De "l’usine du monde" au luxe global : la Chine réinvente son image. Comment le "made in China" est passé de cheap à chic ? Enquête à Paris.
Depuis quelques années, les Parisiens entendent les noms Peninsula, Shangri-La ou Mandarin Oriental sonner à leurs oreilles tout en mesurant le faste de ces chaînes d’hôtels venues tout droit de Chine. Installé avenue Kléber, dans le triangle d’or parisien, le Peninsula Paris a en effet ouvert ses portes en 2014, après un chantier titanesque de quatre ans et 430 millions d’euros d’investissement. Le groupe Hong Kong et Shanghai Hotel, auquel appartient l’établissement, s’est développé depuis l’ancienne colonie britannique à partir des années 1920.
Pour l’enseigne, le Peninsula Paris représente une première implantation en Europe — c’est également le cas pour le Shangri-La Hotel Paris, localisé avenue d’Iéna depuis 2010. La capitale française étant un lieu incontournable du luxe, notamment avec la Fashion Week, et une valeur sûre en matière de tourisme.
Les détails qui font la différence
Ces palaces parisiens, comme le soulignait Mauro Governato en 2019, alors directeur général du Peninsula Paris, accueillent une clientèle internationale, « qui vient des US, d’Amérique latine, de Russie, européenne, asiatique et bien sûr chinoise. Le pourcentage venant d’Asie est croissant, il représente 8 à 10 % de nos hôtes et j’estime qu’il va encore augmenter ».
À la différence des hôtels de luxe dans lesquels Monsieur Governato a travaillé précédemment (du groupe canadien Four Seasons), le Peninsula Paris se distingue par des services spécifiques et ciblés. Ainsi, à l’accueil et la conciergerie de l’hôtel, qui promet sur son site une expérience combinant « tradition, héritage et glamour », le personnel parle au moins une des langues chinoises. Dans les chambres, les équipements technologiques ont été particulièrement soignés : « Nous savons très bien que la clientèle qui vient d’Asie est toujours très connectée. Elle aime un wifi rapide, une connexion constante etc ». Les ascenseurs de l’établissement ont quant à eux été imaginés suffisamment grands pour recevoir les retours de shopping. Ils sont également très rapides, à l’image des installations que l’on peut trouver dans les grandes mégalopoles asiatiques. « Nous savons que la clientèle chinoise, lorsqu’elle rentre de shopping ou d’excursions dans Paris, n’aime pas se retrouver dans les petits ascenseurs parisiens qui prennent leur temps pour monter », appuyait le directeur de l’établissement.
« Nous savons que la clientèle chinoise, lorsqu’elle rentre de shopping ou d’excursions dans Paris, n’aime pas se retrouver dans les petits ascenseurs parisiens qui prennent leur temps pour monter. »
Nous avons fait attention à ces détails qui font la différence. » Ici, le luxe est d’abord une question de discrétion vis à vis des « hôtes ». « Il doit venir sans que vous le voyez débarquer », précisait Mauro Governato assis sur une banquette en velours du bar Kléber, où sont exposées deux immenses tapisseries vietnamiennes, entourées de vases chinois de plus d’un mètre de hauteur. Au bout du couloir venant du lobby, le restaurant gastronomique le Lili est dédié à la cuisine cantonaise. À l’étage, encore un clin d’œil aux origines du palace puisque le spa propose un espace feng shui et des soins inspirées de la médecine traditionnelle chinoise.
Le spa d'inspiration chinoise de l'hôtel Peninsula Paris.
Paris : place to be
Icicle, mode éthique et haut de gamme a ouvert il y a 5 ans son premier point de vente hors de Chine sur la très chic avenue Georges V. La boutique de 500m2, installée à deux pas des Champs-Elysées, accueille sur quatre étages des collections femmes et hommes, ainsi qu’un espace culturel composé d’une bibliothèque et d’une exposition d’artisanat chinois.
Après avoir hésité entre Londres, Milan et Paris, comme de nombreux entrepreneurs chinois, les fondateurs d’Icicle ont jeté leur dévolu sur la Ville Lumière. Si la stabilité politique et la centralité géographique de la capitale ont pesé dans la balance, la marque a également été attirée par ses « nombreux talents ». « Icicle manquait de ressources dans le domaine de la mode, des savoir-faire d’ateliers couture et du marketing : construction de marque, architecture commerciale... » détaille Isabelle Capron, vice présidente internationale d’Icicle.
Retour au 35 avenue George V, où les vêtements aux coupes amples, aux matériaux naturels et au style épuré portent tous l’étiquette « made in China ».
En s’installant aux côtés des géants du luxe européen Givenchy, Balenciaga ou encore Bulgari, ces petits nouveaux sur le marché français s’offrent une légitimité sur leur propre territoire. « Une implantation à Paris, dans le triangle d’or, est une expression statutaire très forte qui va avoir de l’impact non seulement dans l’industrie internationale de la mode, mais aussi énormément en Chine », prédit ainsi Isabelle Capron.
Le nouveau made in China
Retour au 35 avenue George V, où les vêtements aux coupes amples, aux matériaux naturels et au style épuré portent tous l’étiquette « made in China ». L’une des vendeuses nous indique que cette mention ne freine absolument pas la clientèle. Et ce, malgré l’image d’une fast fashion longtemps fabriquée en Chine et critiquée pour son manque de qualité. Il semblerait que les marques de luxe chinoises nouvellement implantées ne pâtissent pas de ce préjugé.
Rappelons que durant des siècles, l’artisanat chinois était reconnu dans le monde entier pour ses tailleurs de jade, ses tresseurs de bambou ou ses fabricants de porcelaine. Cet artisanat, QiongEr, la fondatrice de la marque Shang Xia, a souhaité le remettre au goût du jour.
Durant des siècles, l’artisanat chinois était reconnu dans le monde entier.
Cette marque chinoise, détenue à 90 % par le groupe Hermès, est née en 2009 avant de s’installer à Paris en 2013. Laine de yak, bois impérial et feutre de cachemire sont à l’honneur pour faire « renaître la culture chinoise », selon les propos de sa créatrice qui souhaite avant tout redorer le blason du savoir-faire ancestral et promouvoir le lifestyle chinois, comme l’art de vivre à la française ou la dolce vita italienne.
Exit les motifs de dragons, de pivoines ou le portrait de Mao, chez Shang Xia aussi les matériaux sont naturels et les coupes simples et fluides. Pour elle, aucun doute que le mode de vie à la chinoise retrouvera ses lettres de noblesse.