Spécial Outre-mer : Les Asiatiques en Nouvelle-Calédonie

Par Blanche Ribault
Photo de Blandine Pannequin

Présents depuis plus d’un siècle, les Asiatiques de Nouvelle-Calédonie ont tracé leur chemin entre mélanges culturels et respect des coutumes.

Loin des yeux, mais très près du cœur : c’est le message que nous transmet Loan Favan. Née et élevée à Nouméa par un père vietnamien et une mère franco-indienne, l’étudiante en arts s’inspire aujourd’hui de ses origines pour bon nombre de ses travaux à la Design Academy d’Eindhoven aux Pays-Bas. Collection de textiles dorés inspirés du lucky cat et séries de bijoux rappelant les rituels kanaks viennent colorer les pages de son portfolio. La jeune femme de vingt-trois ans a quitté son île natale dès l’obtention de son baccalauréat, mais est loin d’oublier d’où elle vient.

Vietnam, Inde et Nouvelle-Calédonie sont tous trois les points de départ de réflexions et de valeurs qu’elle entend bien défendre. « Ce sont des histoires qui font sens pour moi et auxquelles je suis attachée. Les questions identitaires que je me pose me poussent à créer de nouvelles pièces autour de mon pays, de mes origines et de mes croyances. »

Melting-pot d’habitudes
Ces croyances et cette culture d’origine ne se retrouvent pas seulement dans ses travaux mais aussi dans son quotidien, qu’elle qualifie de « melting-pot : un peu de vietnamien, d’indien, de français et de calédonien ! »

 

« Tous les petits commerces asiatiques de proximité de l’île sont tenus par des Vietnamiens. Tout le monde en Nouvelle-Calédonie s’y rend régulièrement »

 

Repas vietnamiens et fêtes de famille régulières font en effet partie des habitudes d’un grand nombre d’habitants de cette communauté, dont la culture s’est largement diffusée à travers la nourriture. « Mes grands parents ont une supérette alimentaire. Tous les petits commerces asiatiques de proximité de l’île sont tenus par des Vietnamiens, explique l’étudiante. Tout le monde en Nouvelle-Calédonie s’y rend régulièrement, voire chaque jour, pour s’acheter des nems, des rouleaux de printemps et d’autres plats typiques ».

La cuisine indonésienne, elle aussi, connaît un certain succès en Nouvelle Calédonie. Stéphanie Sarijoen, métisse d’origine indonésienne et mélanésienne, cuisine pour ses amis et sa famille à Nouméa : « On me demande souvent de concocter un bami [vermicelle de riz avec des légumes, plat le plus consommé en Indonésie, NDLR] ou un gâteau claquettes [gâteau de farine de tapioca au lait de coco] ».

Chu Thi Linh, vingt-quatre ans, née à Haï Duong au Vietnam, a elle aussi conservé les us et coutumes de son pays d’origine depuis son arrivée en Nouvelle-Calédonie à l’âge de quatre ans avec sa grande sœur et sa mère : « J’ai toujours adoré manger par terre comme je le fais encore dans ma famille paternelle. Mes amis ici ne comprenaient pas au début, et maintenant, ils adorent ! » Les origines vietnamiennes de la jeune femme se devinent dans ses petites habitudes mais aussi, selon elle, dans l’éducation qu’elle a reçue : « Dès le plus jeune âge, nous apprenons à plier le linge, faire à manger, faire le ménage et aider nos parents au travail afin de soutenir financièrement les membres de la famille restés au Vietnam ».

 

« Nos parents se mélangeaient beaucoup moins que notre génération. Nous, nous avons tous appris la langue de Victor Hugo à l’école. »



Dialogue des cultures
Tout en perpétuant les coutumes et les pratiques religieuses les plus traditionnelles que sont le culte des ancêtres ou le Nouvel An lunaire, Chu Thi Linh se réjouit du rapprochement de sa génération avec les autres communautés de Nouvelle-Calédonie grâce à une langue commune : le français.

« Nos parents se mélangeaient beaucoup moins que notre génération car ils ne parlaient que le vietnamien. Nous, nous le pratiquons à la maison mais avons aussi tous appris la langue de Victor Hugo à l’école. »

 

 

Cependant, l’apprentissage du français n’efface pas la langue d’origine, bien au contraire : Thierry Timan, président de l’Association indonésienne de Nouvelle-Calédonie, métis né d’un père indonésien et d’une mère calédonienne, tente de transmettre cette richesse linguistique en l’utilisant avec ses deux enfants. Il les a inscrits à des cours de langue dispensés au foyer dédié de Nouvelle-Calédonie, et les emmène en Indonésie régulièrement.

Le rapprochement et la solidarité entre les communautés sont tels que ni Chu Thi Linh ni Stéphanie Sarijoen n’ont été témoins de racisme envers les communautés vietnamienne ou indonésienne sur l’île. Selon Loan Favan, c’est plutôt lors de son année en métropole qu’elle a ressenti une certaine discrimination.

« On me demandait de justifier, avec un tas de paperasse, que j’étais bien française malgré le fait que je sois née sur un territoire français. La personne à qui je louais un appartement est allée jusqu’à me demander de payer six mois de loyer à l’avance... »

Thierry Timan insiste cependant sur la différence de traitement qu’il peut y avoir entre un ressortissant indonésien et un natif calédonien, due au processus de décolonisation : « À compétence égale, ce sera forcément un natif de Nouvelle- Calédonie qui sera retenu pour un emploi. De même, un ressortissant indonésien ne peut pas travailler au sein de l’administration française ».

Triple crise identitaire
Le président de l’Association indonésienne de Nouvelle-Calédonie précise néanmoins que cette différence de traitement ne s’applique pas à une grande partie des descendants des Javanais, ayant fait souche en Nouvelle-Calédonie après les derniers convois de 1953.

 

« En Nouvelle Calédonie, nous sommes déjà dans une situation de crise identitaire en tant que Français du Pacifique »

 

Ils sont aujourd’hui de nationalité française et se considèrent comme néocalédoniens d’origine javanaise/indonésienne. Sentiment partagé par d’autres habitants d’origine vietnamienne, dont Loan Favan : « En Nouvelle-Calédonie, je pense qu’on se sent tout d’abord calédonien, mais nos origines font aussi partie de la construction de notre nationalité calédonienne, c’en est même la particularité. C’est une question spécifique car nous sommes déjà dans une situation de crise identitaire en tant que Français du Pacifique. Nous sommes fiers d’être français mais nous nous revendiquons et nous nous sentons vraiment calédoniens, et je pense que nos origines viennent poser notre marque de fabrique sur tout ça ».

Actuellement au cœur des débats sur le territoire, cette réflexion sur l’identité a incité l’étudiante à consacrer une collection entière à la question de l’indépendance néocalédonienne. Elle fait suite au référendum d’autodétermination organisé en novembre 2018. Pour ou contre une indépendance ? Les habitants d’origine asiatique sont divisés. Mais ils se rassemblent autour d’un constat : leur identité, paradoxalement, trouve sa force dans la multiplicité.

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 10, mars-avril 2019.


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