BD « Sống » : le récit d’une mère maquisarde au Vietnam, transmis à sa fille

Par Julie Hamaïde

Dans la bande dessinée « Sống », l’autrice demande à sa mère de lui raconter son adolescence dans le maquis pendant la guerre au Vietnam.

Hai-Anh, la scénariste de Sống (éditions Ankama), a toujours entendu les histoires de sa mère, Linh. Avec son amie Pauline Guitton, illustratrice, elles ont décidé d’en faire une bande dessinée. Ce qui devait initialement être le récit d’une adolescente dans le maquis se transforme au fil des pages en un dialogue touchant qui lie à nouveau une mère et sa fille. Rencontre avec les autrices.

 

Hai-Anh et Pauline, autrices de la BD « Sống », éd. Ankama
photo :Olivier Clertant.

 

Comment est née l’idée de ce roman graphique ?

Hai-Anh : Il y a eu plusieurs étapes. Pauline et moi avons grandi ensemble dans le 13e arrondissement de Paris. Nous lisions et partagions beaucoup de BD. En 2018, j’ai fini mon master en économie et je voulais m’orienter vers le cinéma. J’ai passé les concours de La Fémis mais j’ai échoué. J’étais complètement dévastée. Pour me consoler, je me suis plongée dans la BD, j’en empruntais plein à la bibliothèque. J’ai relu Persépolis de Marjane Satrapi et Maus d'Art Spiegelman qui a reçu le prix Pulitzer en 1992. Lorsque j’ai lu Maus — l’auteur ne s’entend pas avec son père, un rescapé d’Auschwitz, et revient chez lui de temps en temps. Il prend le temps de s’entretenir avec lui, de le comprendre, de le pardonner— j’ai pensé à ma relation avec ma mère. Quand j’ai fini cette BD, j’ai envoyé un SMS à Pauline en lui disant que ce serait trop fou de faire la même chose avec ma mère sachant qu’elle partirait un jour, emportant avec elle toutes ses histoires.

Pauline : Je dessine des BD depuis toujours mais je n’avais pas d’histoire à raconter. Lorsque Hai-Anh m’a pitché l’idée, j’y ai cru tout de suite.

Comment avez-vous pu rendre cette histoire de maquisarde vietnamienne universelle ?

Hai-Anh : Je l’ai découvert pendant mes entretiens. J’écoutais les anecdotes de ma mère et je me disais que c’était une femme exceptionnelle qui a vécu des choses exceptionnelles. En fait, au fil des entretiens, elle m’a raconté des histoires très ordinaires, dans un contexte extraordinaire. Quand je lui ai demandé ce qui était le plus difficile à vivre dans le maquis, elle m’a répondu « avoir ses règles » et je suis restée bouche bée. Je n’en revenais pas qu’elle ne cite pas les bombes par exemple. Quand elle est cuisinière et qu’elle stresse de faire à manger pour tout le monde ou lorsqu’elle a une rivalité avec une autre femme, on se retrouve toutes. Ce sont des émotions universelles.

 

Extrait de la BD « Sống », éd. Ankama

 

Cette relation, celle d’une mère vietnamienne très impliquée dans son travail et qui repart vivre au Vietnam en laissant sa famille en France, est unique. Pourtant, elle parle à beaucoup de personnes. L’aviez-vous ressenti avant ?

Pauline : Au fur et à mesure, je me suis retrouvée dans cette relation compliquée entre une mère et sa fille. J’ai pu y mettre mes propres émotions.

Hai-Anh : Pauline m’a fait réaliser plein de choses, notamment ce côté universel.

Comment avez-vous annoncé ce projet à Linh ?

Hai-Anh : Quand Pauline a dit « oui », j’ai fait un PDF à ma mère. Au Vietnam, on le lit pas autant de BD ou de romans graphiques. Je voulais lui expliquer que c’est un art sérieux. Je lui ai demandé si on pouvait écrire sur ses 7 ans dans le maquis. Elle m’a demandé comment j’allais trouver l’argent [rires] et elle était touchée que je pense que son histoire pourrait intéresser les gens en France.

« Les jeunes de notre génération ne parlent jamais de politique ou de guerre. Si on en parle, le ton est plus grave. »


Au Vietnam, que sait-on de l’histoire des maquisards ?

Hai-Anh : Les gens savent que ça existe mais n’en parlent pas, sauf si un membre de la famille l’a vécu. Les jeunes de notre génération ne parlent jamais de politique ou de guerre. Si on en parle, le ton est plus grave, la conversation n’est plus légère.

Pauline : Depuis la France, on n’évoque quasiment que le conflit américain, on voit des films. On n’arrive pas à imaginer comme les gens ont survécu.

 

Extrait de la BD « Sống », éd. Ankama

 

Est-ce un poids d’évoquer au grand jour cette histoire familiale ?

Hai-Anh : Les Vietnamiens ne sont pas très rancuniers je trouve. Ceux qui sont restés ont « gagné » la guerre. Pour l’histoire des maquisards, ma mère en parlait sans problème, donc je ne me suis pas posé de question. Dans le livre, on dit que la guerre ne concerne pas que le pays mais surtout les familles. C’est sur ce point-là que j’ai eu des soucis. J’ai remué des choses difficiles, je me suis censurée. Il y a des pages que ma grand-mère ne doit pas voir. La guerre contre les Américains a créé des drames dans toutes les familles.

Quel a été le rôle de Pauline dans tout le projet ?

Pauline : Ce qui m’intéressait le plus était la mise en scène. Je suis partie du texte de Hai-Anh et nous avons fait comme un ping-pong entre texte et image. C’était un échange permanent.

Hai-Anh : Souvent les illustrateurs de BD répondent à une commande. Là, sans Pauline, je ne l’aurais pas fait. J’ai eu la force de me lancer dans ce projet parce qu’on était à deux et qu’elle a été ma première lectrice.

 

BD « Sống », éd. Ankama


Article précédent Article suivant

Récents