Kei Lam publie « Défends-toi toi-même », une BD sur l’autodéfense émotionnelle. Elle nous embarque dans un atelier pour se protéger des remarques et du regard des autres et vivre pleinement qui l’on est.
Défends-toi toi-même d'Anne Van Hyfte et Kei Lam, L'iconoclaste
Qu’est-ce que l’autodéfense émotionnelle ?
Il s’agit tout simplement d’aller dans des ateliers ou des cercles de parole de femmes pour raconter nos ressentis sur des évènements qui nous sont arrivés et où l’on s’est senties agressées. Avec Anne Van Hyfte, la spécialiste en autodéfense, on va recontextualiser ces situations, en discuter ensemble, les revivre, pour apprendre à nous défendre émotionnellement.
Dans la BD, vous parlez justement de vos expériences personnelles.
Oui, avec le faciès que j’ai, il m’arrive souvent d’être face à des micro-agressions, dans l’espace public ou avec mes amis. L’idée est de se demander comment on peut réagir quand ça arrive ou est-ce que l’on doit réagir. On n’a pas toujours l’énergie qu’il faut ou pas envie de faire la pédagogie à ce moment-là. Donc comment se protéger pour s’extirper de ces situations et y revenir plus tard en discutant en groupe, en famille, pour remobiliser un peu nos neurones qui ont été sidérés pendant les agressions et vivre mieux, tout simplement.
« Lorsqu’on parle d’agression, on pense à de la violence, des choses extrêmement graves, alors que les agressions peuvent être au quotidien, répétitives. »
Selon vous, une micro-agression est comme une piqûre de moustique. Vous nous expliquez ?
C’est hyper important d’en parler car lorsqu’on parle d’agression, on pense à de la violence, des choses extrêmement graves avec du sang, des bombes, des attentats, alors que les agressions peuvent être au quotidien, répétitives. J’ai trouvé intéressant d’utiliser un personnage de moustique qui arrive et vient tout le temps nous piquer. On sait qu’un homme blanc en bonne santé sera moins piqué qu’une femme racisée qui a un handicap, donc marginalisée et avec de plus en plus de piqûres.
Vous parlez de vos parents dans le livre, dont vous avez été « les yeux et la voix » ?
Mes parents sont venus de Chine. Je suis née à Hong Kong et j’ai grandi ici depuis que j’ai six ans. Mes parents ne parlent pas très bien français et ont du mal à le lire. Depuis toute petite, c’est moi qui m’occupe des papiers administratifs, de plein de choses pour eux. C’est un peu le lot des premières générations. Nos parents sont arrivés dans un contexte où il fallait absolument s’intégrer, bien faire. Nous, les enfants, avons eu cette éducation-là ; apprendre à se taire, apprendre à obéir. Moi je suis en train d’essayer de casser tout ça en disant qu’on est aussi Français et qu’on a notre place à prendre. On a aussi le droit de dire non quand on nous agresse, on a aussi le droit de prendre la parole.
« J’ai assimilé le fait d’être visible, d’être moi-même, comme quelque chose qui pourrait peut-être me nuire et nuire à mes parents. »
Est-ce facile de mettre en place l’autodéfense émotionnelle lorsqu’on vient de cette culture ?
Quand on parle d’autodéfense, on pense à Bruce Lee, au kung-fu, on se dit que les arts martiaux viennent d’Asie. Moi, je dirais qu’il y a peut-être de la défense physique mais mes parents m’ont plutôt appris à être gentille, modèle, à me taire et à être une bonne élève tout simplement. En tant que femmes, on nous attribue énormément d’adjectifs comme douce, gentille, obéissante. Mais non, on n’en a pas envie.
Ne pas attirer l’attention c’était aussi une manière de protéger vos parents.
Enfants, on nous a dit « ne crie pas », « ne parle pas trop fort », « sois sage », « ne te fais pas remarquer ». C’est très ancré en nous. J’ai assimilé le fait d’être visible, d’être moi-même, comme quelque chose qui pourrait peut-être me nuire et nuire à mes parents. C’était une peur que j’avais en moi mais grâce aux ateliers d’autodéfense, on change nos croyances.