Denis Do, le prodige de l'animation sélectionné aux César 2024

Par Marie Nahmias
Photo de Mathieu Aghababian

Denis Do, réalisateur de Funan, a déjà remporté le Cristal du long métrage au Festival d’Annecy. Avec La Forêt de Mademoiselle Tang, il poursuit le récit familial. Rencontre.

« J'ai mis du temps à me l’avouer, mais ce film a été pour moi une catharsis », lâche Denis Do, dont la voix peine à recouvrir le brouhaha du bistro dans lequel nous avons rendez-vous. Pendant neuf ans, le réalisateur a travaillé sur son premier long-métrage, Funan. Il dépeint la lutte acharnée d’un couple pour retrouver leur jeune garçon alors qu’ils sont exilés de force de Phnom Penh.

 

Pendant neuf ans, le réalisateur a travaillé sur son premier long-métrage

 

Ce récit, Denis Do l’a puisé dans ses racines. Dans le parcours de vie de sa mère et de son grand-frère, rescapés du génocide et venus vivre en France. Très tôt, ce Parisien à l’allure et au discours sobres, entend parler du douloureux passé khmer. « Par bribes, ma mère m’a évoqué ce qui lui était arrivé. Quand elle parlait des Khmers rouges, elle disait « les hommes en noir ». J’ai beaucoup fantasmé, imaginé ces silhouettes sombres. »

Un travail de reconstitution
L’idée de mettre en images cette parcelle de vie germe dans la tête du réalisateur alors qu’il est encore en formation à l’école parisienne des Gobelins. Après ses études, il part au Cambodge accompagné de sa mère pour retrouver les pièces manquantes du puzzle. « Jusqu’alors, j’avais beaucoup d’éléments, mais dans le désordre. Elle me racontait son vécu de façon émotionnelle, sans aucune chronologie. »

 

Funan, le premier long-métrage de Denis Do. 

 

Pour alimenter ce récit fictionnel, basé sur l’histoire des siens, il s’imprègne pendant deux mois des gens, des paysages, de l’atmosphère et des coutumes. « Ce projet de film, Denis ne vivait que pour ça, témoigne Eddine Noel, un de ses amis. Il avait le nez dans le guidon, ça lui a demandé énormément d’énergie sur une très longue période. »

S’il se documente énormément, Denis Do n’entend pas pour autant faire de Funan un film historique. « Si le film a un impact sur ce que les gens retiennent de l’histoire du Cambodge, c’est une conséquence, mais pas une volonté de départ », précise-t-il, une main posée sur son livre de science-fiction chinoise.

Des personnages ambigus
Au travers de personnages à l’esprit torturé, le souhait du réalisateur est de montrer les paradoxes humains, la quasi-absence de frontière entre le bien et le mal. La complexité morale des protagonistes contraste d’ailleurs avec l’étonnante sobriété des dessins. Comme dans ce passage qui illustre la soif de vengeance des victimes du régime. « Je voulais un film universel et intemporel. Même si l’action se déroule au Cambodge, pendant le régime des Khmers rouges, l’histoire et l’ambiguïté des personnages peuvent être transposées dans n’importe quel autre contexte. »

 

Image extraite de Funan, de Denis Do.

 

Pour porter cette ambivalence, Bérénice Bejo et Louis Garrel ont prêté leur voix au film. « En regardant Le Passé, j’ai trouvé Bérénice géniale, elle m’a transporté. Je lui ai écrit une lettre en pensant qu’elle finirait à la poubelle. » Mais l’actrice a rapidement été convaincue par la proposition du cinéaste. « Quand j’ai compris qu’il parlait de son histoire, de celle de son frère, j’ai trouvé sa démarche très courageuse, confie Bérénice Bejo. Et puis, traiter un sujet pareil par l’animation permet de mettre une certaine distance. On ne s’identifie pas aux personnages comme à des acteurs, le discours prend ainsi une force très puissante. »

En travaillant avec le jeune réalisateur, la comédienne raconte avoir été touchée par sa pudeur. « J’aime sa façon d’amener les choses. Il nous plonge dans l’histoire, simplement, sans artifice. Pendant les prises, il nous reprenait beaucoup. Il ne fallait surtout pas que ce soit surjoué. » Plus qu’un simple doublage, le travail des comédiens a permis d’enrichir le film.

« Grâce à l’enregistrement des voix, il y a eu un véritable apport créatif, explique Denis Do. On a réussi, après coup, à apporter davantage de profondeur aux personnages. »

 

« Pendant longtemps, je n’ai pas particulièrement aimé le Cambodge »

 

Un pays retrouvé
Primé au Festival du film d’animation d’Annecy et à celui de Los Angeles, ce projet de longue haleine a bien failli ne pas voir le jour. « Je me suis aperçu, en cours de route, qu’on identifiait trop souvent le Cambodge aux Khmers rouges. Ça m’a paru injuste et m’a posé un vrai problème éthique, raconte Denis Do en réajustant ses lunettes noires. Je ne voulais pas rajouter une pierre de plus à l’édifice. » Mais rapidement, le réalisateur se raisonne. Il reprend le fil de ses années de travail, de son introspection, et parvient dans le même temps à renouer avec le Cambodge.

« Pendant longtemps, je n’ai pas particulièrement aimé ce pays. J’avais dix ans quand j’y suis allé pour la première fois. Ça a été un choc culturel, se souvient-il. Il y avait des hommes armés, beaucoup de pauvreté... Le territoire était encore en pleine cicatrisation. »

 

Image extraite de La Forêt de Mademoiselle Tang, de Denis Do.

 

 Très redouté, l’accueil que lui réserve le public lors des premières projections aux festivals a su conforter le dessinateur dans son travail. « Les réactions ont été tellement positives, chaleureuses, que ça l’a motivé, assure Eddine Noel. Plus que jamais, il a une énergie folle de créer. » Et comme si ce film lui avait permis d’entamer un autre chapitre, Denis Do a sorti en 2022 La Forêt de Mademoiselle Tang, un court métrage sélectionné aux César 2024. 

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 10, mars-avril 2019.


Article précédent Article suivant

Récents