Spécial Outre-mer : Chinois et Hmong en Guyane

Par Sophie Kloetzli
Photo de Blandine Pannequin

La Guyane accueille parmi ses nombreuses communautés des Chinois et des Hmong du Laos, installés à quelques 15 000 kilomètres de l’Asie du Sud-Est.

Amérindiens, Créoles, Bushinengués, Français de métropole, Surinamais, Haïtiens, Brésiliens... mais aussi Chinois et Hmong : la population guyanaise est un vaste patchwork d’identités ethniques et culturelles. Ces deux communautés asiatiques sont parvenues à se faire une place dans la société locale, et avec elles leurs histoires, leurs traditions, leurs langues et leurs activités économiques de prédilection : commerce pour les Chinois, agriculture pour les Hmong.

Deux communautés chinoises
Plus grande communauté asiatique de Guyane, les Chinois sont arrivés dans le département sud-américain au cours de plusieurs vagues d’immigration successives. La première remonte à 1820, lorsque l’ancienne colonie française fait venir vingt-sept travailleurs originaires de Shenzhen, dans la province du Guangdong, pour y développer la culture du thé. L’opération se solde par un échec : les agriculteurs se reconvertissent dans le petit commerce et se créolisent en apprenant la langue et en épousant des Guyanaises.

Dès 1860, et jusqu’au début du XXe siècle, une nouvelle vague, plus importante, fait son apparition dans le contexte des guerres de l’opium. « Dans ma famille, le premier arrivé était mon grand-père, dans les années 1900 », raconte ainsi Joseph Ho, aujourd’hui à la tête de l’association des Chinois de Guyane, baptisée Fa Kiao (« Chinois d’Outre-mer »). « Il venait de Canton. La Chine était alors dans le chaos, affaiblie par les guerres successives avec les puissances occidentales (les guerres de l’opium). Il y avait de la famine, de la misère. Beaucoup de Chinois sont partis chercher une vie ailleurs. À l’époque, on disait qu’il y avait de l’or en Guyane. En réalité, il n’était pas si facile de l’exploiter. Quand il est arrivé, il a rapidement créé son petit commerce à Cayenne ».

La troisième vague, quant à elle, est née d’une histoire peu ordinaire. Un certain M. Kuo, de la ville de Qingtian (dans la province de Zhejiang, non loin de Shanghai) s’installe à Cayenne pour des raisons familiales, où il ouvre son magasin de photo. Il fait ensuite venir un ami, qui lui-même en fera venir d’autres, amenant toute une partie de la communauté de Qingtian dans le chef-lieu guyanais.

 

« Les immigrés récents connaissent des difficultés à s’intégrer »

 

À en croire M. Ho, la communauté chinoise regroupant les trois dernières générations représente aujourd’hui 10 000 individus. « Les immigrés récents connaissent des difficultés à s’intégrer : l’association est donc là pour les aider », explique-t-il avant de préciser que ceux-ci oeuvrent en majorité dans le petit commerce et la restauration – si bien qu’en Guyane, quand on va faire ses courses, on a l’habitude de dire qu’on va « chez le Chinois ».

À l’inverse, « ceux qui sont là depuis longtemps sont généralement bien intégrés : il y a des médecins, des avocats, des pharmaciens...En revanche, ils sont nombreux à ne plus parler leur langue d’origine.

Installée à Cayenne depuis 1957, l’association tâche de préserver la culture et les traditions de ses ressortissants, en organisant des événements culturels (notamment à l’occasion du Nouvel An lunaire) et en proposant des cours de langue aux enfants issus de l’immigration chinoise. Et d’encourager la solidarité entre ses membres : car même si les Chinois ne sont plus autant victimes de racisme que dans les années 1980 et 1990, leur succès économique fait encore des jaloux, tempère-t-il en évoquant malgré tout une « société multiculturelle et ouverte ».

 

 

Les Hmong, réfugiés convertis au maraîchage
En partie alliés aux Français et aux Américains pendant les guerres d’Indochine et du Vietnam, les Hmong fuient les violences dont ils sont victimes dès 1975, année de la victoire communiste au Laos. Parmi eux, 20 000 rejoignent les camps thaïlandais où s’entassent des milliers de réfugiés de toutes les ethnies, avant d’émigrer en masse vers les États-Unis et la France, notamment en Guyane.

Laurie Va Ly Po, présidente de l’association hmong Teej Tug basée à Cayenne, raconte : « Mes grands-parents faisaient partie des premiers arrivés en 1977. On les a amenés sur le site de Cacao, à 80 kilomètres de Cayenne, dans la forêt, où ils ont ensuite créé le village et construit eux-mêmes leur maison. Ils étaient agriculteurs, et avaient amené des outils du Laos. Ils ont reçu une petite rente de la part de l’État et on leur a attribué des champs. Ils ont ensuite formé une coopérative, et se sont mis à vendre sur le marché de Cacao, puis de Cayenne... »

 

Entre 1977 et 1988, plusieurs centaines de Hmong s’installent dans les villages en marge de la société guyanaise.

 

Entre 1977 et 1988, plusieurs centaines de Hmong s’installent ainsi dans quelques villages en marge de la société guyanaise. Depuis, la communauté a grandi : ils seraient environ 2 000. Et les traditions ont évolué : les jeunes commencent à se diriger vers les métiers du tertiaire et à faire leurs études à Cayenne. « J’ai constaté que les savoir-faire tendaient à disparaître et je trouvais dommage de les perdre. Les enfants parlent aujourd’hui plus le français que le hmong... », souligne sa présidente tout en se réjouissant de l’ouverture de la communauté vers le reste de la société : « Nous parlons français, nous formons des couples mixtes avec des Guyanais, nous avons des amis d’autres ethnies ».

Même la culture hmong, encore méconnue de la population locale, suscite désormais la curiosité. Les festivités du Nouvel An hmong, mais aussi le marché de Cacao, où l’on peut déguster entre autres le nam van (un dessert laotien aux perles de tapioca et au lait de coco), attirent un large public.

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 10, mars-avril 2019.


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