Hanami : quand le Japon fête le printemps

Par Emile Marzolf
Photo de Susann Schuster

Quand vient le printemps, les Japonais se pressent sous les cerisiers pour contempler le bourgeonnement de leurs fleurs. C'est le Hanami. 

Un bon repas, une natte en paille, des chaises pliantes, et si l’air est encore frais, pourquoi pas des chauffe-mains jetables. Vous voilà parés de l’équipement nécessaire pour célébrer le Hanami comme il se doit. Au Japon, tout le monde ou presque respecte cette coutume, qui signifie littéralement « contempler les fleurs ». À la télévision, les bulletins météo sont complétés par une description minutieuse de l’évolution de la floraison des cerisiers et sa progression d’un bout à l’autre de l’archipel.

Aux premières éclosions, certains s’empressent d’aller pique-niquer au pied des arbres. D’autres attendent la nuit tombée pour une célébration nocturne, ou la fin de saison lorsque les pétales prennent leur envol et finissent par joncher le sol. « Le Hanami est un moment de licence. On célèbre le début du printemps, on fête la vie dans toutes ses dimensions et il faut beaucoup manger, beaucoup boire » explique Jean-Michel Butel, maître de conférences à l’INALCO.

 

Hanami au japon.

 

Chaque année, l’évènement brasse les foules, à tel point qu’il est parfois conseillé de réserver son petit lopin de terre. Il se fête entre amis, collègues ou en famille. « Les plus jeunes le célèbrent avec leurs amis. Entre collègues de travail, c’est généralement le plus jeune et le moins gradé qui choisit l’endroit et invite ses supérieurs » explique Kana, une jeune habitante de Sapporo, capitale de l’île d’Hokkaidō au nord du Japon.

Dans la tradition populaire, il n’y a pas de mets ou d’activités propres à cette fête, même si « dans certains magasins des grandes villes, on peut trouver toutes sortes de produits spécifiques » précise- t-elle. Ainsi, sakura mochi (gâteaux de riz à la pâte de haricots rouges), hanami bento (plateaux repas) et autres sakés aromatisés à la cerise fleurissent, le printemps venu, dans les rayons de ces magasins.

 

« En littérature, on dit que rester trop longtemps sous un cerisier peut rendre fou tant il enivre par sa beauté »

 

Une fleur d’une grande richesse symbolique
Bien que le Hanami serve aujourd’hui davantage de prétexte pour sortir avec ses amis – et beaucoup boire –, cette fête est bien enracinée dans la culture Japonaise. « Au Japon, il y a beaucoup de moments où l’on prend le temps d’admirer les choses, comme les cerisiers, les feuilles d’automne ou la pleine lune. Cela permet de contempler ce qui marque le changement saisonnier. La floraison du cerisier marque l’arrivée d’une période plus chaude, qui intervient avant la saison des pluies » explique Jean-Michel Butel. Sa fleur orne ainsi certaines cartes du jeu traditionnel Hanafuda, dont l’une d’entre elles représente le Hanami. Les poèmes, comme les estampes, ne manquent pas de faire référence à cette fleur éclatante dont la floraison, soudaine et passagère, symbolise la beauté fragile mais non moins redoutable. « En littérature, on dit que rester trop longtemps sous un cerisier peut rendre fou tant il enivre par sa beauté » ajoute le chercheur.

 

Si l’arbre et ses fleurs sont omniprésents dans la culture japonaise, c’est aussi et surtout parce qu’ils sont constitutifs de l’identité nippone.

 

D’autres légendes racontent que de belles femmes sont enterrées sous les cerisiers et que leur sang donne aux fleurs leur éclat. Si l’arbre et ses fleurs sont omniprésents dans la culture japonaise, c’est aussi et surtout parce qu’ils sont constitutifs de l’identité nippone. Dans la cosmologie agraire, la fleur de cerisier était associée au plant de riz, symbole de vitalité et de production. Sa floraison indiquait d’ailleurs le début de la plantation du riz.

Chez les élites, la célébration du cerisier a peu à peu supplanté celle du prunier, importée de Chine. Alors que la culture japonaise était toute entière immergée dans celle de la dynastie Tang, les peintres japonais commencèrent à représenter les fleurs de cerisiers pour s’émanciper d’un style « à la chinoise ». En 812, l’empereur Saga organisa la première célébration annuelle de fleurs de cerisiers. La coutume se démocratisa sous la période Edo (1603 – 1868), gagnant d’abord les samouraïs qui en firent leur emblème, puis le peuple grâce à l’urbanisation et la fin des privilèges.

De nos jours, il n’est pas un Japonais qui ne se rue au parc, que ce soit pour contempler les différents stades de floraison du cerisier que pour fêter le début du printemps.

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 4, mars-avril 2018.


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