Les commandes passées après le 22 juillet seront envoyées à partir du 2 septembre 2024 ⚠️
Les commandes passées après le 22 juillet seront envoyées à partir du 2 septembre 2024 ⚠️
Panier 0

Stand-up : quelle place pour les humoristes asiatiques ?

Par Julie Hamaïde

Les humoristes asiatiques ont-ils trouvé leur place dans le stand-up français ? Alors que le genre a connu une croissance phénoménale depuis plus de 15 ans, ces visages restent rares aujourd’hui et passent par un dilemme incontournable : « faire l’accent » ou non.

« Nous ne sommes pas beaucoup dans le milieu », « nous ne sommes pas très nombreux », « les Asiatiques ne sont pas encore très représentés », « nous sommes très peu ». Le constat est le même chez tous les humoristes d’origines asiatiques en France : un manque de représentation flagrant, « comme dans le divertissement en général » précise Candiie, qui a fait ses débuts en 2007, très vite invitée au Jamel Comedy Club. 

Certains n’avaient aucun modèle en France avant de se lancer dans le stand-up, d’autres citent Jamel Debbouze, Gad Elmaleh ou Bun Hay Mean, surnommé « Chinois marrant » et révélé en 2014.

 

Candiie, humoriste depuis 2007. 

 

Oser monter sur scène…

Dony London a lui fait ses débuts en 2020. « Ma femme nous a offert des places pour aller voir Bun Hay Mean et Steve Tran jouait sa première partie. J’ai adoré et je me suis dit que j’aimerais moi aussi faire rire les gens. » Selon lui, le manque d’Asiatiques dans le stand-up français « vient de nous, de notre culture, du fait de ne pas monter sur scène ou de se montrer au monde ». Un avis partagé par Bertrand Uzeel, qui s’est lancé en 2019 et a créé le Bao Comedy Club cette année avec la Bao Familly pour « faire découvrir l’Asie sous une autre forme ». Bertrand Uzeel invoque lui aussi la « culture asiatique » : « on n’a pas envie de raconter nos vies, de faire des vannes, de clasher des gens. Ça n’est pas dans notre éducation. On s’excuse trop d’être là, sûrement à tort. Les Asiatiques sont pudiques, c’est l’antithèse du stand-up ».

Steve Tran, qui a commencé le stand-up en 2018, rapporte quant à lui une « réelle demande du public. Les gens sont intéressés par ce que nous racontons », explique-t-il. « Parler de nous est nécessaire car le public ne connaît pas tellement les Asiatiques de France. D’autres gens racontent nos histoires dans les films. Sur scène, ce sont les principaux concernés qui traitent ces sujets ». Un besoin identifié également par Tremaine Thomas-Young, chercheur américain qui travaille sur « La culture du stand-up : Réaction(s) du spectateur à la demande face au stand-up diffusé en ligne » à l’Université de Brest. « La France a besoin de connaître la culture asiatique » abonde-t-il. « Et la diaspora asiatique a son rôle à jouer. Aux Etats-Unis, les humoristes asiatiques ont été au-devant de la scène dès le début, comme Margaret Cho ou Bobby Lee [qui ont débuté dans les années 1990]. Ils ont influencé l’histoire du stand-up en mettant un grand coup de pied dans la porte. »

 

Dony London, humoriste depuis 2020.

 

…pour parler de soi et de son identité asiatique

Si le stand-up est un genre comique dans lequel la personne sur scène brise le « quatrième-mur » pour parler d’elle au public, les humoristes asiatiques doivent-ils systématiquement revenir sur cette partie de leur identité ? « Au début de ma carrière, je me suis présentée. Je suis bosniaque et vietnamienne. Je parlais de la rigueur de mon père, de ce que je vivais dans mon quotidien » nous raconte Candiie, aujourd’hui actrice, autrice et scénariste. « Notre travail évolue ensuite en fonction de notre âge, de nos expériences. »

Dony London, qui jouera son premier spectacle le 24 mai au Métropole à Paris, a lui aussi voulu « parler un peu de [ses] origines, d’être fils d’immigrés avec deux cultures ». « Mes parents ont fait un long chemin pour venir en France. J’aimerais que le public connaisse un peu mieux cette histoire. » De son côté, David Sun, médecin à temps partiel, a commencé le stand up en 2022. Très suivi sur les réseaux sociaux, il campe régulièrement le personnage de sa mère, dont il reprend l’accent. « Le public s’attache à ce personnage, je n’ai jamais senti que les gens en profitaient pour rire méchamment ».

 

David Sun, humoriste depuis 2022.

 

L’accent, un sujet clivant

Ce sujet de « l’accent », dans les communautés asiatiques ou d’autres issues de l’immigration, reste un point de tension, au sein même de nos interviewés. David Sun, en spectacle dans toute la France jusqu’à la fin de l’année, assume utiliser les clichés et l’autodérision. « Certains humoristes y sont réticents, je m’en défais. Je n’ai pas honte et je vais continuer d’utiliser l’accent. » Steve Tran, qui prépare sa tournée, imite lui aussi son oncle « Henry, un boat people », avec un accent, « car il a vraiment un accent ». « Tant que tu es sincère, je ne vois pas ce qu’il y a de négatif » exprime-t-il en précisant qu’il ne l’utilise jamais pour dénigrer.

Dony London a un autre parti pris. « J’imite ma mère mais sans son accent, pour ne pas attirer les mauvais rires. Je veux rendre drôle ce qu’elle dit, pas comment elle le dit. » Même son de cloche chez Nam Nam, qui a débuté en 2016 : « je ne le fais pas et je m’interdis de le faire car c’est rabaissant ». Bertrand Uzeel s’y est résolu également : « On nous attend sur le « Bondour ». Je l’ai fait. Je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de faire rire sur ça. Il ne faut plus que l’on utilise cette béquille ».

 

Steve Tran, humoriste depuis 2018.

 

Le chercheur Tremaine Thomas-Young s’interroge : « Est-ce vraiment un problème de ne pas être d’accord ? Je suis heureux de voir des débats au sein d’une même communauté. La comédie a toujours puisé dans le pire pour faire rire et nous devons protéger l’humour. Les humoristes sont maîtres de leurs spectacles, de leurs mots, de leurs punchlines. C’est à eux de choisir ce qu’ils veulent créer ».

Si Nam Nam, qui souhaite monter un plateau d’humour entièrement asiatique, déplore « un manque de solidarité entre [eux] », tous regardent unanimement vers l’avenir. Comme Candiie : « je suis attentive à tous les nouveaux, car ils sont riches en inventivité. C’est bien qu’il y ait plus de visibilité. On n’avait pas trop de modèles à mes débuts ».

Désormais, de plus en plus de jeunes humoristes, hommes ou femmes, s’appuient sur les artistes installés ou émergents à l’image de Frédéric Chau, Bunh Hay Mean, Candiie, Steve Tran, Laura Felpin, Dony London, Bertrand Uzeel, David Sun, Nam Nam, Odah Sama, Hugo le Van ou encore Quentin Frigurger.


Article précédent Article suivant

Récents