« Amok, mon père », la quête d’origine d’un enfant métis

Par Julie Hamaïde

Gurvan Kristanadjaja publie Amok, mon père, sur la quête d’un père indonésien parti lorsqu’il était encore petit. Double culture, Indonésie, désillusions, espoirs… Un récit autobiographique doux et profond pour lever le masque sur un père absent.

Comment est né ce livre ?

À l’origine, ce livre est né d’une volonté : je pensais aux enfants nés sans papa. Donner un point de vue de ce que j'ai vécu pourrait être intéressant. Il est né aussi de la volonté de parler de l’Indonésie, de certains de mes proches et d’écrire sur le métissage et la double culture.

Dans quel contexte familial avez-vous grandi ?

Je suis de père indonésien, de mère française - bretonne - et je suis né en Allemagne. C’est un mix culturel un peu particulier d’autant que je suis né dans les années 1990 et c’était encore assez rare.

 

Amok, mon père, aux éditions Philippe Rey,
écrit par Gurvan Kristanadjaja.

 

Dans ce livre, vous cherchez des réponses, notamment auprès de votre père en Indonésie. Un jour, vous le faites boire pour le faire parler. Pouvez-vous nous raconter ce moment ? 

Ce livre raconte à la fois la quête de soi et la quête du père. La quête du père est très difficile puisque c’est un Asiatique et qu’il ne veut pas perdre la face. Donc je me suis dit : on va le faire boire ! On était à Bali, il faisait beau, chaud, il y avait des touristes… Certains Asiatiques, lorsqu’ils boivent, peuvent lâcher des choses plus facilement. Donc on l’a fait boire et on s’est rendu compte que même l’alcool ne le désinhibait pas assez pour avoir des réponses.

Pouvez-vous revenir sur le principe de ne pas “perdre la face” qu’on retrouve beaucoup dans le livre ?

Je l’ai découvert sur le tard. Lorsque je suis allé en Indonésie pour la première fois et que j’ai rencontré mon père, je me suis rendu compte qu’il y a des questions qui ne se posent pas. Lui demander : « Pourquoi es-tu parti ? » ne ne se pose pas alors que ça nous brûlait les lèvres. C’est la question avec laquelle je me suis le plus endormi, mais je ne peux pas la poser parce qu’il n’y a pas de réponse et qu’il y a le poids familial. Les moments de famille se passent dans la joie sans jamais aborder les sujets graves et, parfois, on arrive à avoir des confessions avec lesquelles on recompose l’histoire.

 

« Je regardais Thalassa et je me disais que parmi ces images de Papous il y avait peut-être mon père. » 

 

Petit, ça représentait quoi pour vous l’Indonésie ?

Je savais que j’étais Indonésien, je porte un nom indonésien mais ma mère est blonde aux yeux bleus. Mon « étrangeté », ma différence, venait d'une personne absente. Pour qu’on garde un lien, ma mère nous faisait voir tous les documentaires de Thalassa à ce sujet ! L’image que j’avais allait des Papous de Nouvelle-Guinée aux gens de Sumatra. Je me disais que parmi ces images de Papous il y avait peut-être mon père.

Avez-vous le sentiment d’avoir été victime de racisme en France ?

Oui. Dans un premier temps, je n’ai pas pris conscience de ce racisme puisque, comme beaucoup de métis, je me suis senti imposteur dans ma culture indonésienne. Je me suis beaucoup excusé et beaucoup auto-vanné avant de réaliser que ça n’était pas acceptable de recevoir ces réflexions. J’ai refait le fil à l’âge adulte. Quand on m’appelait Tching Tchong au collège, j’étais le premier à rigoler et ça me perturbe encore. C’est pour cela que la prise de parole collective me fait du bien. J’ai souvent été proche des métis plus que des Asiatiques parce qu’on avait des points communs sur la manière dont on vivait nos cultures, sur le fait de ressentir cette étrangeté en France.

Êtes-vous en harmonie avec cette double culture aujourd’hui? 

J’ai été en paix à partir du moment où j’ai accepté de vivre cette double culture pour moi. C’était un choix que je faisais. Souvent, lorsque l’on est métis, les gens nous rencontrent, nous scrutent, nous passent au laser. Moi, je suis français aujourd’hui et si demain je prends l’avion, que je sens l’odeur du durian ou que je vois des tissus batik, je peux me sentir indonésien et je serai indonésien. C’est ce que je raconte dans le livre. Ces identités sont des masques. C’est un choix que l’on fait de pouvoir évoluer en fonction des univers que l’on s’est créés.

 

« J’avais envie de faire exister ce pays lointain qu’on connaît peu, dont on ne parle que dans la rubrique insolite. » 

 

Était-ce important pour vous de partager un peu de cette culture avec vos lecteurs ?

C’est triste à dire, mais parfois on a le sentiment de devoir éduquer certaines personnes. Quand je parle d’Indonésie, on me répond Bali. Plus jeune, on me prenait pour un Chinois et j’avais envie de faire exister ce pays lointain qu’on connaît peu alors qu’il est le quatrième le plus peuplé au monde et une des puissances montantes. On n’en parle que pour du folklore : des chemises batik, appelées « chemises rigolotes » sur France Info ou de villages où on garde les morts momifiés dans le salon. On parle de ce pays dans la rubrique insolite, ce qui est aussi une forme de néocolonialisme. Moi, j’avais envie de raconter la puissance de cette culture. La devise de l’Indonésie est « L’unité dans la diversité ». À ce titre, je suis indonésien parce que je suis la diversité mais je fais aussi union dans ce pays.


Article précédent Article suivant

Récents