Thu Kamkasomphou, championne du monde du para-tennis de table

Par Cédric Callier
Photo de Mathieu Génon

Double médaillée d’or paralympique, et multiple championne d’Europe, la pongiste Thu Kamkasomphou vient de remporter l'or aux Championnats du monde 2022.

L'année dernière, nous avons rencontré Thu Kamkasomphou qui, à cinquante-deux ans, s’apprêtait à vivre dans la capitale japonaise ses sixièmes Jeux paralympiques. Avec l’ambition d’y décrocher un troisième titre après ceux obtenus en individuel à Sydney en 2000 et à Pékin en 2008. Son plus grand souvenir encore aujourd’hui. « Si je ne devais choisir qu’un seul moment de mes différents Jeux, ce serait mon titre en Chine, le pays du tennis de table, obtenu devant un public incroyable de vrais connaisseurs. »

« Si je ne devais choisir qu’un seul moment de mes différents Jeux olympiques, ce serait mon titre en Chine, le pays du tennis de table, obtenu devant un public incroyable de vrais connaisseurs. »


S'adapter à un nouveau pays
Née au Laos et arrivée en France — du côté de Rennes — à dix ans en compagnie de ses quatre frères et sœurs et de ses parents, désireux de fuir le changement de régime politique dans leur pays et d’offrir un meilleur avenir à leur progéniture, Thu Kamkasomphou a d’abord souffert du contraste entre sa vie d’avant et son nouveau quotidien, comme elle l’explique avec un sens de l’humour qui ne la quitte jamais. « Le plus dur au départ, ce n’était pas la langue mais le climat. Quand j’ai découvert les températures autour de zéro, cela a vraiment été difficile. L’autre inconvénient dont je me souviens, ce sont mes premiers repas à la cantine et ma découverte du boudin noir et de la compote de pommes !

Son palmarès ? Deux titres olympiques, deux mondiaux, huit européens et… seize sur le plan national.


À ce moment-là, je me suis vraiment dit qu’un bol de riz serait sympa. » Deux ans plus tard, alors qu’elle se dirige inexorablement vers le football, son père la pousse à s’inscrire également dans un club de tennis de table. Le début d’une grande et belle idylle. Très vite performante, l’adolescente grimpe dans la hiérarchie pour pointer au 8e rang des meilleures juniors hexagonales à dix-sept ans. De quoi envisager la suite avec ambition. Jusqu’au terrible coup d’arrêt lorsque lui est diagnostiquée une maladie auto-immune, la périartérite noueuse, qui dans son cas affecte ses jambes en raison de vaisseaux sanguins trop fins générant une mauvaise circulation et des plaies mettant six mois en moyenne à cicatriser. À l’époque, la sentence est terrible : fin de la pratique sportive et de la majeure partie de ses rêves. « Cela a été un moment très difficile car à dix-sept ans et demi, j’étais bien lancée. Et puis quand on m’a annoncé que je souffrais de cette maladie, tout s’est effondré. Mon médecin m’a alors dit que je ne pourrais plus faire de sport et que je ne pourrais pas exercer un travail debout, alors que je voulais à la fois être entraîneuse de tennis de table et travailler dans un magasin de sport. Immédiatement, très égoïstement, je me suis demandé : pourquoi moi ? J’avais une excellente hygiène de vie, je m’entraînais beaucoup, j’étais très sérieuse, et que cela me tombe dessus, je trouvais ça incroyablement injuste. »

Thu Kamkasomphou photographiée au printemps 2021. 

 

S'adapter au handicap
Des idées noires ont alors traversé son esprit. « Oui, l’espace de trois secondes, j’ai eu envie de mourir. Sauf qu’à la quatrième seconde, j’ai décidé de me battre pour avoir la vie de monsieur ou madame tout le monde. Et voilà, trente ans plus tard, je fais toujours du sport de haut niveau. Le diagnostic est une chose, le mental qui vous anime en est une autre. J’ai toujours été une guerrière, une teigneuse. » Même si le chemin du rebond a d’abord été pavé de mauvaises intentions. « Je n’ai jamais accepté ma maladie. Je l’ai même longtemps cachée. Quand je m’entraînais et que je n’arrivais plus à tenir debout, je prétextais d’avoir une blessure à la cheville pour expliquer pourquoi je devais m’asseoir. Même chose au travail, je n’en parlais pas car j’avais peur de me faire renvoyer. Il y a vingt cinq ans, on regardait le handicap de manière très différente, avec moins de bienveillance et de compréhension qu’aujourd’hui. » Jusqu’à un beau jour de 1999, qui restera sans doute comme le premier jour du reste de sa vie, quand on lui proposa d’intégrer l’équipe de France handisport. Une découverte pour elle. « À l’époque, honnêtement, je ne savais même pas ce que c’était », se souvient-elle. « On m’a alors expliqué que c’était la même chose que les Jeux olympiques, mais pour les personnes handicapées. Vous savez, c’est un mot très fort que je ne voulais pas entendre. Je n’acceptais pas le fait de souffrir d’un handicap et là, soudainement, on me demandait d’une certaine façon de le mettre en avant. Il m’a fallu une nuit blanche de réflexion avant de prendre ma décision et d’accepter. C’est mon côté compétitrice qui a parlé. C’est comme cela que j’ai débuté dans le handisport à trente ans. » Avec la réussite que l’on connaît, elle dont le palmarès s’orne donc de deux titres olympiques, deux mondiaux, huit européens et... seize sur le plan national. Mais même si elle a déjà tout gagné, Thu Kamkasomphou n’a rien perdu de son ambition. « On me demande souvent après quoi je cours encore. Ma réponse est simple : quand vous adorez un plat, vous souhaitez toujours en manger de nouveau. Pour moi, c’est pareil avec les médailles. Plus j’en ai, mieux c’est. »

« On me demande souvent après quoi je cours encore. Ma réponse est simple : quand vous adorez un plat, vous souhaitez toujours en manger de nouveau. Pour moi, c’est pareil avec les médailles. Plus j’en ai, mieux c’est. »


Tokyo 2020, Paris 2024 et pourquoi pas Los Angeles 2028 ? 
Sans parler de sa fierté de représenter la France, même si certains osent la qualifier encore de « Chinoise de service ». « J’ai appris à jouer au tennis de table en France, je suis un pur produit breton. Et puis je suis laotienne de naissance, pas du tout chinoise, et je me sens française. J’ai fait ma scolarité ici, je mange français, je parle français, je dois tout à ce pays qui m’a aidée quand je suis arrivée avec mes parents. Et malheureusement, dans ma situation, je suis aussi heureuse de pouvoir bénéficier de la sécurité sociale. Donc quand je suis sur la première marche d’un podium et que La Marseillaise retentit, je la chante avec un immense bonheur. Rien que d’en parler, j’en ai des frissons. Quel remerciement pour toutes ces personnes qui m’ont aidée de près ou de loin à devenir celle que je suis. » Malgré une vie active bien remplie entre son poste de chargée de communication au sein du groupe La Poste, ses entraînements et ses  conférences en entreprise pour ouvrir les consciences au monde du handicap, la résidente de Chantepie, près de Rennes, n’envisage pas une seule seconde la retraite sportive. Paris 2024 est déjà dans un coin de sa tête, et même Los Angeles en 2028 où elle pourrait fêter ses soixante ans. « Tant que mon corps me le permettra et que l’envie sera là, je continuerai », affirme-t-elle dans un sourire. Avant d’ajouter, consciente de l’extraordinaire chemin parcouru. « Grâce au handisport, j’ai réalisé mon rêve. La petite fille qui a débuté le tennis de table à douze ans rêvait de devenir championne du monde ou olympique un jour, ce que je n’aurais jamais réussi à réaliser chez les valides. Je n’avais pas le physique pour être une athlète de haut niveau. Je faisais 1,68 mètre, cinquante kilos et on me faisait soulever des charges incroyables. Mon corps n’était pas fait pour cela. » Avant de conclure, toujours avec humour : « Maintenant, même si je suis extrêmement fière de ce que j’ai accompli, j’aurais quand même préféré ne pas avoir ce handicap ».

 Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 23, juillet-août 2021.


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