queen non exempte de préjugés. Ze Nice Show est né en réponse à une drag queen blanche performant en boubou avec des tresses sur une musique de Zouk Machine. Si les Asiatiques sont aujourd’hui une dizaine à se produire en France contre trois en 2017, elle entend encore des remarques désobligeantes venant d’autres consœurs.

 

D’ans l’un de ses derniers shows, Aaliyah Xpress revêt une robe imitant un vase chinois. Ce choix pointe les confusions récurrentes entre « asiatique » et « chinois » mais aussi l'image de la poupée asiatique fragile fantasmée par beaucoup d'hommes. Au cours du spectacle, elle se débarrasse de la robe et révèle un ao dai, tunique traditionnelle vietnamienne. Une métaphore « de déconstruction et de reconstruction » qui permet à Aaliyah Xpress de revendiquer fièrement sa propre identité.


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