Gene Wu, un Représentant démocrate d’origine chinoise au Texas

Par Julie Hamaïde
Photo de LBJ Library photo by Jay Godwin

Gene Wu est membre de la Chambre des Représentants du Texas, aux États-Unis. Dans son fief, à Houston, il nous parle de ses origines, de la société américaine et de son parti.

Débarqué aux États-Unis à 4 ans, depuis Canton en Chine, Gene Wu a suivi ses parents « arrivés ici pour les mêmes raisons que tous ceux qui sont venus : fuir la pauvreté et espérer une vie meilleure ».
Passionné de politique, il est élu en 2012 à la Chambre des Représentants (l’un des deux organes du pouvoir législatif, équivalent de l’Assemblée générale en France). Rencontre.

Comment vous êtes-vous intéressé à la politique ?
Plus jeune, j’aimais beaucoup les Lego, pas seulement parce que je m’amusais mais aussi parce que je découvrais de nouvelles manières de régler des problèmes. J’aime réfléchir à la manière de trouver des solutions et d’aider les gens.

 

« On dit souvent qu’aux États-Unis, lorsque vous avez de l’argent, vous êtes en sécurité. Mais ces deux dernières années, avec le Covid et les crimes racistes, notre communauté a réalisé que cet argent ne nous assurait pas cette protection. »

 

Comment ont réagi vos parents lorsque vous leur avez dit que vous souhaitiez vous engager politiquement ?
Je pense qu’ils étaient très déçus et effrayés [rires]. C’est un problème récurrent chez les immigrés, particulièrement dans les communautés asiatiques ou africaines. Ils viennent de pays pauvres où ils ont été oppressés, où les gouvernements sont synonymes de corruption et de mauvaises personnes. Nous sommes venus aux États-Unis pour nous sentir en sécurité et gagner notre propre argent, sans passer par la case corruption.
On dit souvent qu’aux États-Unis, lorsque vous avez de l’argent, vous êtes en sécurité. Mais ces deux dernières années, avec le Covid et les crimes racistes, notre communauté a réalisé que cet argent ne nous assurait pas cette protection. Garder le silence et travailler dur ne nous protège pas non plus. Seul le pouvoir peut nous protéger. J’ai compris cela très vite et l’une des raisons qui m’ont poussé à m’engager en politique était de donner un peu de pouvoir aux communautés asiatiques.

 

Gene Wu prête serment à la Chambre des Représentants du Texas, 2021. 

 

C’est comment d’être un Démocrate dans un État républicain ?
[Rires] C’est comme être un Démocrate au Texas ! Et je suis en plus une minorité dans la minorité. Il y a par exemple un groupe hispanique, un groupe africain mais pas de groupe asiatique à la Chambre des Représentants. Dans tout l’État, nous devons être trois avec Hubert Vo [Démocrate] et Angie Chen Button [Républicaine].

Sur quels sujets travaillez-vous en particulier ?
Je me consacre plus particulièrement à la protection de l’enfance, à l’éducation des plus jeunes et à la justice criminelle. Je me vois un peu comme le Saint Patron des causes perdues car je m’implique dans des sujets qui n’intéressent pas les autres.

Quelle est la situation au Texas pour les jeunes ?
Mauvaise. C’est mieux qu’avant mais la barre n’était pas très haute. Avec la décision de la Cour Suprême concernant le droit à l’avortement, la situation va empirer. Nous nous attendons à découvrir des histoires de bébés retrouvés dans des toilettes, dans des bennes, abandonnés… Nous avons déjà du mal à nous occuper de tous les enfants confiés au système, ce sera encore pire après. C’est frustrant de travailler sur ces sujets.
Au Texas, nous aidons environ 30 000 enfants chaque année, près de 9 000 sont retirés de leurs foyers, d’autres attendent une décision de justice ou sont suivis d’une autre manière. C’est le reflet d’un manque énorme d’attention envers les personnes en situation de pauvreté, les femmes enceintes qui n’ont pas même les moyens de payer leurs consultations ni leurs examens tous les mois.
Nous avons un programme [Nurse-family partnership] très efficace pour les soutenir, afin que des infirmières les aident à prendre des rendez-vous, leur apprennent les premiers gestes après la naissance. Mais lorsque nous demandons de l’argent pour ce programme, au gouverneur, aux Républicains, on nous dit qu’il n’y en a pas. Pourtant, ce programme ne permet pas seulement de prendre soin de la mère mais aussi d’éviter que leurs enfants soient ensuite dépendants de l’aide sociale. Un coût qui peut atteindre des centaines de milliers de dollars par cas.

Vous l’avez évoqué, la Cour Suprême a mis fin à la protection du droit fédéral à l’avortement aux États-Unis.
Si vous ne donnez pas accès à l’avortement, alors il faut mettre en place une bonne éducation sexuelle et l’accès à la contraception. C’est l’un de mes combats les plus longs et les plus frustrants. Les enfants qui ont accès à une bonne éducation sexuelle connaissent un taux de grossesse non désirée significativement plus bas que les autres. Si la contraception, quelle qu’elle soit, était gratuite et sur demande, il n’y aurait presque pas besoin d’avoir recours à l’avortement. Si vous donnez tant d’importance à l’avortement, pourquoi ne pas en donner autant à ces deux autres sujets ? À la place, au Texas, nous avons une politique d’abstinence sexuelle qui produit l’effet inverse. Cela crée plus de grossesses d’adolescentes que n’importe quelle autre politique. Certaines écoles n’apprennent que cela aux jeunes. Nous nous battons pour l’accès à la contraception et faisons face à un torrent d’objections.

 

 « Parce que l’on est Chinois, on est suspect. C’est ce qu’on appelle du racisme. Sur les réseaux sociaux, je lis que je suis un espion chinois, c’est récurrent et c’est malheureusement la nature de notre société »

 

Certains Américains disent vouloir protéger le droit à la vie et en même temps le port d’arme à feu est autorisé dans la rue. C’est difficile à comprendre pour nous, Européens.
Car les Américains sont puritains, le sexe est tabou. L’hypocrisie n’est pas un bug, c’est une caractéristique de notre société. Lorsque les Européens nous regardent, ils doivent rire. Au Texas, nous avons le pire accès aux soins pour la santé mentale, l’un des plus hauts taux de mortalité maternelle, nous ne sommes pas bien classés non plus concernant la mortalité infantile, les violences sur mineurs, l’éducation… Mais nos représentants proclament haut et fort que nous sommes les meilleurs. Pourtant, si l’on retire les grandes villes de Houston, Dallas, San Antonio, Austin et que l’on regarde les chiffres de plus près, le Texas pourrait être un pays du tiers-monde.

Vous êtes d’origine chinoise dans un pays qui a identifié la Chine comme étant son pire ennemi. Comment le vivez-vous ?
Au Texas on ne sait jamais qui vient d’où. On peut parler à un immigrant qui est là depuis 30 ans ou qui est arrivé il y a 3 ans. Il y a aussi de nombreuses familles hispaniques qui sont ici depuis des générations mais ne parlent pas anglais par exemple. Il n’y a pas de « manière » de le vivre, on fait juste ce qu’on peut. Par ailleurs, l’espionnage est une accusation récurrente envers notre communauté. Nous avons eu des discussions avec le FBI à ce sujet car ils enquêtent 3 fois plus sur les scientifiques ou chercheurs d’origine chinoise que sur tout autre groupe mais les poursuites sont bien moindres, et généralement concernent des déclarations d’impôts ou des détails. Notre communauté en a vraiment marre. C’est inacceptable. L’espionnage est un vrai problème mais on ne peut pas fonder ses suspicions seulement sur l’origine ethnique d’une personne. Il y a énormément de Sino-Américains, comme moi, qui sont de loyaux Américains. Parce que l’on est Chinois, on est suspect. C’est ce qu’on appelle du racisme. Sur les réseaux sociaux, je lis que je suis un espion chinois, c’est récurrent et c’est malheureusement la nature de notre société qui est toujours en quête de boucs émissaires. Avant les Asiatiques c’étaient les musulmans, et avant les Hispaniques, et avant les Polonais… Chaque groupe migratoire a été une cible dont on disait qu’elle sentait mauvais, qu’elle était paresseuse, qu’elle était constituée de criminels… La haine ne change pas, seul le nom des victimes. 


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