Aéroport vide à Dalian, Chine. Photo : Unsplash / Jida Li
Depuis l’apparition du Covid-19, les frontières entre la France et la Chine sont quasi hermétiques. Pour les familles séparées, l’attente est interminable et le bout du tunnel ne semble toujours pas se rapprocher.
[Texte : Weilian ZHU]
Toute la journée, Su Xia a les yeux rivés sur son téléphone. Âgée de 64 ans, elle habite en France depuis plus de 30 ans et se rendait chaque année à Shanghai avant la pandémie. Depuis le confinement de sa ville natale, elle appelle quotidiennement ses parents âgés de plus de 90 ans restés là-bas. « Mon père est diabétique. Ma mère a des problèmes articulaires. En temps normal il y a une femme de ménage mais elle ne peut plus venir. Ça devient difficile pour eux de se faire à manger. »
Après les masques envoyés par les familles chinoises vers la France lors de la première vague, la situation s'est inversée. Jamais confinés, les 25 millions de Shanghaiens connaissent depuis le 1er avril des mesures très restrictives. Entre le 26 février et le 25 avril, la ville a enregistré plus de 500 000 contaminations et 190 décès, parmi lesquels 86% étaient âgés de plus de 70 ans.
Cette situation difficile crée des confrontations de points de vue.
Les habitants ont interdiction de sortir de leur logement, sauf pour des campagnes de tests. L'approvisionnement des biens de première nécessité se fait principalement par les comités de quartier, relais locaux des pouvoirs publics. « Au début, l'approvisionnement n'était pas bien assuré, explique Chu Liang, résident en France dont les parents âgés vivent seuls à Shanghai. Ils n'avaient presque plus de produits frais. J'ai dû contacter une amie en Chine pour leur faire livrer quelques fruits et légumes. » Certaines résidences parviennent à faire des achats groupés grâce aux groupes WeChat (équivalent de WhatsApp). Mais ces technologies sont mal maîtrisées par les plus âgés. « Heureusement que mon frère est médecin, soupire Su Xia. Il a pu sortir avec un justificatif et acheter une caisse de 50 pommes à nos parents. Il cherche maintenant de l'insuline pour notre père. »
Cette situation difficile crée des confrontations de points de vue. Tandis que son frère envie la situation en Occident, Su Xia préfère comparer les chiffres des décès. « C'est au prix de la protection des personnes âgées que les pouvoirs publics ont imposé ce confinement à Shanghai. En France, le virus fait toujours une centaine de victimes par jour mais c'est à chacun d'être responsable de soi. Néanmoins, je ne comprends pas pourquoi on ne vaccine pas les plus âgés à Shanghai. » En effet, seuls 62 % des plus de 60 ans ont été vaccinés et 38 % ont reçu la dose de rappel. Une réelle interrogation que partage le père de Su Xia. « Nous avions un médecin de quartier qui venait chaque semaine nous faire un petit contrôle. Chaque fois qu'on lui demandait de nous vacciner, il disait que ce n'était pas urgent. »
A l'aéroport, les avions qui décollent se font rare. Photo : Unsplash/Skyler Smith
Sans cesse reportées, les retrouvailles sont devenues un tabou. Les obstacles ne manquent pas. Toute entrée en Chine, théoriquement possible pour les nationaux, se fait au prix d'un confinement de 2 semaines en hôtel (parfois davantage en fonction des directives locales) à ses propres frais et de billets d'avion hors de prix. Seul un vol sans escale est autorisé. Et les 6 vols hebdomadaires reliant les 2 pays (contre une centaine avant la pandémie) risquent à tout moment d'être suspendus si des cas positifs sont détectés à l'atterrissage en Chine. Acculés, certains cherchent à rejoindre des pays voisins. Mais les options sont limitées. La Corée du Sud impose une quarantaine d'une semaine pour les non-résidents. Le Japon ne délivre que des visas professionnels. Seuls le Vietnam et la Thaïlande ont assoupli les règles. « Je voulais aller à Taiwan, visiter l'île pendant 2 semaines puis partir à Shanghai, avoue Chu Liang. Mais les mesures là-bas sont tout aussi strictes. Je ne sais plus quoi faire. »
« J'économise depuis le début de l'année. Peu importe le prix, je dois rentrer cette année »
Alors qu'approche la fête de DuanWu, les familles vont la passer à distance pour la 3e année d'affilée. Lorsqu'ils mangeront les traditionnelles boulettes de riz, ils penseront à leurs proches attablés à l'autre bout du monde. Avec une retraite de 800 euros par mois, Su Xia attend et espère : « J'économise depuis le début de l'année. Peu importe le prix, je dois rentrer cette année ».