Alors que la répression va croissant depuis le coup d’État militaire qui a renversé le gouvernement d’Aung San Suu Kyi le 1er février, la diaspora birmane en France poursuit sa mobilisation. Présidente de l’association Communauté birmane de France, Tin Tin Htar Myint fait le point sur cette crise politique qui prend de plus en plus une envergure internationale, et détaille les récentes actions menées depuis la France en faveur de la démocratie.
[Texte : Sophie Kloetzli. Photo : Shutterstock / bgrocker]
Où en est le rapport de force entre l’armée et l’opposition ? Se dirige-t-on vers une guerre civile ?
Le risque d’une guerre civile était et est toujours là. Le CRPH (Comité Représentant Pyidaungsu Hluttaw) [comité composé de parlementaires déchus de la Ligue Nationale pour la Démocratie, le parti d'Aung San Suu Kyi, ndlr] est en train de monter un gouvernement « parallèle », ce qui n’est pas évident en restant en exil ou caché. Ils essayent d’unifier les armées des minorités ethniques qui sont de plus en plus prises pour cible par la junte, en particulier les Karen au sud du pays qui sont contraints de fuir vers la Thaïlande.
De manière générale, les représailles s’intensifient. À ce jour, le nombre de morts s’élève à 656, dont la majorité tuée par balle, y compris des enfants [44 selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP) début avril, ndlr]. Par ailleurs l’accès à Internet – qui est un droit de l’homme fondamental – est peu à peu coupé. D’après ce que j’ai entendu, à partir du 10 avril, toutes les télécommunications seront interrompues.
Le 7 avril, la junte en Birmanie a évincé son ambassadeur à Londres favorable à Aung San Suu Kyi, remplacé par l’attaché militaire. Quel regard portez-vous sur cet événement ?
C’était très désagréable de voir ce type d’événement se dérouler en plein XXIe siècle à Londres… Il faut attendre quelques jours pour y voir plus clair. Certains pensent que la junte militaire a voulu tester l’Angleterre et la communauté internationale d’un point de vue diplomatique.
© Association Communauté birmane en France
Qu’en est-il de l'ambassadeur birman en France ? A-t-il pris position ?
Il ne l’a jamais fait très clairement. Nous avons organisé un mémorial devant l'ambassade de Birmanie en France, où il est venu et a rendu hommage aux victimes. Il a aussi exprimé ses condoléances sur la page Facebook de l’ambassade de Birmanie en France [De plus, un communiqué a notamment été publié sur cette page le 19 mars, signé par plusieurs ambassades birmanes dont celle de France, appelant « l’armée du Myanmar à cesser toute violence contre le peuple du Myanmar, à libérer tous les détenus, à lever la loi martiale et l’état d’urgence dans tout le pays, à supprimer les restrictions en matière de télécommunications et à rétablir le gouvernement démocratiquement élu », ndlr].
Avez-vous l’intention de continuer à faire pression sur lui pour qu’il se prononce clairement en faveur du CRPH ?
Une telle prise de position pourrait amener la junte à retirer l’ambassade en France, ce qui peut aussi impacter l’ambassade de France en Birmanie, sachant que l’ambassadeur de France en Birmanie, Christian Lechervy, est allé voir les manifestants, y compris devant des prisons, pour discuter avec eux et les encourager.
Pouvez-vous compter sur un soutien politique en France ?Nous avons envoyé des lettres aux maires en France pour demander leur soutien, nous commençons à avoir des rendez-vous. Mais c’est vraiment au niveau du Quai d’Orsay et de l’Élysée que cela se passe. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a fait pas mal de choses au niveau de l’Union européenne, avec la mise en place de sanctions ciblées.
Militants parisiens de @xrFrance, @InfoBirmanie et la communauté birmane de France devant @Total en solidarité du peuple birman : @total doit cesser de financer la junte@totalpress#Birmanie #WhatsHappeninglnMyanmar pic.twitter.com/YbvkXx1VP8
— Info-Birmanie (@InfoBirmanie) March 25, 2021
En revanche, la position du gouvernement par rapport à Total n’est pas très claire. Le groupe paie des impôts importants (230 millions de dollars en 2019 et 176 millions de dollars en 2020) en Birmanie, ce qui alimente la junte. Nous souhaitons donc que ces financements soient gelés. Total a fait une annonce début avril disant qu’il allait continuer à payer les taxes tout en versant la même somme à des ONG.
Quelles sont les prochaines actions prévues ?
Une manifestation aura lieu à Trocadéro ce samedi 10 avril, ainsi qu’à Nantes. L’objectif sera toujours le même : soutenir le peuple birman, mais aussi demander la reconnaissance du CRPH de la part du gouvernement français.