Dissolution de l’Assemblée nationale, percée du RN et incertitudes sur le maintien des droits des étrangers en France leur font craindre le pire. Depuis quelques semaines, des Français issus des diasporas d’Asie de l’Est et du Sud-Est s’activent pour faire naturaliser leurs parents.
« Mon papa est réfugié politique du Cambodge, arrivé en France autour de 1978. Il s’est marié avec ma mère, une Française d’origine chinoise née en France, mais n’a jamais voulu prendre les papiers français. Sa carte de réfugié est son dernier lien avec son pays d’origine. Il y tient beaucoup. » Emmanuelle, qui souhaite utiliser ce prénom d’emprunt pour rester anonyme, s’inquiète. Elle se sent effrayée, a très mal dormi au soir du premier tour des élections législatives. « Quand on voit les programmes ou les propos de l’extrême droite, comme sur les binationaux, on se demande ce qui arrivera aux personnes qui vivent en France sans en avoir la nationalité. » Elle craint que son père perde ses droits à la retraite ou à la sécurité sociale.
Selon son programme, le RN, premier parti au soir du premier tour, souhaite mettre en place une « priorité nationale » pour « réserver les allocations familiales aux Français », « assurer la priorité nationale d’accès au logement social et à l’emploi », « supprimer l’autorisation de séjour pour tout étranger n’ayant pas travaillé depuis un an en France » et conditionner certaines aides.
Ces ambitions affichées et les résultats du parti ont également alerté Claire Tran. « Mon père est né à Saigon en 1956 de parents vietnamiens mais dont la mère avait la nationalité française. Ils ont quitté le Vietnam en 1962 et immigré au Royaume-Uni. Mon père a été naturalisé britannique à sa majorité et vit en France depuis 30 ans où il s’est marié à une Française et a eu deux enfants. »
Il y a 4 ans, juste après le Brexit, « une première sonnette d’alarme » nous confie Claire Tran, il a demandé un certificat de nationalité française, fournissant tous les papiers nécessaires dont l’acte de naissance français de sa mère. Sa demande a été refusée. La lettre de refus lui apprend les dispositions de la convention franco-vietnamienne du 16 août 1955 relative au changement de statut politique du Vietnam et déterminant les nationalités au cas par cas. En l’occurrence, le père de Claire Tran n’aurait pu opter pour la nationalité française qu’à 18 ans. « C’est comme si on lui disait : c’est trop tard monsieur » regrette sa fille. Il doit aujourd’hui se tourner vers une déclaration de nationalité au titre de la résidence en France et de la qualité d’ascendant de Français – être parent ou grand-parent d’un Français. Et ce sont ses deux filles qui s’en chargent.
« C’est nous qui gérons ça »
« Du coté de mon père, il y a à la fois du déni et de l’inertie administrative, reconnaît Claire Tran. C’est nous qui gérons ça. »
Même son de cloche pour Emmanuelle : « Comme je suis l’aînée, je prends les devants. On a un petit cahier avec mes frères et sœurs sur lequel on regroupe les souvenirs de mon père et les démarches à suivre. Lui est extrêmement silencieux, il n’en parle pas ».
« La France est l’endroit où elle a passé le plus de temps dans sa vie. J’ai envie de légitimer cela »
Emilie Lay est également en charge de la demande de naturalisation de sa mère, Cambodgienne de 70 ans, réfugiée politique depuis 1978, « la seule à ne pas avoir demandé la nationalité parmi ses 9 frères et sœurs qui vivent en France ». « Ses proches la stressent », explique la jeune femme qui se sent dépassée par la « violence administrative » des démarches. Elle détaille les SMS du gouvernement qui invitent à prendre RDV sur le site de la préfecture sans donner de lien, les rendez-vous avec 3 heures de retard où sa mère « n’osait pas aller aux toilettes pour ne pas perdre sa place », un simulateur en ligne pour connaître la procédure à suivre, une identité numérique erronée dans laquelle la deuxième partie du prénom de sa mère n’a pas été prise en compte.
« La France est l’endroit où elle a passé le plus de temps dans sa vie. J’ai envie de légitimer cela », appuie Emilie Lay. Claire Tran se remonte les manches : « On va refaire une demande, retrouver les papiers, se mobiliser intellectuellement. On va retourner au front et s’en occuper avec ma sœur ». Et Emmanuelle se résout : « Je suis à la case départ. J’ai tapé sur Google : Comment obtenir la nationalité française pour un réfugié politique. Et j’ai paniqué ».
Identifier les bons relais
L’aide est parfois difficile à trouver. La Ligue des Droits de l’Homme ne prend pas en charge les réfugiés. La Cimade apporte un accompagnement juridique et administratif de manière ponctuelle, avec des permanences dans toute la France. L’association Singa, pour une meilleure intégration des personnes réfugiées et migrantes, oriente vers des cabinets d’avocats comme celui d’Audrey Grisolle, Loiré Henochsberg & Associé. « Les gens ne savent pas du tout à quel moment ils peuvent réaliser ces démarches et ont peur de perdre leurs droits », explique l’avocate Audrey Grisolle.
« J'ai senti plus d’inquiétude, surtout de personnes qui sont en France depuis longtemps, travaillent, patientent pour constituer leurs dossiers et se retrouvent dans une situation où partout elles entendent qu’elles ne sont pas les bienvenues. »
Le cabinet peut aider sur la constitution, la qualité du dossier ou la préparation à l’entretien avec l’administration. « Les démarches sont longues et fastidieuses, avec des ajournements et recours possibles. »
Deux procédures possibles
Le Défenseur des droits, qui est « avant tout saisi de réclamations relatives aux délais de la procédure de naturalisation et des difficultés liées à la dématérialisation », nous éclaire sur un premier cas de figure.
Une personne réfugiée peut acquérir la nationalité française par décret si elle est : majeure ; en situation régulière ; réside en France ; a le centre de ses intérêts matériels (ressources financières) et de ses attaches familiales (conjoint et enfants) en France ; justifie d’une connaissance suffisante de la langue française – niveau B1 oral et écrit ; justifie d’une assimilation à la communauté française (connaissance de l’histoire, de la culture et de la société françaises) ; n’a pas été condamnée ; est de bonnes vie et mœurs et a un comportement loyal au regard des institutions françaises. En outre, la condition de connaissance de la langue française ne s'applique pas aux réfugiés qui résident en France depuis 15 ans au moins et sont âgés de plus de 70 ans.
Autre cas de figure : la déclaration de nationalité française pour des personnes âgées de plus de 65 ans qui sont les ascendants directs d'un Français et vivent en France depuis au moins 25 ans. Maître Grisolle précise : « Un entretien est toujours prévu pour vérifier l'assimilation mais ne porte pas sur le niveau de connaissance de la langue française. »
Depuis la dissolution, si le nombre de demande en cours de traitement n’est jamais publié par le ministère de l’Intérieur, l’avocate Audrey Grisolle a « senti plus d’inquiétude, surtout de personnes qui sont en France depuis longtemps, qui travaillent, patientent pour constituer leurs dossiers et se retrouvent dans une situation où partout elles entendent qu’elles ne sont pas les bienvenues. Ces personnes seront encore plus frileuses à essayer des démarches ».