Déconfinement, le réveil des quartiers asiatiques de Paris

Par Pandou Media

Alors que le déconfinement a commencé le 11 mai, les commerçants des quartiers asiatiques de Paris tentent une reprise en douceur. Entre incertitude, résignation, optimisme et innovation, chacun trace sa propre voie pour sortir de la pandémie.

Difficile de sentir les effluves du quartier derrière le masque. Ou peut-être n'y a-t-il pas grand chose à sentir. Dans la rue Sainte-Anne, bien connue des Parisiens pour ses restaurants japonais et coréens, seul le tiers est ouvert. Et encore tournent-ils tous au ralenti. Après 2 mois de fermeture, Madame Choi est contente de retrouver certains clients de longue date, même cachés derrière leur masque. Sa petite cantine, Hangari, attire habituellement des clients des bureaux aux alentours, de tout Paris voire de la Corée du Sud, venus déguster ses bibimbap : « Nous n'ouvrons pour le moment qu'à midi pour satisfaire les bureaux du coin ». Avec une vente uniquement à emporter, ils sont à 50 % de leur fréquentation habituelle à l'heure du déjeuner. « Et le soir, c'est fermé. Avec l'impossibilité de manger sur place cela n'a plus trop d'intérêt. Ce qui compte c'est de partager la cuisine. Nous aimons bien voir nos clients. » Une certaine conception de la gastronomie qui a toujours rejeté les livraisons, même si Madame Choi songe à lâcher un peu de lest. « Nous sommes en contact avec Uber Eats et Deliveroo. Peut-être que nous allons tester. »

Se mettre à la vente à emporter ?

Une flexibilité que ne partage pas Monsieur Cho du restaurant japonais Kadoya plus bas dans la rue. « Notre cuisine doit se manger chaude. Cela n'a plus aucun intérêt après 20 minutes. En plus, ces plateformes prennent 30 % de marge, on ne gagne plus grand chose », dit-il tout en balayant du regard la rue, calme et ensoleillée. D'habitude, difficile pour le piéton de jongler entre la chaussée animée de voitures et les trottoirs blindés de foules patientant devant les restaurants. « Ma clientèle est composée à 35 % de touristes. Inutile de compter sur eux. Au global, je suis à environ 30 % de la fréquentation normale. » Une exaspération atténuée momentanément par un groupe venu commander des plateaux de bento.

« Je suis à environ 30 % de la fréquentation normale. »

Dans cette rue étroite, peu de bancs sont à disposition des pique-niqueurs. Et le seul petit square du quartier est fermé. Alors, chacun s'est réapproprié de nouveaux repères : bouche du métro 4 septembre, place carrée de la rue Marsollier ou rebord de la fontaine Molière place Mireille pour profiter sereinement de son plateau repas dans un quartier d'affaires bien trop souvent frénétique.

Un mois de mai comme en été

Dans le quartier asiatique du 13e arrondissement, les avenues d'Ivry et de Choisy sont calmes comme un mois d'août. Les écoles sont fermées, peu de salariés sont revenus au bureau. C'est une vie de quartier qui tourne tranquillement, où les grands-mères traînent leurs caddies remplis de courses. Franck vient de placer deux verres de bubble tea sur un shaker mécanique. La boisson prend peu à peu une teinte violette dans un mouvement chaloupé. La Bubble House a rouvert depuis le 11 mai. Comme s'il avait anticipé la crise, Franck a installé depuis plusieurs années une machine automatique de paiement en cash sans contact. « Il y a plus de commandes en semaine que d'habitude. Les gens sont à la maison, font du télétravail. Globalement on vend plus qu'avant. » Une bonne reprise pour les commerces à emporter que confirme la rôtisserie Ang où les canards laqués sont pris d'assaut dès le matin.

C'est une vie de quartier qui tourne tranquillement, où les grands-mères traînent leurs caddies remplis de courses. 

Derrière sa table en guise de présentoir, le gérant du Thaï Royal peste : « Je suis restaurateur, pas traiteur. Nous essayons de tester de nouvelles formules à emporter, avec des lunch box à midi et des menus pour le dîner. Nous comptons sur notre clientèle d'habitués ». Devant le supermarché Tang Frères, les vendeurs ambulants ont aussi repris leur place habituelle. Sur les comptoirs en cellulose ou en cageot : légumes asiatiques, brioches faites maison et dvd piratés. Une petite nouveauté à signaler : des visières antiprojections, à 5 euros l'unité.

Dans le Marais, veille de jour férié. Quelques bars servent leurs clients attroupés sur le trottoir. Des gamins tapent le ballon contre le mur. La douceur du crépuscule rend les rues presque joyeuses. Des livreurs et quelques clients attendent patiemment devant une échoppe de la rue au Maire. Les artistes du ravioli est un des seuls restaurants ouverts dans cette ruelle, investie de boutiques tenues historiquement par des Chinois de Wenzhou. Les deux supérettes du coin attirent d'ailleurs des clients de tout Paris venus dénicher des produits introuvables chez Tang Frères ou Paris Store. Mais une fois leur rideau tiré, la ruelle semble se vider et le temps s'arrêter. « Fermeture pour congés annuels. Du 3 au 17 mars » peut-on lire sur certaines devantures.

Le moment de se réinviter

Au même moment, à la sortie du métro Belleville, l'agitation semble atteindre son paroxysme à ce croisement où voitures, bus, vélos et piétons se font tant bien que mal une place. Les Parisiens pressés de rentrer à la maison croisent des voisins excités à l'approche de la rupture du jeûne. L'odeur de char siu et de brioches à la vapeur envoûte le quartier. Le confinement semble déjà loin. A priori. En remontant la rue de Belleville, traiteurs, gargotes de nouilles ou restaurants de réception sont fermés. « L'important pour nous en ce moment est de renouer le contact avec nos clients, d'écouter leurs attentes pour nous réinventer, explique un restaurateur ayant repris à la mi-avril. La livraison prendra sans doute plus d'ampleur... Je suis optimiste. Au bout du compte, nous allons trouver un modèle différent pour continuer à satisfaire nos clients. Dans la philosophie chinoise, les difficultés peuvent parfois se transformer en de formidables opportunités. »

« Je suis optimiste. Au bout du compte, nous allons trouver un modèle différent pour continuer à satisfaire nos clients. »

Une occasion d'innover que compte également saisir Monsieur Ono, gérant du café japonais Aki, véritable institution de la rue Sainte-Anne. Plutôt que d'opter pour la livraison, il a d'autres idées en tête. « Les restaurants du quartier font maintenant tous du bento à emporter. Nous allons offrir à nos clients quelque chose de différent. » Qui saura ce que ces restaurateurs auront à nous offrir après la pandémie ?

[Texte : Weilian ZHU]


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