Les communautés coréennes en Europe ont plus de 100 ans

Par Pablo Maillé

En 2019, nous avons rencontré l'ambassadeur de Corée du Sud en France Jongmoon Choi. Vague culturelle sud-coréenne, relations diplomatiques avec la France, il nous répond. 

Nous fêtions en 2019 le centième anniversaire du Gouvernement provisoire de la République de Corée, un gouvernement en exil qui proclama l’indépendance de la péninsule coréenne en 1919. En quoi cet évènement a-t-il été fondateur dans les relations diplomatiques entre la France et la Corée du Sud ?
La Corée était dans un très mauvais état au sortir du XIXe siècle, jusqu’en 1910, date à laquelle le Japon impérial en a pris le contrôle. Pourtant, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que les citoyens coréens contre-attaquent : neuf ans après cette annexion, le Gouvernement provisoire de la République de Corée s’est établi à Shanghai, en Chine, qui était à l’époque sous le contrôle territorial partiel de la France. Aussitôt ce gouvernement provisoire établi, une délégation a été envoyée à Paris où se tenait la Conférence de la paix. Le gouvernement provisoire a alors décidé d’ouvrir un bureau dans la capitale française pour entamer des démarches diplomatiques et faire en sorte que d’autres pays reconnaissent l’indépendance de la Corée. C’est un évènement fondateur pour la création de la Corée contemporaine.

 

La délégation coréenne à Paris et les membres du bureau
d'information coréen en 1919.


Un autre aspect très intéressant — et plus méconnu — de cette histoire, est qu’une trentaine de jeunes Sud-Coréens est arrivée en France à la même période pour reconstruire ce qui avait été détruit pendant la Première Guerre mondiale. Ils ont travaillé dans des cimetières ou des chantiers de construction. Ils n’étaient que trente, mais ils ont fondé la Korean Association, toute première association coréenne non seulement en France mais dans toute l’Europe. C’est pourquoi nous célébrons le centenaire de la naissance des communautés coréennes en Europe. Il s’agissait d’abord de travailleurs, puis un autre groupe est arrivé à Marseille, cette fois pour étudier. Certains sont ensuite partis en Allemagne ou au Royaume-Uni, d’autres sont rentrés en Corée au moment de la libération, en 1945, pour participer à la renaissance de notre pays.

La France est aujourd’hui, avec l’Estonie, l’un des deux seuls pays membres de l’Union Européenne à ne pas avoir établi de relations diplomatiques avec la Corée du Nord. Dans ce contexte, le gouvernement français a-t-il un rôle à jouer sur la question de la dénucléarisation de la péninsule coréenne ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord poser quelques éléments de contexte. En 2017, la situation sur la péninsule coréenne était extrêmement critique. La presse internationale allait même jusqu’à envisager la possibilité d’une deuxième guerre de Corée... Grâce aux Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang en 2018, nous avons cependant réussi à renverser la situation. Une équipe commune féminine en hockey sur glace a notamment été formée et les leaders des deux Corées se sont ensuite rencontrés à trois reprises. Moon Jae-in et Kim Jong-un sont parvenus à un accord sur deux points : la dénucléarisation de la péninsule et l’objectif de paix. Donc d’une façon générale, quand on compare la situation d’aujourd’hui à celle de 2017, on peut dire que nous avons fait des progrès significatifs. Il y a certes des malentendus entre États-Unis et Corée du Nord sur la façon de mettre en oeuvre la dénucléarisation, mais le président Moon Jae-in fait de son mieux pour sortir de cette impasse. Dans cette affaire, il a en quelque sorte un rôle de modérateur pour amener les États-Unis et la Corée du Nord à la table des négociations. Pour ce qui est du rôle de la France, des discussions très actives sont en cours entre nos deux pays sur ce sujet.

 

Sommet intercoréen à Pyongyang, le 20 septembre 2018.


La France est un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et, après le Brexit, elle deviendra la seule puissance nucléaire européenne à occuper cette position. Son rôle est donc essentiel. Comme vous l’avez souligné, la France n’a pas de relation diplomatique officielle avec Pyongyang, ce qui veut dire qu’elle n’a peut-être pas la même perspective sur le sujet que d’autres pays européens.... De façon générale, en tout cas, la France et la Corée du Sud ont un objectif commun : la dénucléarisation de la Corée du Nord. Cela ne fait aucun doute. En attendant des progrès significatifs en la matière, les sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU contre la Corée du Nord doivent être respectées par tous les pays. Par ailleurs, dans d’autres domaines comme l’aide humanitaire et les échanges culturels intercoréens, la France est un allié de poids. Le gouvernement français a activement soutenu les réunions entre les familles séparées et il est impliqué dans des projets de fouilles diverses autour de la ville nord-coréenne de Kaesong, par exemple

 

« Au-delà de l’Asie, nous avons besoin de renforcer notre coopération avec d’autres pays comme la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, pour avoir des soutiens hors d’Asie mais avec lesquels nous partageons des valeurs communes. »

 

Avec un PIB supérieur à 1 500 milliards de dollars en 2017, la Corée du Sud s’impose comme la onzième puissance économique mondiale, devant l’Espagne ou l’Australie. Pourtant, elle est encore considérée par beaucoup — notamment en France — comme un pays relativement « dans l’ombre » de ses grands voisins asiatiques, la Chine et le Japon. Comment expliquer ce décalage ? Que pouvez-vous dire de la politique régionale de la Corée du Sud en Asie ?
Nous faisons bel et bien partie de la famille des pays asiatiques. Malgré l’histoire malheureuse que nous partageons avec la Chine, le Japon et la Russie, nous avons aujourd’hui des relations relativement bonnes avec chacune de ces puissances globales. Au-delà de l’Asie, cependant, nous avons besoin de renforcer notre coopération avec d’autres pays comme la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, pour avoir des soutiens hors d’Asie mais avec lesquels nous partageons des valeurs communes : le marché libre, la démocratie, la protection des droits humains... L’Europe est un vrai pilier pour nous. En 2017, notre président Moon Jae-in a également annoncé la mise en place d’une nouvelle politique avec les pays d’Asie du Sud-Est, la New Southern Policy. Il s’agit d’établir de nouvelles relations avec les dix pays de l’ASEAN, l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est, dans différents domaines : en matière de culture et d’échanges humains, d’économie, mais aussi de paix et de stabilité dans la région. Le contexte historique nous est plutôt favorable, puisque nous n’avons pas de passé violent avec ces pays : nous ne sommes pas une puissance impériale et nous ne l’avons jamais été. Nous avons donc le champ libre pour construire avec eux une politique de paix. C’est notre force.

 

Délégation coréenne à l'occasion du troisième dialogue stratégique entre les ministres des Affaires étrangères coréens et français qui s'est tenu à Paris,
au Quai d'Orsay, le 24 mai 2019.

 

Parlons culture. Le mot hallyu est utilisé pour désigner l’augmentation importante de la diffusion de la culture sud-coréenne en Occident et partout dans le monde, mais on oublie souvent que ce terme a aussi été utilisé par le gouvernement sud-coréen lui-même. Diriez-vous, comme on l’entend souvent, que la diffusion de la culture sud-coréenne est le résultat d’une stratégie politique délibérée de la part de la Corée du Sud ?
D’abord, je dois bien vous avouer que du point de vue de la culture, en tant qu’ambassadeur à Paris, en ce moment c’est « la vie en rose » ! [Rires] Le réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho vient de remporter la Palme d’or pour son film Parasite, le groupe de K-pop BTS connaît un succès phénoménal au point d’être surnommé « les nouveaux Beatles », les K-dramas sont de plus en plus populaires... Toute cette vague a commencé à la fin des années 1990 mais, vous savez, même les Sud-Coréens ne s’attendaient pas à ce que ce phénomène prenne une telle ampleur. Notre culture populaire s’est répandue à une vitesse phénoménale : au début des années 2000, cela a commencé par le Japon et la Chine, puis l’Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient, et maintenant tous les continents sont concernés. Ce n’est que mon avis, mais je pense que nous devons beaucoup de cette réussite au secteur privé. Le gouvernement sud-coréen n’y est, en réalité, pas pour grand chose selon moi... Un tel niveau de créativité n’a pu être atteint que grâce aux investissements de grandes entreprises poussées par une nouvelle génération.

 

« Notre culture populaire s’est répandue à une vitesse phénoménale : au début des années 2000, cela a commencé par le Japon et la Chine, puis l’Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient, et maintenant tous les continents sont concernés. »

 

Quand nous évoquons le soft power sud-coréen en France, nous pensons souvent à la K-pop ou aux K-dramas. Or, depuis quelques années, la gastronomie sud-coréenne connaît également un succès important : rien qu’à Paris, nous observons une augmentation de 60 % du nombre d’établissements sur ces deux dernières années. Comment expliquez-vous cet engouement pour votre gastronomie ?
La K-food a commencé à se répandre comme les K-dramas et les K-movies : en étant intégrée à cette même vague culturelle que nous venons d’évoquer. De nombreux restaurants coréens ont ouvert partout dans le monde ces dernières années, et Paris ne fait pas exception. Je pense que la cuisine sud-coréenne doit notamment son succès à son aspect très sain. Exception faite du barbecue, les recettes coréennes utilisent peu d’huile, peu de graisse et beaucoup de légumes. Par ailleurs, notre cuisine est assez épicée par rapport à la cuisine japonaise ou chinoise : les étrangers auraient pu trouver cela déplaisant, mais en fait cela stimule leur appétit. Et encore une fois, je crois que la jeune génération sud-coréenne compte pour beaucoup dans ce succès : certains jeunes chefs inventent leurs propres recettes, mélangent des ingrédients issus de la cuisine occidentale et de la cuisine sud-coréenne... L’inventivité des jeunes générations sud-coréennes est très impressionnante.

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 12, juillet-août 2019.


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