Surnommé la « boisson des dieux » sur l'archipel japonais, le saké fait depuis peu sensation dans l’Hexagone.
Encore souvent considéré (à tort) comme un alcool distillé, le saké japonais parvient petit à petit à s’implanter sur le marché tricolore. En l’espace de quelques années, de plus en plus de bars, de cavistes et de grandes tables se sont laissés séduire par cette boisson issue de la fermentation du riz.
Aujourd’hui, la France est le deuxième plus gros importateur en Europe, le onzième au niveau mondial, rapporte le Centre de promotion des produits alimentaires japonais à l'étranger (JFOODO). « Cela fait des années que nous voyons une évolution impressionnante, explique Siméon Molard, importateur de saké et co-fondateur de la marque Osaké. Lorsque notre activité a commencé en 2012, nous n’avions importé que soixante bouteilles, désormais, nous sommes aux alentours de dix mille, détaille-t-il. C’est très encourageant, même si cela reste des chiffres qui feraient sourire n’importe quel vendeur de bière. »
Fondatrice de Madame Saké, Adrienne Saulnier-Blache a, elle aussi, remarqué un engouement croissant. « Nos importations doublent chaque année. Au début du mois de juillet 2019, le niveau de 2018 était déjà atteint. » Cette percée serait essentiellement due à l’enthousiasme d’une partie de la gastronomie contemporaine, charmée par les spécificités du breuvage. « Il y a chez les
jeunes chefs une influence très forte de la cuisine japonaise, notamment avec ce rapport au produit, très peu travaillé, soutient Adrienne Saulnier-Blache. De la même manière, certains se rendent compte du potentiel gastronomique du saké. »
« Presque tout le monde associe le saké à un digestif, pour ne pas dire à un tord-boyaux servi en fin de repas dans des restaurants asiatiques ».
Venir à bout des idées reçues
À l’image du vin ou de la bière, le nectar nippon commence également à faire l’objet de nombreux évènements en France. Un des objectifs premiers de ces rendez-vous ? Déconstruire les préjugés bien ancrés dont est victime le produit. « Lorsqu’on parle de saké, la majorité des personnes pense connaître et en avoir déjà bu. Presque tout le monde l’associe à un digestif, pour ne pas dire à un tord-boyaux servi en fin de repas dans des restaurants asiatiques. Cette confusion est renforcée par le fait que le saké n’a pas de couleur », souligne Sylvain Huet, à la tête du Salon du Saké, qui n’hésite pas à parler d’« usurpation » du mot.
Pour davantage faire connaître ce produit, Youlin Ly, fondateur de la Maison du Saké à Paris, a quant à lui souhaité mettre en place quatre manifestations différentes : le Saké Nouveau, le Saké Live, le Saké Day et le Saké Art. « L’idée est de toucher le public par différents biais, que les gens puissent boire du saké en écoutant de la musique, en parlant littérature... explique-t-il. Nous voulons mettre en avant la diversité de ce produit, montrer qu’il n’y a pas "un", mais "des" sakés. »
Exhausteur de goût
En restauration, casser cette image se révèle tout aussi laborieux et certains font preuve de persuasion pour initier leur clientèle. « Avant de parler du saké, il m’arrive très souvent de le faire goûter, rapporte Kevin Lemonnier, sommelier du restaurant Neso à Paris. Une fois que les papilles se sont détendues et que le palais a fait connaissance avec cet alcool on ne peut plus doux, les oreilles s’ouvrent étrangement. Cette approche permet de faire confiance à ses sens sans être dirigé par l'étiquette. En général, la magie opère assez vite. »
Si la bière est brassée, le vin vinifié, « le saké est sakéifié ».
Une des particularités du saké est de pouvoir être consommé chaud, tiède ou froid. Sa température de service est comprise entre cinq et cinquante-cinq degrés. Les sakés modernes, plutôt fruités, sont généralement proposés frais dans des verres à vins, alors que les sakés traditionnels, avec du caractère, sont souvent chauffés pour être dégustés dans des chokos, petites coupes en céramique.
Autre caractéristique du nectar nippon, il peut se boire à tout moment du repas et s’accorder avec n’importe quel plat : poisson, foie gras, fruits de mer, viande blanche, oeufs, fromage... et même desserts ! « Il s’agit d’un exhausteur de goût. Il révèle les arômes, accentue les constituants d’un mets, explique Kevin Lemonnier qui confie avoir eu un "coup de foudre" pour le produit. De manière générale, n’importe quel saké sera capable de mettre un peu plus en avant la quintessence d’un plat. »
Il existe toutefois certaines combinaisons plus évidentes que d’autres. Ainsi, les sakés âgés, caractérisés par un arôme végétal, s’accordent particulièrement bien avec les fromages. Très délicats, les sakés aromatiques peuvent, quant à eux, s’apprécier avec des plats au goût léger ou en apéritif, tandis que les sakés pétillants sont chaudement recommandés avec des aliments frits.
Un parallèle avec le vin
Lorsqu’elle est présentée, cette boisson fermentée est fréquemment comparée au vin. Un tel rapprochement permet notamment de faire baisser la garde des consommateurs les plus sceptiques. « C’est un parallèle plutôt réconfortant, car c’est un univers connu qui fait partie de la gastronomie française », assure Kevin Lemonnier.
Pour autant, un rapprochement trop poussé pourrait contribuer à véhiculer de fausses images. « Il y a des similitudes, notamment sur l’acidité, l’aromatique, la texture de bouche, mais cela reste deux boissons très différentes : l’une est issue du riz et l’autre du raisin. Il ne faut pas vouloir comparer à tout prix. »
S’il est tentant de faire ce parallèle, c’est aussi parce que le vocabulaire autour du saké vient à manquer dans la langue française. « On entend souvent que c’est une bière ou un vin de riz, s’indigne Sylvain Huet, mais c’est faux. C’est simplement que la « case » saké n’existe pas encore, alors on est amené à plaquer des notions ou traduire des mots. Pourtant, on ne traduit pas geisha, samouraï ou zen. » Au lieu de parler de brasserie, ce passionné emploie ainsi le terme japonais kura qui désigne une maison de production de saké. Il parle également de sakéification pour faire référence au processus complexe de production du breuvage. Si la bière est brassée, le vin vinifié, « le saké est sakéifié », tient-il à clarifier, s’il en fallait plus pour nous convaincre qu’il s’agit d’un monde à part entière.
Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 13, septembre-octobre 2019.